Dans une longue interview sur la BBC en arabe, Nadia Al-Sakkaf, rédactrice en chef du Yemen Times en anglais, évoque les problèmes auxquels sont confrontées les femmes de son pays. Selon elle, le Yémen doit adopter un système fédéral, sur le modèle des Emirats Arabes Unis, et il n’est pas dans l’intérêt de l’Arabie saoudite d’avoir pour voisin un Yémen démocratique, fort et développé. Le niqab est une « nouveauté artificielle », vouée à disparaître, et les femmes yéménites, qui se sont émancipées pendant la révolution de 2011, « ne seront pas renvoyées chez elles ». Al-Sakkaf se trouvait à Londres pour prendre part à l’événement international de la BBC, « 100 Women », qui rassemble des femmes du monde entier et de tous les horizons pour une journée de débats.
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Voici des extraits de l’interview, diffusée sur BBC Arabic TV le 27 octobre 2013:
Nadia Al-Sakkaf: Ma première année en tant que rédactrice en chef du Yemen Times fut très difficile. Tout le monde était sûr que j’allais échouer. Ils disaient: « Qui est-elle pour prendre la place de son père ? Comment va-t-elle porter le Yemen Times vers de nouveaux sommets ? » Je crois que les prix internationaux remportés par le Yemen Times sont la meilleure réponse. Ces prix ne sont pas remis sans raison.
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Une grande partie de la critique dirigée contre moi venait des hommes, quand j’ai commencé à promouvoir les questions des femmes en première page. Prenez, par exemple, l’important écart entre les hommes et les femmes: le Yémen a été classé dernier dans le monde pendant cinq années consécutives. Pour moi, c’est catastrophique. Comment le Yémen peut-il laisser ses femmes à un tel niveau ? J’ai publié cela en une.
Journaliste: Détestez-vous les hommes ? Vous avez affirmé dans une interview que vous avez renvoyé la moitié des hommes qui travaillaient pour le journal, quand vous en avez pris la direction.
Nadia Al-Sakkaf: Je devais le faire parce que j’ai rencontré une forte opposition en tant que femme à un poste de direction. Les hommes orientaux n’aiment pas travailler sous [les ordres] d’une femme. Je me suis heurtée à une grande opposition. J’ai essayé de travailler avec eux pendant un an. Comme je n’y parvenais pas, j’ai dû leur montrer la porte.
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Je me considère très chanceuse d’être là où je suis. J’ai essayé de transmettre mon expérience à de nombreuses femmes yéménites, en particulier aux plus jeunes, parce qu’elles ont besoin d’un modèle à suivre. Je suis une femme mariée et une mère, et je m’assure que mon apparence soit conforme aux normes de la société yéménite, parce que j’y crois. Je ne cherche pas à choquer la société ou à me faire passer pour une déviante. Je suis considérée comme un modèle à suivre, mais dans le même temps, je préserve l’héritage et l’identité yéménites. Cela aide…
Journaliste: Mais vous êtes opposée au niqab.
Nadia Al-Sakkaf: Oui. Il ne fait pas partie de l’identité yéménite. Le niqab se porte seulement dans les villes. Dans les zones rurales du Yémen, vous voyez de belles couleurs vives, comme [mon voile]. Le niqab ne fait pas partie du patrimoine yéménite. Il s’agit d’une nouveauté artificielle, et comme toutes les nouveautés artificielles, il est voué à disparaître. Je n’encourage pas le port du niqab. Absolument pas.
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Je n’ai jamais dit que le wahhabisme déformait l’islam, parce que je ne suis pas une décisionnaire religieuse, et que je ne suis pas qualifiée pour porter un jugement sur quelque école de pensée religieuse que ce soit. Cela dit, il y a une forte influence saoudienne au Yémen. L’Arabie saoudite est notre grande sœur, en plein sens du terme, et par conséquent, le Yémen est fortement influencé par l’Arabie saoudite. Mais par le passé, le Yémen était soumis à l’influence ottomane. Certains disent même que les Yéménites ont reçu le [niqab] noir des Turcs. Nous ne devrions pas chercher de coupable pour notre situation actuelle.
Journaliste: L’Arabie saoudite joue-t-elle un positif ou négatif au Yémen ?
Nadia Al-Sakkaf: L’Arabie saoudite est une grande bienfaitrice du Yémen. Le pétrole saoudien a sauvé le Yémen dans les pires crises. Dans le même temps, l’Arabie saoudite dominait le Yémen. L’Arabie saoudite a acheté la loyauté de nombreuses tribus yéménites, soutenant parfois la tyrannie et la dictature, au détriment du changement, et de la république en général.
L’Arabie saoudite veut un voisin qui ne lui cause pas de soucis, et par conséquent, elle essaie de maintenir la stabilité au Yémen. Mais est-ce dans l’intérêt de l’Arabie saoudite que le Yémen soit un pays développé et fort, qui lui ferait concurrence ? Bien sûr que non. Est-ce dans son intérêt que le Yémen adopte un système démocratique et révolutionnaire, qui pourrait nuire à son système monarchique ? Bien sûr que non. Cela est vrai non seulement pour le Yémen, mais aussi pour Bahreïn.
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La désintégration et le fédéralisme sont deux choses différentes. Je soutiens le fédéralisme. Je crois que le Yémen devrait être divisé en régions, dans le cadre d’un Etat fédéral, comme les Émirats arabes unis, par exemple. Je ne dis pas que nous devrions nous conformer totalement au modèle des Émirats arabes unis, mais le prendre comme référence. Un système fédéral permettrait de résoudre le problème du Yémen du Sud. Le Yémen resterait un Etat unique, mais dans un système fédéral.
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L’Etat fédéral est la réponse. C’est l’alternative proposée pour la sécession [du Yémen du Sud]. L’alternative à la fois à l’Etat centralisé du passé, et à la sécession, est un Etat fédéral. Ce compromis pourrait satisfaire toutes les parties.
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Je ne pense pas qu’il y ait eu une révolution au Yémen en 2011. Elle a commencé comme une véritable révolution, mais elle n’a pas abouti. Certes, il y a eu un changement, mais ce changement a été contenu. Un accord politique a été signé afin de mener le Yémen du point A au point B. C’est ce qui s’est passé.
Notre révolution est à venir. Nous l’appelons la « Révolution des affamés ». Elle viendra, à moins que les choses ne s’améliorent. Les cinq prochaines années sont la seule chance du Yémen de se tenir sur ses deux jambes.
Journaliste: Vous l’appelez la « Révolution des affamés », mais certains l’appellent la « Révolution des femmes ».
Nadia Al-Sakkaf: Les femmes ont pris part à [la révolution de] 2011 et elles sont là pour rester. Il n’y a pas de retour en arrière. Les femmes qui sont descendues dans les rues en 2011 ne seront pas renvoyées à la maison, on ne leur dira pas que tout est fini et qu’elles ne sont pas autorisées à participer à la vie politique.
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