A la mi-décembre 2016, une délégation de l’Autorité palestinienne (AP) a rencontré à Washington des représentants de l’administration sortante Obama pour des pourparlers secrets. Le 27 décembre, le quotidien égyptien Al-Youm Al-Sabi, proche des services de renseignements, a publié un compte-rendu du procès-verbal de ces échanges. Selon ce rapport, rédigé par Ahmed Gomaa, la délégation palestinienne comprenait le secrétaire du Comité exécutif de l’OLP et chef de l’équipe de négociateurs palestiniens Saeb Erekat ; le chef des services de renseignements palestiniens Majid Faraj ; Husam Zomlot, conseiller aux affaires stratégiques du président de l’AP Mahmoud Abbas, un représentant du ministère palestinien des Affaires étrangères, Majed Bamya ; le représentant du bureau palestinien des négociations Azem Bishara ; le chef du département des relations internationales des services de renseignements palestiniens Nasser Adwa et le chef de la délégation palestinienne à Washington, Maan Erekat.
Ce rapport détaille l’emploi du temps de la délégation palestinienne durant cette visite, observant que « la partie palestinienne a entamé ses rencontres le 12 décembre, lorsque Saeb Erekat et Majid Faraj ont rencontré le Secrétaire d’Etat américain John Kerry. La délégation tout entière a rencontré une équipe américaine qui comprenait quatre représentants des Secrétaires d’Etat et de la Sécurité intérieure, pour une rencontre politique et stratégique de six heures. Majid Faraj a conclu sa visite par une longue rencontre avec le directeur de la CIA. »
D’après cet article, le procès-verbal de la rencontre « top secrète » entre Kerry, Rice, Erekat et Faraj révèle une coordination américano-palestinienne qui a conduit à la résolution 2334 sur les implantations israéliennes, adoptée le 23 décembre. On peut y lire que les parties « ont accepté de coopérer pour rédiger une résolution sur les implantations » et que le représentant des Etats-Unis au Conseil de sécurité a reçu la compétence de coordonner ses positions avec le représentant palestinien à l’ONU sur la résolution.
La réunion était aussi, selon ce rapport, destinée à coordonner la présence de Kerry lors de la prochaine Conférence internationale de Paris prévue pour le 15 janvier 2017, afin de promouvoir une nouvelle initiative internationale concernant le conflit israélo-palestinien. Kerry, affirme-t-il, a souhaité proposer ses idées en vue d’un accord permanent « sous réserve qu’elles soient soutenues par la partie palestinienne ».
Lors de la réunion, Rice a souligné le « danger » de la politique de la nouvelle administration Trump, ajoutant que Kerry et elle avaient conseillé au président Abbas de ne pas prendre de décisions préliminaires qui pourraient provoquer la nouvelle administration. Rice a même proposé d’organiser une rencontre entre la délégation palestinienne et un représentant de l’équipe Trump, en demandant le concours du président du Congrès juif mondial, Ronald Lauder.
Lors de cette réunion également, Erekat a averti que si l’ambassade américaine était déplacée à Jérusalem, les Palestiniens appelleraient à expulser les ambassades américaines des capitales des pays arabes et musulmans, selon ce rapport.
Le rapport ajoute que Kerry et Rice ont prononcé un éloge dithyrambique de la politique d’Abbas et de sa manière de résoudre les problèmes, et ont fustigé le Premier ministre israélien Binyamin Netanyahou, affirmant qu’il « visait à détruire la solution à deux Etats ».
Il convient de mentionner que tant Kerry qu’Erekat ont nié toute coordination américano-palestinienne dans la rédaction de la résolution du Conseil de sécurité. [1]
Extraits de l’article publié par Al-Youm Al-Sabi :[2]
Le représentant américain au Conseil de sécurité a coordonné ses positions avec le représentant palestinien à l’ONU sur la question de la résolution condamnant les implantations
Selon l’article d’Al-Youm Al-Sabi, « le procès-verbal de la réunion – à laquelle ont assisté le Secrétaire d’Etat américain John Kerry et la conseillère à la Sécurité nationale Susan Rice, et du côté palestinien, le secrétaire général de la Commission exécutive de l’OLP et chef de l’équipe de négociations Saeb Erekat, et le chef des services des renseignements palestiniens, le général Majid Faraj – révèle que les parties ont convenu de collaborer concernant la résolution sur les implantations ». Selon cet article, « au cours de la rencontre, la partie américaine s’est focalisée sur la coordination des positions entre Washington et Ramallah concernant la résolution sur les implantations, qui a été soumise au vote du Conseil de sécurité et adoptée il y a plusieurs jours… »
Selon le compte-rendu, « le procès-verbal de la réunion révèle une coordination américano-palestinienne concernant la résolution sur les implantations » et Kerry et Rice ont souligné qu’ils « souhaitaient coopérer [en vue d’obtenir] une résolution équilibrée, et que la mission de Washington à l’ONU était autorisée à aborder cette question avec le représentant palestinien à l’ONU, l’ambassadeur Riyad Mansour ». Et d’ajouter : « Le représentant des Etats-Unis au Conseil de sécurité a coordonné [sa position] avec l’ambassadeur palestinien sur la question de la résolution condamnant les implantations. »
Coordination de la participation de Kerry à la Conférence internationale en France
La délégation a également tenté de coordonner la participation de Kerry à la Conférence de Paris, qui se tiendra le 15 janvier 2017 en vue de promouvoir une nouvelle initiative internationale sur le conflit israélo-palestinien, selon ce compte-rendu. « Concernant l’initiative française, le Secrétaire d’Etat américain John Kerry a déclaré qu’il ne pourrait pas assister [à la conférence si elle avait lieu] les 21-22 décembre, mais qu’il pourrait y assister [si elle se tenait] après le 9 janvier. La délégation palestinienne a souligné le fait qu’Abbas avait contacté la partie française, et qu’il avait exprimé sa volonté de décaler la conférence internationale [de Paris] afin que le secrétaire d’Etat américain puisse y assister. »
Possibilité pour Kerry de présenter ses idées en vue d’un règlement permanent
Selon l’article, « Kerry a soulevé la possibilité de présenter des idées en vue d’une solution permanente, sous réserve que la partie palestinienne les soutienne… et cela fait référence aux principes déjà présentés dans le cadre de l’Accord-cadre.[3] Il a également proposé que la délégation palestinienne se rende en Arabie saoudite pour discuter de ces éléments, mais selon le procès-verbal, il n’a pas contacté les Saoudiens à ce sujet. [En outre], la conseillère à la Sécurité nationale Susan Rice a rejeté et tourné en ridicule l’offre de proposer des idées, soutenant que la [nouvelle] administration du président républicain Donald Trump allait totalement s’y opposer. »
Rice a « souligné le danger posé par l’administration Trump »
Rice, selon le rapport, « a souligné le danger que représente l’administration Trump, qui pourrait adopter une position différente de celle des administrations américaines depuis 1967 sur la question de la Palestine et d’Israël. Elle a mis l’accent sur le fait qu’elle prenait au sérieux les déclarations concernant le déplacement de l’ambassade américaine à Jérusalem et la vision de l’administration Trump sur les implantations. »
Kerry et Rice ont « conseillé au président palestinien Mahmoud Abbas de ne pas prendre de mesures préliminaires qui pourraient provoquer l’administration Trump, comme le démantèlement de l’AP, le recours à la Cour internationale de justice ou la fin de la coordination sécuritaire avec Israël », pouvait-on lire dans le rapport, et « ils ont aussi souligné le besoin d’éviter toute action militaire ou [attaques] de martyre, qui mettraient grandement en péril la position palestinienne. »
« Ils ont loué les efforts significatifs des organes de sécurité palestiniens, notamment ceux des services de renseignements dirigés par Majid Faraj, dans le cadre de ce qu’ils ont appelé ‘la lutte contre le terrorisme’. Ils ont [tous deux] maintenu que la collaboration palestino-américaine dans ce domaine était l’une des plus étroites coordinations entre les instances américaines et les forces de sécurité dans la région. »
Rice a proposé d’organiser une réunion entre Ronald Lauder et la délégation palestinienne
« Selon le procès-verbal de la réunion, Susan Rice a demandé si la délégation palestinienne pouvait rencontrer un représentant de l’équipe de Donald Trump. Elle a précisé qu’elle pouvait demander l’intervention et organiser une telle rencontre par l’intermédiaire du président du Congrès juif mondial, Ronald Lauder. Saeb Erekat a répondu qu’il avait déjà soumis cette demande, mais que Lauder ne pouvait s’y soumettre. Il a ajouté : ‘On nous a dit qu’ils organisaient encore la nouvelle administration et qu’une fois cela fait, ils rencontreraient officiellement la partie palestinienne.’ »
Erekat : Si l’ambassade américaine est déplacée à Jérusalem, nous appellerons à évacuer les ambassades américaines des pays arabes et musulmans
“Lorsque Susan Rice a demandé quelle serait la réponse palestinienne si l’ambassade américaine était déplacée à Jérusalem, ou si un nouveau bloc d’implantations était annexé, Erekat a répondu : ‘Nous rejoindrons directement et immédiatement 16 organisations internationales, annulerons la reconnaissance d’Israël par l’OLP et couperons tous nos liens sécuritaires, politiques et économiques avec le régime d’occupation israélien, et le tiendrons entièrement responsable de l’effondrement de l’AP. En outre, nous [appellerons] les peuples arabes et musulmans à expulser les ambassades américaines de leurs capitales.’ Rice a répondu à Erekat : ‘Il semble que les questions [qui se poseront] à l’avenir pourraient être très compliquées, et nous sommes tous impatients de nous asseoir avec Erekat, en raison de sa connaissance exhaustive de ces questions, de sa mémoire et de sa sincérité.’ Elle a exprimé le respect et l’amitié des Américains pour Erekat, et a présenté ses excuses pour lui avoir crié dessus en mars 2014 ».
“La délégation palestinienne a officiellement demandé que la loi désignant l’OLP organisation terroriste soit annulée”
Selon le compte-rendu, « la partie palestinienne a officiellement demandé que la loi américaine de 1987 désignant l’OLP organisation terroriste soit annulée.[4] En outre, les deux parties ont convenu d’établir une commission bilatérale pour examiner les demandes de visas des Palestiniens, et les visas d’entrée et de circulation des dirigeants palestiniens aux Etats-Unis. »

Kerry et Rice félicitent Abbas pour “son impressionnant succès lors du Septième Congrès général du Fatah”
« La délégation palestinienne a remercié Kerry et Rice, et exprimé l’estime du président palestinien Mahmoud Abbas pour les opinions du président américain Barack Obama, de la conseillère Rice et du Secrétaire d’Etat Kerry, et notamment pour le discours de Kerry lors du Forum Saban début décembre », peut-on lire dans le compte-rendu, et les deux représentants américains ont félicité Abbas « pour son étonnant succès lors du Septième Congrès général du Fatah et pour son discours long et courageux (à l’instar de ceux de feu le dirigeant cubain Fidel Castro), au cours duquel il a réitéré ses positions et ses principes fondateurs concernant son adhésion au processus de paix et son opposition à la violence et au terrorisme sous toutes ses formes. »
Toujours selon le compte-rendu, Erekat et Faraj ont demandé à Kerry et Rice « de souligner dans les rapports sur la transition vers la nouvelle administration que le président palestinien Mahmoud Abbas, l’OLP et l’AP étaient des partenaires du processus de paix, et que le président palestinien et les organes de sécurité étaient des partenaires stratégiques dans la lutte contre le terrorisme aux niveaux régional et international ».
« [Ils ont demandé] qu’il soit souligné que des commissions bilatérales palestino-américaines seraient créées dans tous les domaines (santé, éducation, agriculture, tourisme, sports, commerce, sécurité, femmes, jeunes, etc.) et que la nouvelle administration les superviserait conjointement avec le Premier ministre palestinien Rami Hamdallah. » En outre, la possibilité « de créer une base de données conjointe avec l’ambassadeur palestinien à Washington et un représentant des services de renseignements palestiniens » a été évoquée.
Kerry et Rice ont affirmé, selon l’article, que « toutes les questions ci-dessus allaient figurer en tête du rapport de transition préparé par l’équipe du président sortant, Barack Obama, à l’attention de la nouvelle administration américaine ». Ils ont aussi fait l’éloge du « courage d’Abbas, de ses positions, de ses qualités de dirigeant et de son adhésion à la culture de paix et à la paix comme option stratégique, en sus de son opposition à la violence et au terrorisme, à la coordination sécuritaire constante et à son statut unique de dirigeant stratégique et courageux au Moyen-Orient. Le succès du Septième Congrès général [du Fatah], selon eux, a effectivement mis fin aux tentatives de Mohammed Dahlan et d’autres d’affaiblir le président Abbas, qui doit à présent renforcer ses relations avec l’Arabie saoudite, la Jordanie et l’Egypte. » [5]
Il poursuit : « Rice a demandé à la délégation palestinienne de faire part au président américain Barack Obama de la gratitude du président palestinien Mahmoud Abbas pour avoir honoré tous ses engagements envers lui, et a ajouté : ‘Abbas était ouvert et honnête concernant tous ses engagements, notamment ceux concernant le fait que [la Palestine] s’est abstenue de rejoindre les 16 organisations internationales [en tant qu’Etat membre].’ »
Kerry et Rice ont ajouté qu’il était nécessaire de « poursuivre la coopération sécuritaire américano-palestinienne, israélo-palestinienne et américano-israélo-palestinienne dans tous les domaines ». Dans ce contexte, affirme le rapport, Faraj a souligné que « la coopération entre les organes de sécurité palestiniens [et Israël] est menée selon le commandement clair et direct du président palestinien Mahmoud Abbas ».
Kerry et Rice : Netanyahu « s’emploie à détruire la solution à deux Etats »
Kerry et Rice ont souligné le fait que « le Premier ministre israélien Binyamin Netanyahou veut détruire la solution à deux Etats et que Saeb Erekat avait prévu le plan de Netanyahou visant à créer un Etat avec deux systèmes il y a quatre ans. Les deux ont affirmé que la prédiction d’Erekat était tout à fait exacte, et que tout ce que Netanyahou avait à offrir était le maintien du statu quo, en sus de garanties pour améliorer les conditions de vie des [Palestiniens] », selon le compte-rendu.
« John Kerry et Susan Rice ont demandé que les réunions soient classées ‘top secret’ »
Enfin, le compte-rendu indiquait : « John Kerry et Susan Rice ont demandé que les réunions soient classées ‘top secret’ et que ce qui s’est déroulé ne soit pas éventé, au vu du caractère sensible de la période de transition entre les deux administrations américaines. »
« La délégation palestinienne a demandé à Kerry et à Rice de réexaminer l’aide financière à l’AP et de ne pas la diminuer, comme ils l’avaient fait lorsqu’ils l’ont réduite de 150 millions de dollars en 2011 à 100 millions de dollars en 2012, la proposition d’aide actuelle s’élevant à 39 millions de dollars seulement. Selon le procès-verbal de la réunion, la partie palestinienne a révélé que l’aide financière [américaine] à l’AP était de 400 à 500 millions de dollars entre 2008 et 2013, et qu’elle a été réduite à 370 millions de dollars en 2014 et 2015, puis de nouveau réduite à 290 millions de dollars en 2016. » [6]
« La partie palestinienne a loué l’aide de l’administration américaine à l’UNRWA, qui atteignait en moyenne 277 millions de dollars par an entre 2009 et 2016, et a demandé qu’elle soit augmentée afin de couvrir le déficit de l’UNRWA de 101 millions de dollars en 2016. »
Lien vers l’article en anglais
Notes :
[1] Wafa.ps, 28 décembre 2016.
[2] Al-Yawm Al-Sabi’ (Egypte), 27 décembre 2016.
[3] L’Accord-cadre a été proposé par Kerry en février 2014. Selon Thomas Friedman du New York Times, cet accord incluait : un retrait graduel israélien de la Cisjordanie ; la conservation par Israël de certaines implantations en contrepartie des terres israéliennes placées sous contrôle palestinien ; des arrangements de sécurité dans la vallée du Jourdain pour la défense israélienne ; la reconnaissance palestinienne d’Israël comme Etat juif dans les frontières de 1948 ; un droit au retour dans les frontières de 1967, et non celles de 1948 ; et la capitale palestinienne à Jérusalem-Est.
[4] Le 22 USC Ch. 61 désigne l’OLP comme une organisation terroriste, lui interdisant d’opérer aux Etats-Unis. Voir Uscode.house.gov/view.xhtml?path=/ prelim@title22/chapter61&edition=prelim
[5] Voir Enquête & Analyse n° 1283 de MEMRI, Fatah’s Seventh General Conference Will Convene Under The Shadow Of The ‘Abbas-Dahlan Struggle, 28 novembre 2016 ; Enquête & Analyse n° 1282, The ‘Abbas-Dahlan Power Struggle Over The Palestinian Presidential Succession, 28 novembre 2016 ; Dépêche spéciale n° 6684, Reports In Arab Press: ‘Abbas Resisted Arab League Pressure To Appoint Successor – Despite Threats Of Sanctions Against Him, 18 novembre 2016 ; Enquête & Analyse n° 1270, Tension Between Mahmoud ‘Abbas, Arab Quartet Over Initiative For Internal Reconciliation In Fatah, 27 septembre 2016; and Enquête & Analyse n° 1290, Fatah’s Seventh General Conference Bolsters ‘Abbas’s Standing ; Contradictory Messages In ‘Abbas Statements On Terror, Negotiations With Israel, 21 décembre 2016.
[6] Tous les nombres contradictoires mentionnés ci-dessus figurent tels quels dans le compte-rendu.