Le 26 avril 2016, le journal russe Nezavisimaya Gazeta présente un article intitulé “La Russie et la course aux armements”, signé par Alexei Georgievich Arbatov, directeur du Centre pour la Sécurité internationale de l’Institut de l’économie et des relations internationales (IMEMO), membre de l’Académie russe des sciences, et membre du Présidium du Conseil pour la politique étrangère et de défense.[1] Arbatov écrit que malgré les déclarations de représentants officiels russes, selon lesquels la Russie ne se laissera pas entraîner dans la course aux armements, la réalité est que la Russie est engagée dans une rivalité militaire à grande échelle avec les Etats-Unis et les pays de l’OTAN.[2] Selon Arbatov, cette nouvelle course aux armements sera plus coûteuse et dangereuse que celle de la Guerre froide. Arbatov soutient que la différence entre la course aux armements actuelle et celle de la Guerre froide est qu’alors, la course était limitée par une série de traités, tandis qu’à l’avenir, toutes les “limitations pourront être écartées”. Il estime également que les systèmes de désarmement et de non-prolifération nucléaire pourraient s’effondrer et que “la probabilité d’une utilisation militaire, accidentelle ou terroriste des armes nucléaires” est élevée. Extraits :
« La nouvelle course aux armements pourrait s’avérer plus complexe, coûteuse et dangereuse que celle de la Guerre froide”
En dépit des déclarations officielles occasionnelles, selon lesquelles la Russie ne se laissera pas entraîner dans une course aux armements, la situation réelle est bien différente. La Russie est déjà attirée dans une rivalité militaire à grande échelle, principalement avec les Etats-Unis, et cette nouvelle course aux armements pourrait être plus complexe, coûteuse et dangereuse que celle qui a eu lieu pendant la Guerre froide. Actuellement, on peut détecter au moins quatre directions prises par ce processus. Dans ce contexte, nous abordons uniquement les armes stratégiques, et laissons de côté les forces armées en général. Leur rééquipement technique, conformément aux Programmes d’armements étatiques russes pour 2020 et 2025, comporte aussi un aspect compétitif évident vis-à-vis de l’aviation, des forces terrestres et navales des pays de l’OTAN.
Tout d’abord, les développements dans la sphère des Forces nucléaires stratégiques (SNF) offensives se poursuivent à grande vitesse. Le SAP-2020 prévoit le déploiement d’ici 2020 de 400 nouveaux missiles balistiques intercontinentaux, de 8 sous-marins équipés de missiles balistiques à propulsion nucléaire, la création d’une nouvelle génération de bombardiers lourds (PAK-DA) équipés de missiles de croisière doubles à longue portée X-101/102 et, avant cela – la relance de la fabrication des bombardiers TU-160 modernisés. Ces systèmes sont destinés à remplacer les équipements dépassés dont l’utilisation opérationnelle est interrompue ; c’est-à-dire qu’ils sont destinés à renouveler les forces stratégiques russes en vertu du Nouveau Traité START de 2010.[3]
Les Etats-Unis, selon le cycle de vie de leurs systèmes stratégiques, entameront leur rénovation après 2020 ; au cours de la première décennie du processus, 350 milliards de dollars y seront consacrés, tandis que le montant dépensé pendant 30 ans pour la remise à neuf de la triade nucléaire est d’environ 1 billion de dollars. Bien entendu, le programme américain aura pour objectif d’établir une capacité contre les systèmes actuellement déployés en Russie (et en Chine). Il est tout à fait possible que la Russie, à son tour, soit contrainte de réagir à cela par le développement ultérieur de ses SNF. Ainsi, la course aux armements nucléaires offensifs classique débutera seulement dans quelques années. Un développement de missiles de portée intermédiaire pourra s’y ajouter, si le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire de 1987 est dénoncé, mesure invoquée par plusieurs experts russes, et que même des représentants officiels haut-placés estiment possible.[4]
Le président américain Ronald Reagan et le dirigeant soviétique Mikhail Gorbatchev échangent des stylos lors de la cérémonie de signature du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, à la Maison Blanche, le 8 décembre 1987. L’interprète de Gorbatchev, Pavel Palazhchenko est au centre. (Source : Wladamosci.gazeta.pl)
« Le système de désarmement nucléaire et de non prolifération tout entier pourrait s’effondrer”
Tout cela est plus ou moins familier : pendant la Guerre froide, c’était la direction que la rivalité entre les deux superpuissances avait prise. La seule différence est que dans le passé, après 1972, cette course était limitée par une série de traités – SALT/INF/START/SORT, tandis qu’à l’avenir, toutes ces limitations pourront être écartées. Depuis la conclusion du Traité START en 2010, et pendant les six dernières années, aucune négociation ne s’est tenue, pour des raisons politiques, et du fait de l’incapacité des parties à surmonter leurs divergences sur la défense antimissile et les autres questions. Auparavant, de nouvelles négociations avaient commencé – juste après la conclusion d’un autre traité, et les deux parties les avaient entamées avec un ordre du jour préparé à l’avance. A présent, les deux puissances ont adopté des attitudes différentes concernant les armes nucléaires en général ; en un certain sens, elles ont échangé leurs positions par rapport à la dernière décennie (après 2000).
Le président américain Barack Obama, à droite, saluant à côté du président tchèque Vaclav Klaus, au centre, et celui qui était alors le président russe Dmitry Medvedev, avant la signature du Nouveau traité START à Prague, le 8 avril 2010 (Source: State.gov)
Il reste de moins en moins de temps pour les négociations sur un nouveau traité, et il apparaît que ce fait ne dérange pas l’élite politique russe du tout. Ainsi, après l’expiration du Traité START actuel en 2020, un trou béant pourra apparaître dans la sphère vitale du contrôle des armes nucléaires, pour la première fois depuis 45 ans. En conséquence, le système du désarmement nucléaire et de non-prolifération pourrait s’effondrer – système créé au cours du dernier demi-siècle grâce aux efforts inlassables des dirigeants, diplomates, politiciens et experts civils et militaires des grandes puissances mondiales.
Mais cela n’est pas tout. Même à présent, bien avant 2020, un deuxième domaine de course aux armements s’est ouvert : les armes nucléaires offensives russes contre le système de défense antimissile américain. Ce domaine n’existait pas lors de la Guerre froide, parce que personne ne disposait d’un tel système de défense avant 1972, et qu’ils ont été strictement réglementés après 1972 par le Traité ABM sur les missiles antibalistiques, dont les Etats-Unis se sont retirés en 2002. Les nouvelles armes nucléaires offensives russes et les systèmes à double utilisation (y compris les systèmes opérationnels tactiques) ont été créés non seulement pour rénover le potentiel de frappe de la Russie ; ils ont pour objectif supplémentaire de servir de moyens pour triompher des systèmes de défense antimissile des Etats-Unis et de leurs alliés”.