En 2013 et 2014, MEMRI a publié neuf rapports sur l´évolution de la lutte d’influence entre les deux camps politiques iraniens et leurs dirigeants : le camp pragmatique de Hachemi Rafsandjani et de son porte-parole le président Hassan Rohani, et le camp idéologique de Guide suprême iranien Ali Khamenei et des hauts responsables du Corps des gardiens de la Révolution islamique d´Iran. Le ton entre les deux camps s’est dernièrement durci, au point d’en arriver aux menaces.
Le camp idéologique
Le camp idéologique accuse les dirigeants du camp pragmatique de trahison et d´incitation à la fitna, c´est-à-dire à l’agitation sociale, et de s´écarter de l´héritage du fondateur de la Révolution islamique, l´ayatollah Ruhollah Khomeiny. Ainsi, Rafsandjani et son camp sont devenus le “courant déviant ” actuel. De hauts responsables du camp idéologique ont accusé les dirigeants du camp pragmatique d’avoir ravivé la fitna des années précédentes, d´avoir soutenu la fitna dans le passé, d’être les laquais des Etats-Unis, des traîtres collaborant avec Satan, d’une mauvaise interprétation de la réalité, et de tromper les Iraniens quant aux positions de la communauté internationale vis-à-vis de l´Iran. Ils les ont également accusés de tenter d’occidentaliser le peuple iranien et de marginaliser le CGR, aussi bien économiquement que politiquement.
Les responsables du camp idéologique accusent Rafsandjani en personne d´avoir tenté de contrecarrer la Révolution islamique iranienne dès le début, en forçant l´ayatollah Khomeiny à « boire la coupe empoisonnée », c’est-à-dire à accepter le cessez-le-feu avec l´Irak en 1988 et la Résolution 598 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Les autres tentatives de Rafsandjani pour contrecarrer la Révolution seraient les mesures prises alors qu’il était président du Kargozaran iranien (1989-1997), l’orchestration de la fitna contre le régime en 1999 et 2001, l’appel au dialogue avec le « Grand Satan » – les États-Unis – qui aurait débuté il y a 30 ans avec le conseiller américain à la sécurité nationale Robert McFarland, lors de l’Affaire Iran-Contra.
Les responsables du camp idéologique ont fait comprendre que si Rohani ne s’exprimait et n’agissait pas en conformité avec la ligne du Guide Khamenei, cela pourrait se transformer en suicide politique pour lui, comme ce le fut pour d’autres hauts responsables avant lui : les leaders contestataires Mir-Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, sous résidence surveillée depuis 2009, et l´ancien président Mohammad Khatami.
Reflétant l´escalade entre les deux camps, au début du mois d’avril 2014, un jeu d´ordinateur inspiré du jeu populaire « Doom », appelé « Le retour de Mokhtar », a été mis en ligne par un organisme officiel, avec l´approbation du régime. Le jeu permettait aux joueurs de chasser et de tuer les « leaders de la fitna » Mir-Hossein Moussavi et son épouse Zahra Rahnavard, Mehdi Karoubi, Mohammad Khatami et le fils de Rafsandjani Mehdi Hachemi, et de tirer sur des drapeaux américains, britanniques et israéliens. L’accès au jeu a finalement été bloqué, suite à des pressions exercées par le public iranien ; MEMRI en détient toutefois une copie.
D’autres accusations de « fitna » ont été émises par le camp idéologique à l’encontre du camp pragmatique, dans le contexte de la répression brutale des protestations des prisonniers politiques de la prison d´Evin, à Téhéran, également en avril 2014. Rafsandjani avait alors critiqué les mesures prises, estimant qu’elles avaient généré une « crise », et son journal, Jomhouri-e Eslami, avait réclamé l’ouverture d’une véritable enquête sur les auteurs de ces violences, c´est-à-dire les membres du CRG.
En réponse, le site Seratnews, proche du directeur de Kayhan et de l’associé de Khamenei, Hossein Shariatmadari, avait publié ces mots : « Rafsandjani prépare le terrain pour la nouvelle propagande [contre le régime] qui sera menée par les ennemis de la Révolution ». Le chef du pouvoir judiciaire iranien Sadeq Larijani avait prévenu : « Le pouvoir judiciaire agira avec détermination contre toute incitation [à l’agitation], la propagation de mensonges, contre toute tentative pour nuire à la sécurité nationale dans le but de raviver la fitna et ses acteurs.” Il avait souligné : “Il semble que le mouvement de la fitna considère ces mesures tout à fait légales [la répression des émeutes dans les prisons] comme l’occasion de revenir sur la scène, et plusieurs acteurs iraniens, avec les ennemis du régime, s’efforcent de raviver le mouvement de la fitna. »
Le camp pragmatique
C´est le camp pragmatique qui a déclenché la récente escalade entre les deux camps. Le camp pragmatique a affirmé que « la santé mentale » des membres de l´autre camp, qui se déclarent « inquiets », était « préoccupante ». Il a accusé le camp idéologique d´être comme les sionistes, qui s´étaient réjouis de l´échec des négociations nucléaires de mai 2014 entre l’Iran et les 5 +1 parce que cet échec servait leurs intérêts, faisant allusion aux intérêts économiques impliqués. Il a également fait comprendre que si les membres du camp idéologique s´opposaient à la volonté du peuple, le peuple « entrerait dans l´arène », c´est-à-dire descendrait dans la rue.
En outre, le camp pragmatique a déclaré que la culture islamique ne devait pas être imposée de force – pas même dans le but de conduire le peuple au Paradis – et que le régime devait mener un dialogue avec les États-Unis et répondre aux exigences de la communauté internationale.
S’agissant de la question nucléaire, le camp pragmatique a non seulement appelé au dialogue avec les États-Unis et à l´ouverture vis-à-vis de la communauté internationale, mais a également laissé entendre que la situation actuelle nécessitait d’imiter l´ayatollah Khomeiny en 1988 – c´est-à-dire de boire la « coupe empoisonnée » en prenant des décisions difficiles quant au dossier nucléaire.
Le chef d´Etat-major de l´armée iranienne appelle à éviter un schisme
Le conflit s´est détérioré au point que le 19 mai 2014, lors d´une conférence en présence de la direction politique et militaire, le chef d’Etat-major de l´armée iranienne Hassan Firouzabadi a appelé les hauts responsables du régime à « éviter le schisme, les rumeurs et les accusations sans fondement ».
A. Savyon et Y. Carmon