Récemment certains hauts responsables de l’éducation saoudienne ont appelé à mettre fin à la propagation d’opinions extrémistes dans les écoles et lancé des opérations de sensibilisation des enseignants à ce sujet. Au même moment, des représentants du Ministère de l’Education, rédacteurs, chroniqueurs et critiques de télévision soulignent que le gouvernement saoudien n’est pas assez actif pour éradiquer l’extrémisme à l’école. Nous proposons ici des extraits de débats à ce sujet:
De nouvelles directives pour le système éducatif alors que reprend l’école
Au début de l’année scolaire saoudienne en septembre 2004, de hauts fonctionnaires saoudiens ont appelé les enseignants à ne pas disséminer de vues extrémistes auprès des élèves et ont prévenu que tout enseignant s’en rendant coupable serait renvoyé.
Le 5 septembre 2004, Le Prince héritier Abdallah bin Abd Al-‘Aziz a déclaré aux hauts fonctionnaires de l’éducation: «surveillez vos enseignants. Nous voulons servir la religion et la patrie, pas le terrorisme […]». 1
Le Ministre de l’Education Muhammad Ahmad Al-Rashid a déclaré le 10 septembre 2004 lors d’une allocution marquant le début de l’année scolaire: «Les évènements criminels et déments dont notre pays a été témoin ne sauraient en aucune manière ébranler notre confiance en Allah et notre foi en la compétence et la respectabilité du personnel sécuritaire […]. L’Arabie Saoudite ne sera en aucun cas défaite par l’apostasie, l’égarement et la sortie du droit chemin qui menacent la sécurité et la stabilité de la société […].
Les actes criminels sont le fruit de pensées criminelles […]. Les enseignants doivent saisir la grande différence entre l’enseignant et le mufti. Ils doivent enseigner aux élèves, du mieux possible, ce qui figure au programme sans émettre de jugements religieux [fatwas] et sans s’écarter du programme et gaver les élèves de problèmes qui ne les concernent en rien […].
L’école entreprend [de créer] un être humain et, mis à part la maison, rien n’est plus important qu’elle. Tout le monde doit s’opposer à toute déviance car la plupart des incendies ont pour origine la plus petite des étincelles, et donc toute déviance doit être traitée et éliminée avant qu’elle n’apparaisse.» 2
En d’autres circonstances, Al-Rashid a déclaré que «le Ministre de l’Education ne tolèrera pas un enseignant qui tient des positions abusives qui influencent la jeune génération,» 3 et que «tout élément qui adoptera une ligne extrémiste sera exclu du système éducatif.» 4
Le 7 septembre 2004 lors dune visite à l’Administration Générale de L’Education, le Prince Jalawi bin Abd Al-‘Aziz a déclaré: «Il n’y a pas de place pour les commentaires personnels émis par un enseignant mettant le programme de côté. Il ne doit pas s’en éloigner, même s’il a du temps libre durant la leçon.» 5
Le Gouverneur du district de Tabouk, le Prince Fahd bin Sultan a déclaré le 12 septembre 2004 lors d’un discours aux membres du Conseil Educatif de Tabouk: «les enseignants sont les garants de la façon de pensée de la jeune génération au début de sa cristallisation […]. Il est inacceptable pour l’un d’entre nous de faire la promotion de l’extrémisme, le fanatisme, le terrorisme et l’apostasie. Nous ne pouvons permettre à qui que se soit qui s’identifie à un groupe soutenant une opinion dangereuse et déviante [de rester] parmi nous [ … ] L’arme à laquelle nous devons nous accrocher pour combattre l’opinion déviante est une adhésion sans tache à la foi, libre de l’extrémisme.» Dans son discours, il a aussi appelé les enseignants à encourager les élèves à mettre en pratique le principe de dialogue et d’accepter l’opinion de «l’autre». 6
Le Quatrième Forum National organisé par le Centre du Roi Abd Al-‘Aziz à Zaharan et s’intéressant aux «Problèmes de la Jeunesse … Ce que nous souhaitons et la réalité» a recommandé de «développer les programmes scolaires» afin de cultiver chez les élèves une «aptitude à la pensée critique et à la créativité, de les élever au bon comportement et leur inculquer les valeurs de la modération, du juste milieu et du respect des autres – et de les habituer à conduire discussions et débats.» 7
Conseils et sanctions dans l’éducation saoudienne
Un nombre de mesures ont été mises en oeuvre dans le système éducatif saoudien pour prévenir l’extrémisme dans les écoles et sensibiliser les enseignants au problème.
Certaines écoles saoudiennes ont mené des campagnes de sensibilisation. Le projet «Sécurité nationale – la responsabilité de tous» a été mis en oeuvre afin de «souligner le rôle de l’enseignant dans la protection de la patrie et sa sécurité, protéger la jeune génération des opinions destructrices et corriger les mauvaises éducations.» 8
L’Administration de l’Education de la Mecque a organisé des campagnes d’information dans toutes les écoles de la ville afin «d’accroître la prise de conscience face au danger du terrorisme et de l’opinion extrémiste, et pour [encourager] la modération dans l’Islam.» 9
Selon une dépêche du quotidien saoudien Al-Watan, le Ministère de l’Education de la Région d’Al-Ta’if a renvoyé un professeur d’anglais après qu’il fut révélé qu’il avait dévié du programme et consacré du temps en classe à la lecture du Coran plutôt qu’à l’étude de l’anglais. Le comité spécial qui a examiné la question a déterminé que le professeur ne pouvait pas être autorisé à enseigner plus longtemps et que la décision avait été prise «afin de protéger les élèves des vues douteuses [du professeur].» 10
Le Dr Muhammad Bin Sa’d Al-Asimi, adjoint au Ministre de l’Education, a envoyé une note à toutes les Administrations de l’Education d’Arabie Saoudite dans laquelle il donne l’instruction de retirer du programme et des librairies scolaires le manuel Commentaire et Exégèse des Mots du Coran, écrit par Hasanein Muhammad Makhlouf. Selon une source du milieu éducatif, l’ordre a été donné afin «de protéger les pensées des élèves». 11
Un fonctionnaire du Ministère de l’Education à un chroniqueur: l’extrémisme dans les écoles existe
L’ancien rédacteur du quotidien saoudien Al-Watan, Qeinan Al-Ghamdi, a cité dans un article une lettre que lui avait adressée un haut fonctionnaire du Ministère de l’Education: «En ma qualité de haut fonctionnaire du Ministère de l’Education qui approuve l’idée de changements dans le programme en conformité avec les intérêts de l’état, je vous confirme qu’il existe un courant idéologique organisé incluant des membres clé du Ministère [de l’Education] et posant un danger concret à la sûreté idéologique dans le milieu éducatif. Le danger de ce courant extrémiste consiste en sa déformation de la perception du nationalisme, sa dissémination d’idées encourageant la violence et son sabotage des plans de la direction nationale modérée au sein du ministère.»
Dans le même article, Al-Ghamdi a rapporté les déclarations du Prince Abdallah faites aux éducateurs le 5 septembre: «Nous savons tous quelle est «cette chose» à laquelle se réfère le Prince [Abdallah] avec tant d’amertume et de douleur. «Cette chose» est l’extrémisme de certains enseignants et fonctionnaires du Ministère de l’Education et peut-être que parmi ceux présents ici il y a quelqu’un auquel se référait le Prince héritier.
[Dans son discours Abdallah a utilisé le mot «certains» en référence aux enseignants qui disséminent les vues extrémistes]. Le mot «certains» désigne une minorité – mais cette minorité est influente. L’enseignant extrémiste influence un grand nombre d’élèves; l’assistant extrémiste soutient ce genre d’enseignant, le directeur extrémiste soutient de tels assistants et enseignants; et le proviseur extrémiste les promeut et les encourage tous, et leur donne de l’autorité. Leur extrémisme et non leur compétence devient le premier et peut-être unique critère pour leur promotion […]. Ainsi «la minorité» devient des plus influentes – non seulement auprès du Ministère de l’Education mais aussi dans [les autres] ministères et les universités. Bien que le Ministère de l’Education n’est pas le seul élément en charge de déraciner cette nuisance qui existe en notre sein, il est un des éléments les plus importants». 12
Dans un autre article Al-Ghamdi écrit: «l’extrémisme est l’incubateur d’où émerge l’idéologie du takfir [accuser d’autres musulmans d’apostasie], qui conduit au terrorisme […]. L’extrémisme est plus dangereux que le terrorisme armé car ce dernier est perpétré par des individus ou groupes connus qui peuvent être confrontés par la force et rapidement détruits. Mais tant que l’extrémisme subsiste, des groupes similaires apparaissent rapidement car l’incubation se poursuit». 13
Un programme télévisé saoudien sur l’extrémisme dans les écoles
Depuis des années, durant le mois de Ramadan la Télévision Saoudienne diffuse le feuilleton comique Tash Ma Tash qui aborde principalement des sujets saoudiens intérieurs. 14 Cette année, un épisode a traité de l’extrémisme dans les écoles d’état saoudiennes: le programme présentait un enseignant en religion qui enseigne la tolérance et le respect de l’autre, et un autre enseignant de religion qui bourre le crâne de ses élèves et leurs enseigne le takfir [accuser des musulmans d’apostasie] et la haine des non-musulmans – appelant même à leur faire du mal si possible. Le principal est au courant des vues extrémistes du second enseignant mais ne fait rien pour l’arrêter. De plus, quand il devient su du principal que l’enseignant modéré éduque ses élèves à la tolérance, il devient fou furieux et demande aux superintendants du Ministère de l’Education d’inspecter l’enseignant – sachant tout du long qu’ils tiennent eux aussi des vues extrémistes.
Lorsque l’enseignant modéré décide de se plaindre au sujet de l’extrémisme il est surpris de découvrir que le comité officiel qui est censé discuter de la question comprend ces mêmes superintendants ainsi que le principal de l’école et l’enseignant de religion extrémiste. L’épisode en reste là. 15
L’épisode a entraîné beaucoup de réactions de hauts fonctionnaires de l’Education saoudienne et de chroniqueurs saoudiens. Le Comité Central du Programme de Sûreté Idéologique du district de Riyad, que dirige Abdallah bin Abd Al-‘Aziz Al-Muelli, directeur de l’Administration de l’Education de Riyad, a débattu de l’épisode du feuilleton. Les membres du comité ont conclu: Après avoir discuté de cet épisode, il fut convenu qu’il était loin de la réalité et que [l’extrémisme] n’est pas un phénomène qui se répand dans les écoles, et que cela a été présenté [dans cet épisode] de manière abusive».
Le chef du comité Al-Mueili a mentionné: «l’Administration de l’Education de Riyad s’efforce de surveiller ceux qui sont sous l’influence d’opinions extrémistes, aussi bien enseignants qu’élèves. De nombreuses situations ont été traitées selon un programme particulier avec la coopération de tous les concernés». 16
Suite à la décision du comité, le chroniqueur Hamoud Abu Taleb a écrit une tribune sévère intitulée «Pourquoi mentons-nous?» dans laquelle il critique la déficience du comité dans son combat contre l’extrémisme à l’école combat de l’extrémisme à l’école laissant à désirer du comité: «C’est la première fois que j’entend parler d’un soit-disant Comité Central du Programme de Sûreté Idéologique dans le système éducatif. Sans l’article publié dans le journal Al-Riyad je n’aurai jamais appris l’existence du comité dont aucun des fonctionnaires de l’éducation des autres districts que j’ai interrogé n’avait jamais entendu parlé.
Il est souhaitable qu’existe un comité chargé d’une question aussi sensible que la sûreté idéologique dans les institutions de l’éducation. S’il n’y avait de danger d’une prise de pouvoir de la pensée pervertie il n’y aurait pas [besoin] de comité […].
Pourtant, l’honorable comité d’éducateurs a décidé qu’il n’y avait pas d’extrémisme idéologique et religieux dans les écoles. En une courte phrase, il a nié l’existence d’une chose que savent des millions d’habitants et le pays tout entier.
Après ce déni total, le ton du comité a changé soudainement et il a déclaré que cet épisode [télévisé] est loin de la vérité et qu’il n’est pas le reflet d’un phénomène se répandant dans les écoles.
Bien que les opinions soient partagées au sujet du phénomène et de son importance, comment pouvons-nous nous accommoder du déni pur et simple [par le comité] de toute forme d’extrémisme religieux et idéologique [dans les écoles]?
Ce qui surprend aussi est que dans la partie finale de l’article de journal [publié dans Al-Riyad ] le comité contredit son propre déni en disant qu’il surveille les enseignants et élèves influencés par des opinions déviantes et que de nombreux cas ont déjà été traités.
Au nom d’Allah, comment une telle contradiction peut être résolue? […] De toute évidence ce déni n’est pas étrange puisque nous sommes une nation de déni, et [ce] comité n’a rien de nouveau puisque nous sommes un peuple de comités. Mais peut-être devrions-nous nous donner un nouveau titre disant que nous sommes un peuple de criantes et honteuses contradictions.
Ceci se rapporte à un problème important qui n’est plus un secret puisqu’il est clair comme le jour, qu’une série télévisée en ai parlé ou pas. De plus, nous en tant que société […] souffrons déjà des regrettables dommages et conséquences [de ce phénomène].
Ce qui se passe est la consécration et la continuation de désastres ayant eu lieu dans le passé par notre faute. Maintenant nous faisons face à leurs conséquences. Nous embellissons les problèmes – ou aux mieux nous les excusons, en les défendant et en louant ceux qui les ont causés». 17
Un ancien rédacteur de presse saoudien: les écoles «lavent le cerveau des jeunes»
Abd Al-Rahman Al-Rashed, l’ancien rédacteur du quotidien de langue arabe basé en Arabie Saoudite et publié à Londres Al-Sharq Al-Awsat, et directeur de la télévision Al-Arabiyya, a écrit: «j’ai vu dans l’un des journaux saoudiens un article sur deux jeunes qui avaient écrit des slogans soutenant Saddam [Hussein] et Ben Laden sur les murs des maisons d’un quartier et qui avaient été punis du fouet […].
Nous combattons Ben Laden sur les murs pendant que quelqu’un d’autre dissémine de la propagande en sa faveur dans les journaux en prétendant qu’il y a un complot contre l’Islam, et que Saddam Hussein, Ben Laden et d’autres sont innocents et que les médias occidentaux complotent contre eux afin d’accuser les musulmans de choses auxquelles ils n’ont rien à voir.
On ne peut parer aux mauvais élèves avant de parer les idées fausses et ceux qui les sèment dans les écoles, les médias, sur Internet, dans les cercles de la da’wa [diffusion de l’Islam] et dans les camps de jeunesse. Ces endroits sont la source de ces idées et on y bourre le crâne de la jeunesse.
Quand un jeune griffonne [des slogans] sur les murs d’un quartier, il exprime instinctivement la culture qu’il a apprise.» 18
1 ‘Ukaz (Arabie Saoudite), 6 septembre 2004.
2 ‘Ukaz (Arabie Saoudite), 11 septembre 2004.
3 ‘Ukaz (Arabie Saoudite), 11 septembre 2004.
4 ‘Ukaz (Arabie Saoudite), 7 septembre 2004.
5 Al-Yawm (Arabie Saoudite), 8 septembre 2004.
6 Al-Yawm (Arabie Saoudite), 13 septembre 2004.
7 Al-Watan (Arabie Saoudite), 10 décembre 2004.
8 ‘Ukaz (Arabie Saoudite), 10 octobre 2004.
9 ‘Ukaz (Arabie Saoudite), 16 octobre 2004.
10 Al-Watan (Arabie Saoudite), 29 novembre 2004.
11 Al-Watan (Arabie Saoudite), 21 décembre 2004.
12 Al-Watan (Arabie Saoudite), 9 septembre 2004.
13 Al-Watan (Arabie Saoudite), 11 septembre 2004.
14 Al-Riyad traduit le titre de l’émission en “Fais le ou casse le».
15 Arab News (Arabie Saoudite), 3 novembre 2004.
16 Al-Riyad (Arabie Saoudite), 12 novembre 2004.
17 Al-Watan (Arabie Saoudite), 16 novembre 2004.
18 Al-Sharq Al-Awsat (London), 11 décembre 2004.