Ces derniers temps, Al-Azhar, considéré comme le plus important établissement d’enseignement et l’autorité religieuse dans le monde islamique sunnite, a dû statuer sur la question de l’hérésie des adeptes de l’Etat islamique (EI).
Le 3 décembre 2014, lors de la Conférence internationale d’Al-Azhar de lutte contre le terrorisme, qui s’est tenue au Caire, le mufti nigérian Cheikh Ibrahim Saleh Al-Husseini a déclaré dans un discours que, par leurs actions, les organisations extrémistes telles que Boko Haram et autres soulèvent elles-mêmes la question de leur hérésie.
Si Al-Husseini n’a pas explicitement affirmé que l’EI était hérétique, il a soutenu que « ce sont les positions et déclarations [de ces organismes] qui les ont menés à l’hérésie », et « ceux qui accusent les autres d’hérésie sont [eux-mêmes] considérés comme hérétiques par la charia ».
En d’autres termes, il a indirectement accusé l’organisation d’hérésie. Par conséquent, ses déclarations ont été interprétées par certains médias dans le monde musulman comme une fatwa émise par lui, statuant que l’EI est une organisation hérétique.
Al-Azhar, manifestement alarmé par les informations selon lesquelles une fatwa accusant l’EI d’hérésie avait été décrétée lors de l’une de ses conférences, s’est empressé de les démentir. Le refus d’Al-Azhar de qualifier l’EI d’hérétique reflète la prudence de l’islam sunnite concernant le takfir (la pratique d’accuser les autres musulmans d’hérésie).
Au-delà de la position religieuse qui préconise d’éviter le takfir autant que possible, cette accusation peut avoir de profondes implications politiques. D’abord, elle place Al-Azhar en confrontation directe avec l’EI. Ensuite, étant donné que le régime égyptien a établi un parallèle entre l’EI et les Frères musulmans (FM), une telle accusation sur le premier pourrait suggérer qu’elle s’applique aux seconds. Ainsi, le conflit interne en Egypte entre le régime d’une part et les FM et diverses organisations terroristes de l’autre pourrait s’aggraver et même mener à une guerre civile dans le pays.
Ainsi, Al-Azhar, et le mufti nigérian lui-même, se sont empressés de nier ces déclarations. Dans une interview du 5 décembre 2014 avec la chaîne CBC TV égyptienne, Al-Husseini a affirmé que, si les actions de l’EI vont à l’encontre de l’islam et sont un péché grave qui doit être condamné, elles ne doivent pas être qualifiées d’hérétiques. Al-Azhar a publié une déclaration officielle niant l’accusation d’hérésie attribuée au mufti nigérian, et plusieurs membres ont expliqué leur refus de considérer l’EI comme hérétique. Ils ont affirmé que l’islam interdit à une personne d’accuser son prochain d’hérésie, et qu’il faut traiter ceux qui pratiquent le takfir en reportant l’accusation sur eux-mêmes.
Les érudits d’Al-Azhar ont également affirmé que l’EI ne peut être considéré comme hérétique tant qu’il adhère à la shahada – précepte musulman qu’il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah et que Mahomet est Son Messager – même si ses actions s’opposent à l’islam. Ils ajoutent que ce n’est pas le rôle d’Al-Azhar de juger de l’hérésie d’une personne, ou d’examiner ses principes de foi, car seul Dieu peut percer les cœurs. Seul un juge de la charia peut accuser d’hérésie, après un examen complet et exhaustif déduisant qu’une personne a délibérément choisi l’hérésie et n’a pas l’intention de se repentir. Pour cette raison, Al-Azhar affirme n’avoir jamais voulu se prononcer sur l’hérésie de l’EI.
Les membres d’Al-Azhar ont souligné que leur refus d’accuser l’EI d’hérésie ne doit pas être interprété comme un soutien implicite à l’organisation ou une opposition à la lutte contre elle. Ils ont expliqué que l’EI est une organisation terroriste dont les actions s’écartent du vrai islam, tout en précisant à maintes reprises que juger si oui ou non l’EI est hérétique dépasse leur autorité. Notons qu’Al-Azhar et l’establishment religieux égyptien ont récemment fait campagne contre l’EI et d’autres groupes, comme les FM, les dépeignant comme des organisations terroristes qui se sont éloignées de l’islam et des musulmans.