Introduction
Le 13 mars 2011, les forces libanaises du 14 mars envisagent d’organiser une manifestation de masse à Beyrouth pour marquer le sixième anniversaire de la création du mouvement. En prévision de la manifestation, les Forces du 14 mars et les Forces celles du 8 mars ont rivalisé de virulence dans leurs discours. Les récents discours du Premier ministre intérimaire Saad Al-Hariri ont porté sur trois questions centrales: les armes du Hezbollah, le “coup d’Etat” perpétré contre sa personne, et l’enquête du TSL sur l’assassinat de son père, Rafic Al-Hariri. Le Hezbollah a réagi en assurant que se focaliser sur les armes du Hezbollah était susceptible de provoquer une guerre civile.
Al-Hariri et des Forces du 14 mars: les armes du Hezbollah, un instrument de chantage politique
Deux récents discours prononcés par Saad Al-Hariri – le premier le 14 février 2011, commémorant le sixième anniversaire de l’assassinat de son père, et le second deux semaines plus tard, le 28 février – ont tracé les grandes lignes de la nouvelle politique des Forces du 14 mars, qualifiée par Saad Al-Hariri de “retour aux sources”. Dans ces discours, il s’en est pris aux armes du Hezbollah, assurant qu’elles avaient été retournées contre des cibles libanaises et étaient devenues un moyen de chantage politique et de prise de contrôle du pays. Dans son premier discours, il a déclaré: “Nous n’acceptons pas les armes [du Hezbollah], et nous ne nous soumettrons pas aux armes pointés sur des hommes et femmes libanais pour nous faire chanter… ou exercer des pressions sur les membres du parlement… C’est un problème essentiel qui touche à la stabilité nationale. Nous ne nous rendrons jamais aux armes [en tant que moyen de] contrôle de la vie de la nation libanaise.” [1]
Dans son deuxième discours, Saad Al-Hariri a qualifié le problème des armes du Hezbollah de “problème national évident qui requiert une solution évidente.” [2] En outre, il a fustigé les tentatives du Hezbollah visant à faire glisser le Liban dans le camp régional de la Syrie et de l’Iran, affirmant que ce camp n’avait rien à voir avec l’arabisme ou le Liban. [3]
Un autre point essentiel des discours de Saad Al-Hariri a été le “coup d’Etat” du Hezbollah perpétré contre les institutions publiques lors du retrait des ministres de l’opposition du gouvernement d’union nationale, provoquant sa chute et à la nomination du nouveau premier ministre Najib Al-Mikati, qui entretient des liens étroits avec la Syrie et soutient la résistance. Saad Al-Hariri a souligné que les Forces du 14 mars défendaient la constitution et la démocratie: “Notre plan concernait et concerne encore l’Etat, la constitution et les institutions [d’Etat], ainsi que la défense de l’arabité du Liban, sa souveraineté, son indépendance, et le régime démocratique.” [4] Il a réitéré son soutien au TSL, appelant le peuple libanais à participer à la manifestation du 14 mars (déplacée au 13 mars).
Ces discours ont représenté le coup d’envoi d’un nouveau combat entre les Forces du 14 mars et les Forces du 8 mars sur l’avenir du Liban – un combat centré sur la question des armes du Hezbollah et la loyauté de l’organisation à des forces étrangères plutôt qu’à la souveraineté et l’indépendance du Liban et de ses institutions. [5]
Il convient de noter que la question des armes du Hezbollah se trouvait au centre du dialogue national, lancé lors de la nomination de Michel Suleiman à la présidence en 2009. Ce dialogue discret, mené sous l’égide du président, n’a pas eu de résultat concret. Aujourd’hui toutefois, à la lumière des derniers soulèvements, les Forces du 14 mars ont apparemment décidé de lancer une campagne directe contre le Hezbollah, évoquant les questions épineuses de la souveraineté du Liban et de son régime démocratique, et dénonçant les armes du Hezbollah.
Dans son discours du 14 février, Saad Hariri a comparé la lutte des Forces du 14 mars au soulèvement en Egypte: “C’est le même chemin que le peuple égyptien a emprunté… afin de recouvrer l’espoir… la volonté, et la détermination [de parvenir à] la liberté et la démocratie. Et il a réussi… Nous avons emprunté la voie de la liberté en 2005, et nous retournerons à cette voie – la voie des Forces du 14 mars – tous ensemble.” [6]
‘Ali Noun, chroniqueur pour le quotidien libanais Al-Mustaqbal, écrit que la lutte est devenue une question de survie nationale: “La structure entière menace de s’effondrer, la souveraineté et l’indépendance… la liberté et la paix… Le choix de la survie plutôt que de la destruction ne doit pas faire l’objet d’un débat intellectuel. Il est au cœur même des choses…” [7]
Alors que Saad Al-Hariri a déclaré la guerre à la légitimité des armes du Hezbollah, le député Mustafa Aloush, membre du Bureau politique d’Al-Mustaqbal, écrit un article affirmant que le Hezbollah est un corps étranger au Liban et donc totalement illégitime: “…le Hezbollah est fidèle… au projet de propagation de la jurisprudence [iranienne]… C’est une décision politique qu’il ne peut pas trahir. Il s’agit d’un plan divin que [le Hezbollah] doit mettre en œuvre… puisque, selon ses convictions, c’est une condition préalable à la venue du Mahdi [le messie chiite]. Par conséquent, toute tentative de reconnaître le Hezbollah comme un élément légitime au Liban… est illusoire…” ‘Aloush émet en outre des doutes quant à l’affirmation selon laquelle les armes du Hezbollah seraient uniquement un moyen de dissuasion face à Israël: “Pour le Hezbollah, posséder des armes est [simplement] la seule façon d’obtenir la supériorité sur les autres parties de la société libanaise, afin de contourner le caractère pluraliste de ce pays… La résistance est une affaire secondaire pour ce mouvement. C’est une excuse pour continuer à posséder des armes…” [8] Le président du parti Kataeb (Phalanges) Amin Gemayel a déclaré dans un discours du 10 mars que les armes du Hezbollah avaient pour but de défendre la Syrie et symbolisaient l’implication de la Syrie au Liban. [9]
Menaces en sourdine du Hezbollah
Les Forces du 8 mars ont considéré la dénonciation de leurs armes comme une escalade du conflit les opposant aux Forces du 14 mars. Initialement, le Hezbollah s’est abstenu de faire des commentaires, et les réactions sont venues de ses alliés. Par exemple, Michel Aoun a qualifié la dénonciation des armes du Hezbollah de “coup dur pour les idéaux nationaux et la coexistence”. [10] L’ancien vice-président du parlement Elias Al-Firzli, un chrétien pro-syrien, a écrit dans le quotidien pro-syrien Al-Safir que le silence du Hezbollah indiquait qu’il n’avait “aucun intérêt à entrer dans un débat qui tournerait inévitablement en faveur d’Al-Hariri. L’attaque d’Al-Hariri”, a-t-il ajouté, “a pour objectif de happer une nouvelle fois le Hezbollah nouveau dans [l’abîme des] conflits inter-communautaires… et d’attiser l’hostilité entre sunnites et chiites…” [11]
Depuis qu’Al-Mikati a été chargé de former un gouvernement, le Hezbollah n’a cessé de prétendre vouloir un gouvernement représentant tous les secteurs du pays, sunnites, chiites, Druzes et chrétiens, afin que le gouvernement d’Al-Mikati ne soit pas perçu comme étant dominé par le Hezbollah.
Le Hezbollah et ses alliés mettent en garde contre une guerre civile
Le silence du Hezbollah n’a toutefois pas duré longtemps. Le 8 mars, l’un de ses députés, Nawaf Al-Moussaoui, a déclaré que le slogan “le peuple dit non aux armes [du Hezbollah]” conduirait à une “guerre civile totale”, et que tous ceux qui faisaient usage de ce slogan “ne comprenaient ni sa signification ni ses [implications] dangereuses, ainsi que les dommages susceptibles d’être causés contre de larges secteurs du peuple libanais et arabe”. [12] Dans le même temps, le Hezbollah et Amal ont demandé à leurs membres de rester calmes et d’éviter toute provocation jusqu’à la manifestation du 13 mars.
Ibrahim Al-Amin, président du conseil du quotidien Al-Akhbar, affilié au Hezbollah, a accusé Al-Hariri de collaboration avec Israël: “… Saad Al-Hariri a déclaré qu’Israël était le seul ennemi, mais [le fait est qu’Israël] est la seule force qui reprend mot pour mot la position d’Al-Hariri sur les armes et la résistance. Les exigences d’Israël face aux Arabes, aux Libanais et au monde entier, sont identiques aux demandes de Saad Al-Hariri en ce qui concerne les armes de la résistance…” [13]
Les déclarations consécutives dans la presse pro-Hezbollah ont été encore plus dures. Le chroniqueur d’Al-Safir Sati ‘Nour Al-Din écrit: “S’attendre à ce que le Hezbollah garde le silence face à une attaque de l’un de ses principes les plus sacrés [les armes] est illusoire et dangereux. [Le Hezbollah] a déjà eu droit à ce procès, et les armes ont gagné… Elles gagneront à nouveau, mais cette fois le prix sera plus élevé que jamais avant.” [14] Le chroniqueur d’Al-Akhbar Jean Aziz écrit que les attaques contre le Hezbollah, intervenant alors que le tribunal international “s’apprête à lui couper sa tête”, conduiraient nécessairement à une guerre civile. [15]
* E. Picali est chargée e recherche MEMRI.
[1] Al-Mustaqbal (Liban), 15 février 2011.
[2] Al-Mustaqbal (Liban), 1er mars 2011.
[3] Al-Mustaqbal (Liban), 1er mars 2011.
[4] Al-Mustaqbal (Liban), 15 février 2011.
[5] Voir l’Enquête et analyse No.648 du MEMRI, 7 décembre 2010, http://www.memri.org/report/en/0/0/0/0/0/70/4820.htm.
Il convient de noter que le gouvernement Al-Hariri reconnaissait les armes du Hezbollah comme utiles à la défense du Liban.
[6] Al-Mustaqbal (Liban), 15 février 2011.
[7] Al-Mustaqbal (Liban), 14 février 2011.
[8] Al-Mustaqbal (Liban) 3 mars 2011.
[9] Al-Akhbar (Liban), 11 mars 2011.
[10] Al-Akhbar (Liban), 9 mars 2011.
[11] Al-Safir (Liban), 3 mars 2011.
[12] Al-Sharq Al-Awsat (Londres), 8 mars 2011.
[13] Al-Akhbar (Liban), 2 mars 2011.
[14] Al-Safir (Liban), 8 mars 2011.
[15] Al-Akhbar (Liban), 8 mars 2011.