“Demandez à un progressiste saoudien ce qu’il pense: il deviendra tout rouge”
“Au Koweït ou à Bahreïn, de nombreux progressistes affichent ouvertement leur vision laïque ou libérale [du monde] et se déclarent fièrement en faveur de la liberté et du changement. En Arabie saoudite au contraire, la plupart des libéraux ont peur d’émettre des avis divergeant des idées communément acceptées extrémistes. Cette crainte nuit au mouvement libéral saoudien, devenu un groupe clandestin aux objectifs obscurs pour le grand public.
Demandez à [un libéral saoudien en public]: ‘Quelle est votre orientation idéologique ? Êtes-vous progressiste ?’ Il deviendra tout rouge. Il insistera pour dire que ses opinions sont tout à fait conformes à la tradition et au patrimoine [spirituel de son pays], ainsi qu’à la réforme que l’État réalise graduellement et sagement, et qu’il est solidaire de l’ordre existant. Demandez-lui encore: ‘Êtes-vous libéral ?’ et il répondra à votre question par une autre question: ‘Qu’entendez-vous par libéralisme ? Qu’est-ce que le libéralisme ? Chacun a sa [propre définition du] concept’. [À ce stade,] vous vous lassez et faites une nouvelle tentative, dans l’espoir de sortir quelque chose de la conversation: ‘Ce n’est pas la définition du libéralisme qui m’intéresse. Dites-moi juste: Êtes-vous un libéral ou non ?’ Il répondra: ‘Je suis un homme qui appelle au progrès, au pluralisme et à la liberté d’opinion, à lutter contre l’extrémisme tout en préservant la tradition’, etc. Il ne tombera jamais dans le piège d’admettre une quelconque appartenance au mouvement libéral, parce que cela impliquerait de s’exposer au feu de la critique. Tout le monde le condamnerait et le qualifierait d’infidèle ayant abandonné sa religion et son peuple. Au lieu de reconnaître son appartenance idéologique et de se jeter dans le désert…, il rejoint le troupeau.”
En privé, le progressiste vous parlera soudain de Darwin, Rousseau et Nietzsche
“Toutefois, si vous lui parlez en privé, vous obtenez des réponses différentes. Ses déclarations renferment de nombreuses références à Darwin, Rousseau ou Nietzsche, et il se fait l’écho de mots qu’il ne comprend pas. Il fait une courte pause… puis parle d’un degré de liberté que le monde n’a jamais connu…
Ce décalage entre ce qui se passe dans la sphère privée d’une part et la presse et les médias de l’autre explique pourquoi le libéralisme saoudien a si peu d’impact et pourquoi le courant extrémiste domine dans tous les domaines… Croire en une idée, c’est se battre pour elle et s’efforcer de la mettre en application. En parler secrètement est efficace pour un temps donné, mais à long terme, comme on le voit aujourd’hui, cela revient à n’être pris au sérieux par personne. Si même les plus fervents défenseurs d’une conception donnée du monde [craignent de s’exprimer ouvertement], comment les autres la considéreront-ils ?
Les extrémistes… incitent à croire que le libéralisme est une hérésie, alors que cette conception du monde n’a rien à voir avec le fait d’être religieux ou non. Le libéralisme, c’est le droit de choisir et de penser librement, sans personne pour vous dicter votre mode de vie. Rares sont ceux en Arabie saoudite qui osent déclarer ouvertement leur libéralisme, défendre [leur conception du monde] et ses partisans, expliquer ce qu’elle signifie et qu’elle n’a rien à voir avec le rejet de la foi, comme le prétendent les détracteurs du libéralisme.”
Puis il y a ceux qui professent [des valeurs] libérales par hypocrisie
“Puis il y a ceux qui professent le libéralisme par hypocrisie, maintenant que l’atmosphère générale dans le pays est favorable au pluralisme et le climat politique à la reconnaissance des autres et à [leur droit à] la liberté. [Mais] si un politicien prononce un discours contre l’innovation et les défenseurs de la liberté, [ces hypocrites se taisent]. Au lieu de cela, vous découvrez que celui-la même qui citait Darwin se met à parler des Compagnons du Prophète et de ses successeurs. Son affiliation à une organisation donnée ou un courant d’idées n’est que temporaire, et se termine quand il perd la motivation personnelle qui l’avait poussé à y adhérer. Il vit en état d’immobilité et de suspension, en attendant de déterminer le climat politique actuel pour s’y adapter. Ses vues sont floues et il récite les opinions des autres, ne s’inquiétant de personne hormis de lui-même.
Les mouvements islamistes ne sont pas les seuls à tenter d’endiguer le mouvement libéral saoudien qui ne fait qu’éclore. Les libéraux eux-mêmes sont [à blâmer] car ils souffrent de deux nouvelles failles honteuse…: la honte etla peur.”
[1] Al-Rai (Koweït), le 19 avril 2010.