Après la chute d’Alep face aux mains du régime syrien et la prise de conscience que la défaite de l’opposition là-bas a été causée, du moins partiellement, par les divisions au sein des diverses factions combattantes, la presse et les réseaux sociaux arabes ont, ces derniers jours, publié de nombreux rapports indiquant que certaines des principales factions combattantes en Syrie du Nord visent à déclarer une nouvelle entité militaro-politique : la « Commission islamique syrienne ». Cette entité contrôlera tout le territoire resté entre les mains de l’opposition, particulièrement dans la province d’Idlib, leur dernier bastion et la destination des combattants de l’opposition quittant les régions, où des accords de réconciliation les expulsant ont été signés avec le régime. Cette mesure, très probablement initiée par Abou Mohammed Al-Joulani, le chef de Jabhat Fath Al-Sham (anciennement Jabhat Al-Nusra), si menée à bien, pourrait achever l’islamisation de la révolution syrienne et sa prise de contrôle par les djihadistes salafistes.
Cet article passera en revue les rapports sur la nouvelle entité naissante et sur les réactions suscitées.
Selon des rapports, la semaine dernière, Al-Joulani a convoqué des réunions dans la province d’Idlib avec les chefs de 12 à 15 factions militaires, certaines d’entre elles islamistes et d’autres faisant partie de l’Armée syrienne libre (ASL). Parmi ces chefs se trouvaient : Ahrar Al-Sham, Harakat Nour Al-Din Al-Zinki, Jaysh Al-Islam, Jund Al-Aqsa, Al-Jabha Al-Shamiyya, Jaysh Al-Mujahideen et Al-Haq Sawt. Les factions seraient parvenues à un accord pour s’unir et former une entité militaro-politique étatique unique, comptant environ 100 000 combattants. [1]
Dans cette entité naissante, les pouvoirs seraient divisés parmi les chefs des factions principales, avec Al-Joulani comme commandant militaire et décisionnaire principal, alors que l’entité elle-même serait dirigée par le commandant d’Ahrar Al-Sham, Abou Ammar Al-Omar. Le Conseil de la Choura serait quant à lui dirigé par le chef d’Harakat Nour Al-Din Al-Zinki, Tawfiq Shihab Al-Din.
Également selon les rapports, les factions devront, conformément à ces ententes, annoncer leur dissolution et leur pleine incorporation dans le nouveau corps dans un délai d’une semaine. Les commandants des factions abandonneront leurs statuts et rôles, les drapeaux des factions seront brûlés et l’utilisation de leurs noms interdite.
L’entité disposera d’une branche législative, le Conseil de la Choura, comprenant les chefs des différentes factions et rédigera une constitution conforme à la charia. Elle sera dotée d’un organe exécutif incluant une autorité judiciaire responsable de toutes les cours et de tous les tribunaux, une police, un ministère des Dotations religieuses et un ministère de la Défense. Elle créera enfin des chaînes de télévision et de radio. [2]
Ces rapports étaient accompagnés d’annonces de quelques-uns des chefs de factions précisant qu’ils fusionneraient. Ainsi, le commandant de Jaysh Al-Mujahideen, Abou Bakr, a tweeté : « Attendez-vous à de joyeuses nouvelles de notre part sur une union qui vous réjouira et attristera vos ennemis : un programme national qui représente la révolution populaire. »

La nouvelle entité devait être déclarée le 18 décembre, mais au moment de la rédaction de ce rapport, la déclaration n’a pas encore été faire, indiquant que les préparatifs sont toujours en cours. Toujours selon des rapports, quelques factions examineraient la possibilité d’une chambre des opérations unifiée surveillant les différents fronts, ainsi que la création d’un appareil militaire commun pour les opérations, menant à la création d’une l’entité militaro-politique unie. [4]
L’opposition syrienne modérée craint l’islamisation de la révolution syrienne
L’opposition syrienne modérée était divisée devant cette nouvelle entité émergente. Ses partisans comprenaient Abou Mohammed Al-Asmi, du conseil de direction de l’Armée syrienne libre, qui l’a qualifiée de « plan de secours pour la révolution syrienne » et a affirmé : « Ce plan inclut la fusion des factions sous un leadership unique, éloigné de toute idéologie. Et ceci, en dépit de la nature islamique de la plupart des factions syriennes, y compris les factions de l’ASL.” L’entité, a-t-il ajouté, sera « une faction purement syrienne. Les éléments non syriens, s’ils existent, n’obtiendront pas de postes de direction. » [5]
Pourtant, Al-Asmi, semblerait faire partie de la minorité, la plupart des factions militaires et politiques modérées de l’opposition rejetant la nouvelle entité, de crainte qu’elle soit une tentative d’Al-Joulani de prendre le contrôle des autres factions et d’islamiser totalement la révolution syrienne. Il a ainsi été rapporté que plusieurs factions de l’opposition, certaines appartenant à l’ASL et certaines islamistes, s’opposant à l’entité et refusant d’accepter Al-Joulani comme leur chef, débattaient de leur propre fusion, mais ne seraient toutefois pas parvenues à des accords sur sa nature de cette fusion et son caractère uniquement militaire ou également politique. [6]
Samir Al-Nashar, un ancien membre de la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution, a affirmé qu’il craignait que cette entité islamique transforme Idlib en un « Kandahar 2 ». [7] Il a précisé avoir envoyé un message clair aux factions qui auraient l’intention de rejoindre Al-Joulani, les avertissant qu’elles avaient été biaisées et qu’ « elles feront face à un holocauste sans personne pour les protéger… Toutes les factions contraintes de rejoindre Jabhat Fath Al-Sham subiront un holocauste sans précédent, en termes de victimes et de pertes… Non seulement les pays qui s’opposeront à cette entité, mais également le peuple syrien, rejettent de telles mouvances. » [8]
D’autres opposants ont averti que cette fusion « fournira un prétexte à la Russie et au régime pour bombarder et détruire Idlib et ses zones rurales, comme ils l’ont fait à Alep sous prétexte de combattre le terrorisme ». [9]
Les partisans arabes de l’opposition syrienne craignent également la fusion et sa prise de contrôle par Jabhat Fath Al-Sham. Le quotidien saoudien basé à Londres Al-Sharq Al-Awsat cite Abd Al-Rahman Al-Hajj, expert en organisations extrémistes, qui a déclaré que l’apparition d’une telle entité est « l’émergence de la quatrième génération d’Al-Qaïda », « une sonnette d’alarme pour la communauté internationale, car [cette entité] tend vers un courant extrémiste mondial et éliminera [toute chance de] contrôle en Syrie du Nord. » Le quotidien a également cité des sources comparant la fusion à « faire porter à toutes les factions l’uniforme des condamnés à mort sur le plan international” ce qui “éliminerait le rêve de révolution des Syriens ». [10]
Lien vers le rapport en anglais
Notes :
[1] Al-Sharq Al-Awsat (Londres), 19 décembre 2016.
[2] Al-Sharq Al_Awsat (Londres), 18 décembre 2016.
[3] Twitter.com/BBakr70, 18 décembre 2016.
[4] Zamanalwsl.net, 19 décembre 2016.
[5] Al-Sharq Al-Awsat (Londres), 18 décembre 2016.
[6] Orient-news.net, 19 décembre 2016.
[7] Une référence à la prise de contrôle des Talibans sur Kandahar, Afghanistan, dans les années 1990 et à sa transformation en capitale des Talibans.
[8] Al-Sharq Al-Awsat (Londres), 18 décembre 2016.
[9] Elaph.com, 18 décembre 2016.
[10] Al-Sharq Al-Awsat (Londres), 19 décembre 2016.