La question du mariage des enfants a récemment fait la une des journaux au Nigeria, suite à un débat au Sénat sur une série d’amendements constitutionnels proposés par le Comité de révision de la Constitution. L’une des modifications proposées porte sur l’article 29 de la Constitution, qui traite du renoncement à la citoyenneté. La section précise que le citoyen doit être majeur pour renoncer à sa citoyenneté. L’article 29 (4)(a) souligne que « majeur » signifie être âgé de 18 ans ou plus, mais le paragraphe 29 (4)(b) ajoute que « toute femme mariée est considérée comme majeure. » Le Comité de révision a demandé la suppression de cette dernière clause, considérée comme discriminatoire à l’égard des femmes.
La recommandation du Comité de retirer la clause a été initialement approuvée par le Sénat à 75 contre 14 voix (les amendements constitutionnels requièrent une majorité des deux tiers, soit 73 voix). Toutefois, le vice-chef des minorités Ahmed Sani Yerima s’y est opposé. Selon lui, la suppression de la clause laisserait entendre que 18 ans est l’âge minimal pour se marier, ce qui contredit la charia islamique. Il affirme: « D’après la loi islamique, une femme mariée est majeure, et si vous affirmez que 18 ans est l’âge minimal pour le mariage, vous allez à l’encontre de la loi islamique ». [1]
Suite au débat né de la controverse, l’amendement du Comité a été soumis à un nouveau vote, et n’a été soutenu que par 60 sénateurs cette fois. Comme l’ONG Girls Not Brides (Filles Pas Epouses) le souligne: « Cela ne signifie pas que les sénateurs ont voté la légalisation du mariage des enfants au Nigeria. La clause litigieuse fait partie de la Constitution [nigériane] depuis 1979, et sa portée s’est toujours limitée à la question du renoncement à la citoyenneté. Toutefois, la décision des sénateurs de maintenir la clause, et en particulier les arguments qui les ont convaincus de le faire, ont été considérés par beaucoup comme une légitimation implicite du mariage des enfants ». [2]
Le sénateur Yerima est réputé pour ses idées islamistes. Pendant son mandat de gouverneur de l’Etat de Zamfara en 1999-2007, il fut le premier à appliquer la charia dans son Etat, ce qui a incité 11 de ses homologues du nord du Nigeria à l’imiter. [3] Il y a quelques années, il a créé la controverse en se mariant avec une Egyptienne âgée de 13 ans.
Il convient de mentionner que la Loi sur les droits de l’enfant, adoptée par le Nigeria en 2003, fixe l’âge minimal du mariage à 18 ans ; toutefois, seuls deux tiers des 36 Etats du Nigeria l’ont approuvée. Par conséquent, dans certaines parties du pays, l’âge minimal est de 12 ans. [4] Selon un rapport de l’UNICEF, en 2000-2008, 39 % des jeunes mariées nigérianes avaient moins de 18 ans. [5]
La clause retenue par le Sénat, définissant les filles mariées comme des adultes, a suscité de vives réactions dans la presse nigériane et au sein des organisations sociales civiles, qui ont lancé une campagne de sensibilisation à la question du mariage précoce au Nigeria sur Internet. L’avocate et militante des droits des femmes Funmi Falana a réagi dans un article en anglais intitulé « Sénateurs, allez-y, supprimez-la [la clause] ! ». Elle explique que l’article 29 (4)(b) doit être retiré de la Constitution car il légitime implicitement le mariage des mineurs, et enfreint par la même non seulement la Loi sur les droits de l’enfant, mais aussi l’article 42 de la Constitution, qui interdit la discrimination sur la base du genre, ainsi que la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant, ratifiée par le Nigeria en 2001. Rappelant que le mariage des mineures engendre de graves problèmes sociaux et médicaux, un faible niveau d’études chez les femmes et un fort taux de morts nés et de mortalité maternelle, elle exhorte le Nigeria à imiter des pays musulmans comme le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, l’Égypte, le Somalie et le Yémen, qui ont fixé l’âge minimal du mariage à 18 ans. Falana déclare également que la position de Yerima reflète une mauvaise lecture de l’islam, qui n’ordonne pas le mariage des filles mineures.
Ci-dessous quelques extraits de son article. [6]
Révision de la Constitution de la République fédérale du Nigeria
« Il est de notoriété publique que l’Assemblée nationale [nigériane] [7] a entamé le processus de révision de la Constitution de la République fédérale du Nigeria de 1999… La semaine dernière, le Sénat a décidé d’amender l’article 29 de la Constitution relatif au renoncement à la citoyenneté. Ledit article énonce:
29 (1) Tout citoyen majeur qui souhaite renoncer à la nationalité nigériane doit faire une déclaration comme prescrit pour le renoncement…
(4) Aux fins de la sous-section (1) du présent article.
a. « Majorité » signifie dix-huit ans et plus.
b. Toute femme mariée est considérée comme majeure.
«… L’article 29 (4)(a) de la Constitution pose l’âge de la « majorité » à 18 ans. Toutefois, reconnaissant le mariage des enfants, l’article 29 (4)(b) de la Constitution stipule que « toute femme mariée est considérée comme majeure ». Lors de la campagne pour la révision de la Constitution, la communauté des droits de l’homme a constitué un dossier solide pour abroger le répréhensible article 29 (4)(b) de la Constitution ».
« Ayant épousé une adolescente de 13 ans… Le sénateur Yerima a eu l’audace de faire pression sur le Sénat contre l’abrogation de l’article 29 (4)(b)”
« En conséquence, le Comité de révision de la Constitution du Sénat a demandé à juste titre que la clause soit supprimée de la Constitution, puisque la citoyenneté n’est pas une affaire de genre. Toutefois, dans sa participation au débat sur la question sur les planches du Sénat, le sénateur Ahmed Sani Yerima a plaidé contre l’abrogation de la clause au motif qu’elle serait contraire à la religion de l’islam. Le sénateur a voulu persuader ses collègues qu’une fois mariée, une fille se métamorphose automatiquement en adulte, et par conséquent, est capable [de prendre] une décision avertie sur le renoncement à sa nationalité.
Des groupes sociaux civils nigérians ont lancé le # hashtag ChildNotBride dans une campagne visant à définir un âge minimal pour le mariage dans la Constitution nigériane (Photo: 360nobs.com)
« Étonnamment, le Sénat a approuvé l’intervention trompeuse du sénateur Yerima et a entrepris de voter contre la demande d’abrogation de la clause controversée de la Constitution. Ayant épousé une enfant égyptienne de 13 ans en 2010, en violation de la Loi sur les droits de l’enfant de 2003, sans aucune pénalité, le sénateur Yerima a eu l’audace de faire pression sur le Sénat contre l’abrogation de l’article 29 (4)(b) de la Constitution, qui reconnaît le mariage des enfants.
« En rejetant la demande, les sénateurs ont [ignoré] l’article 42 de la Constitution, qui abolissait la discrimination sur des critères d’opinion politique, d’origine, d’ethnie, de sexe ou de religion. Le Sénat a également occulté le fait que la Loi sur les droits de l’enfant de 2003 a fixé à 18 ans l’âge minimal du mariage au Nigeria, conformément à la clause de la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant, ratifiée par le Nigeria en 2001… »
Affiches distribuées dans le cadre de la campagne en ligne de « Child Not Bride » (Photo: 360nobs.com)
« Tous les Etats qui ont refusé d’adopter la Loi sur les droits de l’enfant se trouvent dans les parties septentrionales [du Nigeria, majoritairement musulmanes] »
« La Loi sur les droits de l’enfant, applicable sur le Territoire de la capitale fédérale, a été adoptée par 24 États. Hormis Enugu dans le Sud, tous les Etats qui ont refusé d’adopter la Loi sur les droits de l’enfant se trouvent dans les régions du nord du pays… L’article 15 de la Loi sur les droits de l’enfant impute au gouvernement le devoir de fournir une éducation gratuite et obligatoire, du primaire à l’école secondaire de premier cycle, à chaque enfant. Ainsi, en refusant d’adopter la Loi sur les droits de l’enfant, les Etats susmentionnés continuent de promouvoir le mariage et le travail des enfants, ainsi que l’analphabétisme et l’ignorance au sein du pays.
« En lisant l’article 29 (4)(b), [nous observons] que l’interprétation judiciaire de cet article dépasse [la question du] mariage des enfants. Malheureusement, l’interprétation de cet article dénote que toute petite fille mariée est considérée comme adulte et par conséquent, est supposée avoir une responsabilité pénale et contractuelle, le droit à un testament, et peut intenter un procès et être poursuivie en justice, car elle est présumée majeure !
« Le sénateur Yerima et consorts ont fait valoir, avec leur pauvre compréhension de l’islam, que le mariage des mineurs est une pratique acceptable pour les musulmans et que la loi n’empêchera pas l’individu d’exercer sa religion. De façon générale, la Loi n’interférera pas avec la religion, à moins qu’elle soit jugée contraire aux lois de justice naturelle, d’équité et de conscience. Une compréhension globale de la pratique de l’islam révèle qu’il n’est pas obligatoire que les filles se marient alors qu’elles sont mineures. »
Le sénateur Yerima aurait épousé Mariam Maged M. Eladly, du Caire, quand elle avait 13 ans. Cette photo circule sur les réseaux sociaux. (Photo: urbanpostng.com)
Caricature montrant le sénateur Yerima épousant une enfant (Photo: ournaira.com)
« Un bon nombre de savants islamiques se sont donc levés contre cette tendance, en particulier face aux défis rencontrés par [les filles] et les femmes partout dans le monde: l’analphabétisme, la pauvreté, la violence et la fréquence des cas de fistule vésico-vaginale… et recto-vaginale [un état de santé critique généralement dû à un travail prolongé…] Comme Mme Maryam Uwais [présidente de l’ONG Isa Wali Empowerment Initiative] l’a judicieusement observé, « la partie nord du Nigeria continue d’éructer les indices les plus déplorables du Nigeria sur les questions relatives à la santé, la nutrition, l’éducation, l’autonomisation et la productivité. Par conséquent, le chômage, l’insécurité, la violence et la pauvreté demeurent monnaie courante dans cette région. Les statistiques montrent que les 2/3 des 102 millions de pauvres au Nigeria vivent dans le Nord. L’extrême pauvreté du Nord se traduit par une vulnérabilité accrue face aux effets du changement climatique, de l’insécurité alimentaire et de bien plus encore. Or la moitié des femmes du Nord se marient avant l’âge de 16 ans et [accouchent] dans la première année du mariage. 70,8 % des jeunes femmes de 20-29 ans de la zone du Nord-Ouest sont incapables de lire ou d’écrire car ces filles sont privées d’éducation très tôt dans la vie. Les statistiques montrent également que le taux de morts-nés et de décès est de 50 % plus élevé chez les nourrissons nés de mères âgées de moins de 18 ans… Chaque jour, 144 femmes meurent en couches au Nigeria, le Nord-Est à lui seul ayant un taux de mortalité 5 fois plus élevé que le taux mondial de mortalité maternelle.
« Les pays ayant une forte population musulmane, comme le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, l’Egypte, la Somalie, le Yémen et le Bangladesh, ont fixé l’âge minimal du mariage à 18 ans, ayant pris en compte les dangereux risques pour la santé sociale, physique et mentale précités liés aux mariages d’enfants. Ainsi, l’insistance de notre honorable sénateur Yerima pour que cette pratique demeure sacro-sainte est bizarre, même sous la charia ». [8]
Tiré de la vidéo YouTube [9] d’un bloggeur nigérian-britannique, Ikenna Azuike, qui se moque du sénateur: Yerima lutte contre la justice et la raison et protège les droits « des hommes de plus de 50 ans qui pensent que c’est OK d’épouser une fille de 13 ans. »
« Le Nigeria a l’obligation… d’annuler les pratiques coutumières justifiant la discrimination à l’égard des femmes »
« Le Nigeria, comme la plupart des autres pays, a ratifié la Convention des Nations unies pour les droits de l’enfant depuis 2001. Par conséquent, le Nigeria est tenu de donner effet à la présente Convention. Le Nigeria ne peut y déroger en instituant des lois municipales contradictoires. C’est conforme aux obligations imposées aux Nigeria en tant qu’Etat membre de l’Organisation des Nations unies… Des pratiques telles que la [coutume] ‘Nnaeto’ du droit autochtone d’Igbo [10], qui interdit aux femmes de témoigner en matière foncière, ont été déclarées inconstitutionnelles… [11] La [coutume] ‘Nrachi ‘, [12] qui permet à un homme de garder une de ses filles perpétuellement célibataire [afin] qu’elle élève ses enfants pour lui ; et la coutume ‘ili-ekpe’, qui permet uniquement aux enfants de sexe masculin d’hériter des biens de leurs pères, ont [aussi] été déclarées illégales et inconstitutionnelles… [13] De même, nous déclarons que le mariage d’enfants est incompatible avec nos différentes lois et conventions relatives aux droits et à la protection de l’enfant qui ont été ratifiées par le Nigeria… La loi interférera formellement avec toute coutume religieuse qui porte atteinte aux individus et à la communauté, et l’interdira. Le mariage d’enfants entre dans la catégorie de ces pratiques illégales…
« Il est grand temps que ceux qui se cachent sous [le couvert de] la religion [et tentent] de détruire l’avenir des enfants des pauvres et des défavorisés soient mis au défi de justifier leur hypocrisie et leur égoïsme.
« Il est de notoriété publique que certains projets de loi n’ont pas été entérinés, comme le projet de loi contre la violence à l’égard des personnes, le projet de loi sur l’égalité des chances des genres, la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) [14] et tous les autres projets de loi qui touchent aux droits des filles et des femmes. L’Assemblée nationale doit adopter ces projets de loi sans plus tarder.
« En conclusion, le maintien de l’article 29 (4)(b) est illicite et illégal, car il constitue une dérogation à l’engagement du Nigeria de respecter les conventions internationales et régionales. Il convient également de noter que légiférer sur les droits socio-économiques au Nigéria aura pour conséquence à long terme de réduire le niveau de pauvreté des moins privilégiés.
« A la lumière de ce qui précède, nous demandons à l’Assemblée nationale et aux différentes institutions de l’Assemblée des États de voter pour l’abrogation de l’article 29 (4)(b) de la Constitution. »
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[1] Sunday Trust (Nigeria), le 28 juillet 2013
[2] http://www.girlsnotbrides.org/
[3] Les musulmans du Nigeria, qui représentent environ 50 % de la population, sont concentrés dans le nord du pays.
[4] http://www.girlsnotbrides.org/
[5] Voir: http://www.unicef.org/protection/Progress_for_Children-No.9_EN_081710.pdf
[6] This Day Live (Nigeria), le 30 juillet 2013. L’original en anglais a été légèrement modifié par souci de clarté.
[7] L’Assemblée nationale, le parlement bicaméral du Nigeria, se compose de 109 membres du Sénat et d’une Chambre des représentants de 360 membres.
[8] http://omojuwa.com, 20 juillet 2013
[9] http://www.youtube.com/watch?v=A7ApH7jomcM
[10] Le peuple Igbo est un groupe ethnique du sud-est du Nigeria.
[11] Voir http://www1.chr.up.ac.za/index.php/browse-by-subject/417-nigeria-uke-and-another-v-iro-2002-ahrlr-155-ngca-2001.html
[12] http://www.lawpavilionpersonal.com/ipad/books/12330.pdf
[13] Voir http://www.lawpavilionpersonal.com/ipad/books/12330.pdf
[14] La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), adoptée en 1979 par l’Assemblée générale des Nations Unies, est souvent définie comme une charte internationale des droits des femmes. Composée d’un préambule et de 30 articles, elle définit ce qui constitue une discrimination à l’encontre des femmes et prévoit un programme d’action national pour mettre fin à de telles pratiques.