Introduction
Alors que le gouvernement Obama s’est efforcé d’obtenir une avancée à la conférence d’examen du TNP de mai à New York, Téhéran a contre-attaqué sur la question du nucléaire, face aux Etats-Unis et à l’Occident.
Téhéran, hôte de la conférence du Groupe des 15, a présenté, le 17 mai, conjointement avec la Turquie et le Brésil, un accord d’échange d’uranium – après avoir rejeté un accord de même type, fin 2009 à Vienne.
Selon Téhéran, l’Iran serait disposé, en vertu de cet accord, à transférer 1 200 kg d’uranium enrichi à 3,5% (sur le stock des 1 600 kg dont l’Occident connaît l’existence) en Turquie pour bénéficier de sa supervision, afin de recevoir en retour 120 kg d’uranium enrichi à 20% dont il a besoin pour le réacteur de recherche de Téhéran. L’Iran attend de l’Agence internationale de l’énergie atomique, responsable de la mise en œuvre du TNP, qu’elle s’assure que la Russie enrichit l’uranium à 20% et que la France le transforme en combustible nucléaire devant être transféré en Iran, comme proposé précédemment par le Groupe de Vienne (les 5 +1). L’article 7 du nouvel accord garantit à l’Iran le droit de se retirer de l’accord si le Groupe de Vienne ne l’acceptait pas. [1]
Immédiatement après la signature de l’accord, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a appelé les 5 +1 à revenir à la table des négociations. Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères Ramin Mehmanparast a annoncé que cet accord n’empêcherait pas la poursuite de l’enrichissement nucléaire à 20% en Iran. [2]
Il a également été signalé que les détails de l’accord seraient fournis à l’AIEA dans la semaine, et que Téhéran, ainsi que les deux co-sponsors de l’accord, la Turquie et le Brésil, s’attendaient à ce qu’il entre en application dans le mois. Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé que si Ankara constatait que Téhéran ne recevait pas l’uranium enrichi à 20%, elle renverrait à l’Iran l’intégralité du stock des 1 200 kg d’uranium.
L’accord vu par l’Iran
Cet accord, qui correspond dans les faits à un ultimatum iranien à l’Occident et à l’AIEA, représente un succès important pour l’Iran, à deux niveaux:
1. Il implique l’instauration d’un nouvel ordre mondial dirigé par l’Iran. Il s’agit de l’application des déclarations du président iranien Mahmoud Ahmadinejad concernant la création d’un nouvel ordre mondial, et la nécessité pour Téhéran de participer à la direction des affaires mondiales, et même de présenter une alternative politique, culturelle et morale, à ce qui est qualifié d’échec des forces de l’ordre ancien – les États-Unis et l’Occident en général.
Cette avancée montre que l’Iran a réussi à chasser l’Occident, et en particulier les États-Unis, de l’élaboration d’un accord sur une question de politique mondiale, en s’appuyant sur les forces montantes que sont le Brésil, dont le projet nucléaire a un potentiel militaire, et la Turquie, force islamique régionale – alors même que l’accord présenté à Téhéran a les mêmes grandes lignes que celui proposé par l’Occident à Vienne.
Le recrutement du Brésil, grande puissance mondiale émergente et membre du Conseil de sécurité de l’ONU, a déplacé l’initiative iranienne hors de la sphère moyen-orientale et de la question du nucléaire iranien, première étape dans la construction d’un front politique global transrégional présenté par l’Iran comme une alternative à l’hégémonie occidentale [3].
2. L’accord nuira aux efforts des États-Unis et de l’Occident pour sanctionner l’Iran: maintenant que l’Iran a exprimé une véritable volonté de compromis sur la question nucléaire en respectant l’esprit de Vienne, l’Iran estime que les sanctions n’ont plu lieu d’être et que c’est l’Occident qui sera désormais placé dans une position de refus, et peu désireux de partager la technologie nucléaire avec les pays du tiers monde.
* A. Savyon est directrice du projet des médias iraniens.
[1] ISNA, Fars, Iran, le 17 mai 2010.
[2] IRNA, Iran, le 17 mai 2010.
[3] Pour l’Iran, cette initiative ne fait pas que rompre l’encerclement américain de l’Iran ; il constitue également une politique de contre-encerclement des États-Unis, par les pays d’Amérique latine.