Le 21 mars 2005, Ahmed Al-Baghdadi, écrivain et conférencier progressiste, professeur de sciences politiques à l’université du Koweït, a publié dans le quotidien libéral Al-Siyassa une demande d’asile politique adressée aux pays occidentaux. Al-Baghdadi, accusé de mépris envers l’islam, a été condamné par un tribunal koweïtien à trois ans de liberté surveillée sous caution de 2 000 dinars (6 800 dollars), et à un an de prison en cas d’infraction.
Dans un article publié le 5 juin 2004, Al-Baghdadi réagissait à la demande du ministère koweïtien de l’Education d’augmenter, dans les écoles privées, le nombre d’heures consacrées à l’instruction islamique afin d’inclure au programme des heures de récitation du Coran. En conséquence, les écoles privées se trouveraient dans l’obligation de revoir leurs programmes; un responsable ministériel a suggéré, pour ce faire, de remplacer les heures de musique par des heures d’études religieuses.
Suite à la publication de son article, Al-Baghdadi a été poursuivi en justice par trois islamistes pour mépris à l’encontre de l’islam. En janvier 2005, il a été acquitté par une instance inférieure qui a décrété qu’il n’avait fait qu’exprimer son opinion personnelle. Toutefois, le 19 mars, une cour d’appel a statué qu’Al-Baghdadi ne s’était pas contenté d’émettre son opinion et des critiques légitimes, mais avait suggéré l’existence d’un rapport entre la récitation du Coran, le retard intellectuel et le terrorisme. [1]
Après avoir fait afficher sur Internet une demande d’asile politique, Al-Baghdadi a publié, le 26 mars, un autre article annonçant qu’il cesserait d’écrire des articles au Koweït. Pour en savoir plus sur Al-Baghdadi, voir le projet de Réforme de MEMRI [2]
Voici quelques extraits de ses trois articles:
L’instruction musicale et le développement du goût artistique passent avant la récitation du Coran et les études religieuses
Dans son article du 5 juin, Al-Baghdadi écrit: « Je suis le père d’un enfant qui suit sa scolarité dans une école anglaise. J’ai choisi de le faire entrer dans cette école et de prendre à ma charge le coût de ses études pour protéger mon fils du retard propre au programme du ministère (koweïtien) de l’Education.
Or il est clair que le ministère de l’Education est bien décidé à miner, de façon systématique, l’enseignement privé, après avoir échoué dans l’enseignement public. Je ne fais pas partie de ceux qui craignent la religion, se laissent pousser la barbe et portent le turban; à mon avis, l’instruction musicale et le développement du goût artistique passent avant la récitation du Coran et les études religieuses (…)
Je ne veux pas que mon fils ait pour enseignants des ignorants sans respect pour les femmes et les non-musulmans. Je ne veux pas que les responsables du programme – qui sont en retard aussi bien au niveau cognitif qu’intellectuel – emplissent la tête de mon fils de traditions sur les démons.
Je veux que mon fils apprenne les langues étrangères – plus importantes pour lui que la langue morte qu’est l’arabe – et la musique, afin de développer son goût artistique, ainsi que les sciences, qui l’aideront dans la vie: la chimie, la physique, l’histoire et les sciences sociales (…)
En toute franchise, je ne tiens pas à ce que mon fils apprenne par cœur le Coran. Je ne veux pas qu’il devienne imam ou qu’il récite des prières dans les tentes des défunts. Je ne veux pas que son avenir s’inscrive dans la lignée du terrorisme intellectuel ou du terrorisme effectif.
Je veux un fils qui recherche la paix et qui aime tous les êtres humains, indépendamment de leur couleur, de leur race ou de leur religion. Je veux qu’il [contribue à] bâtir la société, non qu’il la détruise. Je veux pouvoir être fier de mon fils, fier de ses connaissances et de ses facultés de raisonnement, non de son retard intellectuel (…)» [3]
Je ne vois d’autre solution à ce grave problème de tyrannie juridique qu’une demande d’asile politique
Dans sa demande d’asile politique, adressée aux pays occidentaux le 21 mars, Al-Baghdadi écrit: « On exprime son opinion sur l’enseignement du programme religieux et on récolte une peine de prison, une interdiction d’écrire et une obligation de payer une caution pour faire cesser la peine. Voilà à quoi j’ai été condamné cette semaine (.)
Il n’y a d’autre solution à ce grave problème de tyrannie juridique que de demander l’asile politique à l’un des pays occidentaux – pas uniquement pour défendre ma liberté, mais aussi pour défendre ma vie. A quoi sert-il de demeurer dans un pays dont les lois ne protègent pas mon honneur et ma vie mais nuisent à ma famille, à mes enfants et me perturbent dans mon travail?
L’écrivain Abd El-Latif Al-Dueidj a eu raison d’émigrer du Koweït, de s’installer aux Etats-Unis et de se mettre à écrire de l’étranger. Il a ainsi préservé son honneur et celui de sa famille, ainsi que sa liberté d’expression, et a échappé à l’humiliation de l’emprisonnement (.)
Suite à cette condamnation, je n’ai d’autre choix que de faire une demande publique d’asile politique aux pays occidentaux par Internet. Je ne le fais pas par haine pour mon pays, mais plutôt par haine de ses lois tyranniques, [par lesquelles] on emprisonne sans hésitation ceux qui expriment leur opinion, même quand celle-ci n’a rien à voir avec la religion. Je sais très bien que l’islam n’exige pas des musulmans qu’ils apprennent le Coran par cœur, car Allah a dit dans le Coran: « Récitez donc à haute voix ce qui vous est possible du Coran. » [4] (.)
Je ne sais comment faire pour demander l’asile politique; je ne me suis jamais intéressé au problème, étant convaincu que mon honneur était sauf dans mon pays et que ma vie était protégée. Mais la situation a changé, et il est clair que tous mes ennemis – si nombreux dans ce pays – cherchent à tout prix à m’emprisonner. C’est pourquoi je serais reconnaissant à quiconque connaît la procédure de me communiquer les informations nécessaires par fax (965-4721840) ou e-mail à awtaad@yahoo.com. »
Félicitations au mouvement religieux et à l’Etat tyrannique pour leur victoire
«Je suis bien obligé d’admettre que le mouvement religion a gagné la partie contre moi. Je lui adresse mes félicitations, ainsi qu’à l’Etat tyrannique, pour cette victoire. Je n’écrirai rien qui se rapporte à la religion, jusqu’à ce qu’Allah tienne sa promesse (…)
Pour finir, je tiens à souligner que le pays qui répondra à ma demande d’asile politique n’aura pas à débourser un centime, vu que je peux vivre de ma pension et des mes revenus de journalise (…)» [5]
Ma condamnation est semblable à la roulette russe
Près d’une semaine après la publication, par Al-Baghdadi, de sa demande d’asile politique, il a annoncé sa décision de cesser d’écrire au Koweït. Dans un article d’adieu, paru le 26 mars dans Al-Siyassa, il écrit: «Ma dernière condamnation ressemble au jeu mortel de la roulette russe (…) [La condamnation] est tapie, prête à bondir à n’importe quel moment, à n’importe quel mot, à n’importe quel [futur] article (…) Je tire sans savoir si la balle (la loi) m’enverra à la mort (la prison) dès que je sors ma plume. Etant donné que je ne suis pas de ceux qui ont pour habitude de jouer leur vie – vu que je crois à la constitution, qui m’a accordé la liberté d’expression -, je suis sûr de perdre à ce jeu mortel avec la loi (…)
Voilà pourquoi, un jour après avoir croisé le regard effrayé des êtres qui me sont chers, en ce maudit matin où le verdict de ma condamnation est tombé et où j’en ai étudié les détails, j’ai déclaré ma défaite (…)
Je n’ai d’autre arme que ma plume, que la loi a brisée, et je n’ai donc d’autre choix que de me rendre (…)
Ce sont là mes derniers mots. Il n’y en aura pas d’autres, pas même si la cour d’appel revient sur sa décision (…)
Ce qui est en jeu n’est pas une simple condamnation, mais une atmosphère viciée où les microbes et les virus de la haine et de la tyrannie pullulent. C’est la fin de mes articles au Koweït, pays dans lequel j’ai autrefois cru. Je ne m’attendais pas à être condamné de la sorte.»
Les écrivains progressistes devraient se tenir sur leurs gardes
«J’espère que les écrivains progressistes se tiendront sur leurs gardes – car nul ne sait à qui le tour la prochaine fois. Ecrire à l’ombre de la peur est impossible, tout comme vivre à l’ombre de la peur (…) Je me remettrai à écrire si un jour je quitte le Koweït (…)» [6]
[1] En octobre 1999, la cour pénale a condamné Baghdadi à une peine d’un an de prison pour avoir diminué le prophète Mahomet dans une interview de presse. Le gouverneur du Koweït, le cheikh Jabir Al-Ahmed Al-Sabbah, lui a pardonné après treize jours. Al-Hayat (Londres), le 21 mars 2005.
[2] Pour plus d’informations sur Al-Baghdadi, voir:
MEMRI TV Clip n° 220 “Kuwaiti Liberal Ahmad Baghdadi: There’s No Difference between Armed and Unarmed Religious Groups. http://memritv.org/Search.asp?ACT=S9&P1=220; les Dépêches spéciales de MEMRI
n° 823: http://www2.memri.org/bin/french/articles.cgi?Page=archives&Area=sd&ID=SP82304 «Tout le mal provient de la pensée religieuse et tout le bien de la pensée laïque»
n° 302: http://www2.memri.org/bin/french/articles.cgi?Page=archives&Area=sd&ID=SP30201 «Un intellectuel koweïtien sur le terrorisme arabo-musulman)»
n° 740: http://www2.memri.org/bin/french/articles.cgi?Page=archives&Area=sd&ID=SP74004 «Critiques de la doctrine d’une ‘démocratie islamique’ de Cheikh Al-Qaradhawi»
n° 817: http://www2.memri.org/bin/french/articles.cgi?Page=archives&Area=sd&ID=SP81704 «Un chroniqueur progressiste koweïtien: Les artistes arabes traitent du passé et non du présent car ils craignent les régimes en place»
n°843: http://www2.memri.org/bin/french/articles.cgi?Page=archives&Area=sd&ID=SP84305 «Un intellectuel koweïtien: Les Frères musulmans devraient figurer sur la liste américaine des organisations terroristes»
[3] Al-Siyassa (Koweït), le 5 juin 2004.
[4] Le Coran 73:20
[5] Al-Siyassa (Koweït), le 21 mars 2005.
[6] Al-Siyassa (Koweït), le 26 mars 2005.