Dans un article d’Al-Quds al-Arabi intitulé « Est-il vrai que Sarkozy est l’ennemi des Arabes ? » [1], le Dr Muhammad Muslim al-Husseini recommande de ne pas se hâter de mal juger le nouveau président français, estimant que la politique internationale de Jacques Chirac, connu pour être un ami des Arabes, ne les a pas beaucoup aidés, et espérant que Sarkozy fasse mieux avec une stratégie d’amitié vis à vis d’Israël. Allant dans le même sens, un article de Saad Ben Teflah paru dans Asharq al-Awsat [2] sous le titre « Sarkozy et la nouvelle France » voit dans la nomination de Rachida Dati au poste de ministre de la Justice la preuve de « l’égalité des chances » offerte par la France et vante la franchise et l’honnêteté de Sarkozy au sujet de la question turque. Ci-dessous une traduction des deux articles:
« Bien qu’il soit difficile de connaître à l’avance la vérité sur la vision et les grands projets de Sarkozy concernant les Arabes et les musulmans, [le fait est que] la rue arabe en particulier, et musulmane en général, craint d’être déçue par le nouveau président français. Parmi les principales raisons des doutes et craintes des Arabes se trouvent les origines juives de Sarkozy – du côté de sa mère -, sa volonté affichée d’établir une forte relation d’amitié avec Israël et les Etats-Unis, et son refus de laisser entrer la Turquie dans l’Union européenne. En outre, ses slogans agressifs et le fait qu’il ait traité de racaille certains immigrés, ont heurté la sensibilité de certains Arabes et musulmans qui ont y ont vu de la haine pour les origines des communautés étrangères en France. »
« L’analyste politique juste et prudent ne peut prétendre, à la lumière des donnée actuelles, connaître la vérité sur les orientations de Sarkozy vis-à-vis des Arabes et des musulmans, ni sur ses projets et intentions à leur égard. Le fait de dresser le pont de l’amitié avec Israël ne signifie pas forcément renoncer à l’amitié qui lie la France à la majorité des Etats arabes, mais peut-être le contraire. Les relations tendues avec Israël sous l’ancien président français Jacques Chirac ne lui ont pas permis de faire pression sur les Israéliens pour qu’ils assouplissent leurs positions envers les causes palestinienne et arabes, ni de mettre un terme à leur persécution du peuple palestinien. De même, [Chirac] n’a pas réussi à faire avancer le processus de paix bloqué durant de longues années, ni à faire cesser le blocus sur le défunt président palestinien, Yasser Arafat. Donc, la France n’a pas réussi à aider les Palestiniens quand les ponts de son amitié avec Israël étaient rompus. Alors pourquoi ne pas voir ce que fera la France lorsque ses relations avec Israël s’amélioreront ? Ce sera peut-être un mal utile ! [3] »
« Il en est de même de la position de la France vis-à-vis de l’Amérique au sujet de l’Irak. Bien que la France se soit fâchée et insurgée contre l’Administration américaine déterminée à envahir l’Irak en 2003, elle n’a pas pu l’empêcher de le faire ; elle a, au contraire, permis à l’Amérique d’entrer seule en Irak, de piller les biens du pays et de s’ingérer dans ses affaires, tandis que la France, elle, a perdu les intérêts qu’elle avait dans ce pays. Et je ne crois pas que le différent franco-américain au sujet de l’Irak ait allégé ou allégera la tragédie irakienne. Au contraire, il n’a fait qu’empirer les choses ! Peut-être qu’un rapprochement politique entre la France et l’Amérique au sujet de l’Irak aura une influence positive sur le voisinage de l’Irak. Et ce rapprochement pourrait avoir des répercussions au sein d’un l’Irak éclaté qui a besoin que le monde s’entende à son sujet et non qu’il se querelle ! »
« Quant à l’attitude de Sarkozy envers les immigrés, elle est peut-être dans l’intérêt des immigrés et non contre eux. Il entend organiser l’immigration pour qu’elle ne soit pas anarchique, ne génère pas une hausse de la criminalité et de la violence et n’amène pas les Français à opter pour une position sévère et extrémiste à l’encontre des étrangers en général – cela afin d’éviter la confusion qui fait payer aux immigrés légaux le prix de l’anarchie et de la négligence. Les élections de 2002 ont prouvé que le peuple français commence à en avoir assez des problèmes accumulés à cause du contrôle insuffisant de l’immigration en France ; au moyen de ces élections, les Français ont transmis un message clair à leurs hommes politiques. Ainsi, le leader de l’extrême droite Jean-Marie Le Pen est arrivé au second tour des élections présidentielles. Donc, l’accumulation des problèmes dus à l’immigration augmentera progressivement le nombre des fanatiques en France, ce qui pourrait aboutir à [l’instauration] de politiques extrémistes à l’encontre les étrangers, dont le prix serait payé par les communautés immigrées établies en France [depuis longtemps]. »
Saad Ben Teflah écrit: « La nomination de Rachida Dati au poste de ministre de la Justice est une nouveauté exceptionnelle dans l’histoire politique de la France: [pour la première fois] une femme d’origine étrangère (de père marocain et de mère algérienne) accède à un poste ministériel important et sensible comme le ministère de la Justice. Cela n’est arrivé sous aucun des anciens présidents français, même sous ceux renommés pour leurs relations privilégiées avec les Arabes, comme l’ancien président Jacques Chirac ! Si cela veut dire quelque chose, c’est que Sarkozy suit une politique d’intégration qui lie l’immigré à la société française et qui amène la société française à intégrer l’immigré, afin de réduire la distance qui existe entre l’immigré et le Français de souche. Sarkozy a ainsi voulu montrer à ceux qui le taxent de racisme et d’arabophobie que leurs accusations sont injustifiées. »
« Quant à la question de l’entrée de la Turquie en Europe, elle a été tranchée par le peuple français, et non par Sarkozy. La majorité du peuple français refuse cette entrée et Sarkozy n’exprime que leur volonté. Avec sa franchise et son opposition ouverte, il diffère de ses prédécesseurs qui se sont [eux aussi] opposés à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, sauf que leur diplomatie les empêchait de s’exprimer avec franchise et honnêteté à ce sujet ! Or, si ses prédécesseurs refusent l’entrée de la Turquie et ne proposent pas d’alternative, Sarkozy, lui, a proposé une alternative intéressante pour la Turquie en la faisant entrer dans une union méditerranéenne. »
« A mon avis, les articles écrits [dans la presse arabe] sur les élections [présidentielles] françaises étaient superficiels dans leur majorité, et tournaient autour du désir naïf de faire élire tel ou tel candidat, car untel était plus proche des Arabes que les autres. Chirac est parti car son mandat a pris fin, et nous avons pleuré à chaudes larmes car c’était un ami des Arabes, alors qu’en vérité Chirac n’était l’ami que de la France, ainsi qu’un ami personnel de Saddam. Et je ne sais quelle illusion a frappé les Arabes concernant la [prétendue] sympathie de Chirac à leur égard… »
« L’élection de Nicolas Sarkozy contient plus d’un message clair, et quelques leçons: la France reste encore le pays de la liberté, de la justice et de l’égalité des chances pour ceux qui parviennent à en bénéficier avec intégrité et honnêteté, et la preuve en est que la France a élu le fils d’un immigré hongrois au poste présidentiel. Les superficiels et les naïfs parmi nous sont allés chercher sa relation au judaïsme, ont amené des échantillons de son sang au laboratoire du complot pour les tester et prouver que l’homme est juif et par conséquent sera contre les Arabes et allié au sionisme. » (…)
« En tout cas, ce qui est certain, c’est que si Sarkozy est juif, c’est un bon point pour la démocratie française où peut se faire élire le fils d’un immigré juif, issu d’une minorité qui ne dépasse pas quelques milliers dans un pays composé de millions de musulmans. Et s’il n’est pas juif, cela ne veut pas forcément dire qu’il sera un ami des Arabes et un ennemi d’Israël. »
« Le deuxième message est la nomination de Rachida Dati, d’origine maghrébine, à la tête d’un ministère important et sensible, celui de la Justice. Rachida est une femme de grande volonté qui a commencé sa vie comme femme de ménage avec sa mère et a travaillé dur – tout comme Sarkozy – pour obtenir son diplôme de droit et devenir une grande avocate. L’essentiel du message est que la justice et le droit s’appliquent à tous, et que le principe d’égalité des chances restera un principe français par excellence, à condition que ces chances soient utilisées en toute légalité. En d’autres termes, celui qui veut immigrer et vivre en France selon ses lois peut devenir un jour ministre dans son gouvernement, voire même président, quelque soit sa race, sa couleur ou sa religion. Quant à celui qui veut profiter du système pour pratiquer la paresse et bénéficier des aides [sociales] allouées aux chômeurs, se plaindre et pleurnicher contre le ‘racisme français’, il ne trouvera pas sa place dans l’espace des chances, ni même en France. »