Plusieurs chroniqueurs ont récemment publié des articles dans la presse arabe réfutant l’argument selon lequel le gouvernement irakien est illégitime. Leurs chroniques entendent répondre aux déclarations de représentants de plusieurs pays arabes lors du Sommet de Charm El-Cheikh de novembre 2004. Voici des extraits de trois de ces articles:
Dans le monde arabe, seuls l’Irak et la Palestine occupés connaissent des élections libres
Dans un article intitulé «Une occupation démocratique?», le journaliste jordanien Salama Ni’mat, directeur du bureau de Washington D.C. du quotidien londonien de langue arabe Al-Hayat, a écrit:
«La préoccupation des Arabes pour […] la légitimité des élections irakiennes qui vont se dérouler prochainement et pour la représentation de la totalité de l’éventail politique, ethnique et religieux est outrageante. Quiconque observant ce qui se passe en ce moment pourrait presque penser, s’il ne connaissait pas la réalité, que les pays arabes – qui n’ont jamais su, tout au long de leur histoire, ce que sont des élections – sont devenus ceux ayant le plus à cœur que les élections à venir en Irak reflètent la volonté du peuple irakien, avec toutes ses composantes, et en particulier qu’elles reflètent la minorité sunnite qui à l’époque de Saddam était, pour des raisons connues que nul n’a jamais remis en question, une «majorité».
Il est outrageant et surprenant que les premières élections libres et générales de l’histoire de la nation arabe vont avoir lieu en janvier: En Irak, sous les auspices de l’occupation américaine et en Palestine, sous les auspices de l’occupation israélienne.
[Il est tout aussi] outrageant que la Ligue Arabe, qui représente la volonté des régimes de 20 Etats de l’Atlantique au Golfe Persique, ait souhaité que l’opposition irakienne soit invitée à la conférence de Charm El-Cheikhafin de s’assurer que la totalité de l’Irak, avec l’intégralité de son spectre politique, sera dans l’assistance pour représenter le peuple irakien. Il n’importe absolument pas que toutes les autres oppositions arabes n’aient pas été invitées à aucune réunion de la Ligue Arabe ou à ses nombreuses conférences au sommet tout au long de l’histoire des peuples arabes.»
Ce qui empêche les régimes arabes de tenir des élections libres est leur crainte de la volonté des populations
«Il est une bonne chose que les Arabes demandent un droit de représentation politique pour les Arabes sunnites par préoccupation pour eux devant la tyrannie des autres groupes irakiens et par préoccupation pour l’unité nationale et pour la représentation proportionnelle idéale. Mais nous ne comprenons pas pourquoi cette préoccupation ne s’applique pas aux nombreux pays arabes qui ne permettent pas aux minorités de manifester leur existence, sans parler de leur droit à la représentation [politique].
Les ministres des pays qui ont pris part à [la conférence de] Charm El-Cheikh ont-ils remarqué que certains des participants sont toujours contrôlés par des minorités qui ne permettent pas à la majorité d’exprimer son opinion? Pourquoi n’avons-nous entendu aucune préoccupation arabe comme celle concernant les Arabes sunnites en Irak? Les autres oppositions arabes furent-elles invitées à la conférence pour que la Ligue Arabe puisse insister sur la présence de l’opposition irakienne?
Il est pathétique et triste que les yeux du monde entier soient fixés sur les élections palestiniennes et irakiennes qui se tiendront sous les canons de l’occupation étrangère tandis que les populations pays arabes «indépendants, libres et souverains» n’ont aucun moyen d’exprimer leur volonté. Il est triste et pathétique que certains pays arabes traitent les Irakiens avec la plus basse hypocrisie politique bien que nul n’ait entendu de protestation particulière pendant l’époque du régime des fosses communes [i.e. durant le règne de Saddam].
Ce qui empêche certains régimes arabes d’organiser des élections libres et authentiques est leur crainte des résultats et rien d’autre – autrement dit, la peur de la volonté de leurs populations.»
Demandez à la Ligue Arabe pourquoi les médias de Palestine et d’Irak occupés jouissent de la liberté sous l’occupation, tandis que les médias dans les autres pays arabes en sont privés
«Bien que le régime obscurantiste des Talibans fasse partie de l’histoire et que Saddam Hussein reste assis dans sa cellule à attendre son procès pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, les régimes arabes agissent encore comme si rien ne s’était passé. En outre, [ils agissent] comme si l’histoire n’avait pas lieu tant qu’ils n’en ont pas admis l’existence et ne l’ont pas annoncé dans les journaux et sur les chaînes de télévision, qu’ils contrôlent. Quelqu’un peut-il demander à la Ligue Arabe pourquoi les médias en Palestine et en Irak occupés jouissent d’une liberté sous l’occupation tandis que les médias dans les autres pays arabes en sont privés?
Personne ne s’attend à ce qu’une occupation réponde au désir de l’occupation souffrant sous son joug.Mais rien n’est plus répugnant qu’un régime du cru qui est pire que l’occupation.
Le défi qui reste à relever est celui-ci: Les pays arabes indépendants et souverains peuvent-ils offrir mieux à leurs populations que ce qui est offert aujourd’hui à l’Irak et à la Palestine?» 1
Le régime irakien est plus légitime que la plupart des régimes arabes
Abd Al-Rahman Al-Rashed, actuellement directeur général de la chaîne de télévision Al-Arabiyya et ancien rédacteur en chef du quotidien londonien de langue arabe Al-Sharq Al-Awsat va dans le même sens lorsqu’il écrit dans ce dernier:
«Certains des membres assis autour de la table de la conférence [de Charm El-Cheikh et certains] des commentateurs et participants affirment dans les couloirs que le gouvernement de Bagdad n’est pas légitime. Pourquoi? Ils font valoir qu’il n’est pas élu et a été désigné par l’occupation américaine.
Cette opinion répandue n’est pas dépourvue de fondement […]. Néanmoins, parler de l’illégitimité du gouvernement [irakien] […] nous autorise à soulever des questions concernant la plupart des régimes de la région.
Le régime en place à Bagdad a été légitimé par un vote unanime des membres du Conseil de Sécurité et est devenu légal selon la loi internationale. Au niveau régional, la légitimité du nouveau régime irakien a émané d’un vote unanime de la Ligue Arabe. Localement, ce régime fit une avancée considérable en établissant le Conseil National – un parlement qui représente toutes les différentes populations en Irak, y compris l’opposition – et le [régime] atteindra son but lorsqu’il organisera les élections à venir.
Si nous considérons ces trois niveaux [le Conseil de Sécurité, la Ligue Arabe et le Conseil National Irakien] comme un critère, le régime irakien est plus légitime que la plupart des pays de la région – certains d’entre eux sont apparus à la suite de putschs ou de complots internes sans que personne n’ait demandé au peuple ce qu’il en pensait.
Si le doute relatif au régime irakien provient de ses liens avec Washington – connaissez-vous un quelconque gouvernement [arabe] qui n’a pas de liens privilégiés avec Washington ou d’autres pays [occidentaux]? Si les doutes sur le régime irakien sont justifiés par la présence de forces américaines, nous devons garder à l’esprit que l’Irak n’est pas le seul pays à accueillir des soldats américains. De plus, la plupart des voix critiquant le régime irakien sont celles de pays qui comptent encore plus de troupes américaines sur leur sol […].» 2
Ce pays sera une plate-forme pour les libertés dans toute la région
Le journaliste égyptien Nabil Sharaf Al-Din s’est également exprimé sur Al-Jazeera TV à propos de l’avenir de l’Irak. Voici des extraits de l’émission:
Nabil Sharaf Al-Din: «Nous ne sommes pas justes envers le gouvernement irakien actuel. Ni moi, ni vous, ni l’autre invité de cette émission, pas même les téléspectateurs, mais l’histoire lui fera justice. Ces gens sont en train de créer la première démocratie du Moyen-Orient. Ce pays sera une plate-forme pour les libertés dans toute la région. En Irak, l’époque où un dirigeant reste sur son trône jusqu’à sa mort est révolue. C’est terminé. Pour la première fois, le dirigeant irakien sera élu par des voix irakiennes.»
Le présentateur: «Nous avons entendu le Cheikh Al-Dhari [le chef du Conseil des dignitaires religieux sunnites d’Irak] déclarer que le but du Sommet [Charm El-Cheikh] est destiné à venir en aide à l’occupation […].»
Nabil Sharaf Al-Din: «Cet Al-Dhari est un mufti de la terreur et de la tuerie. Cet Al-Dhari est la branche militaire des meurtriers, la branche militaire du terrorisme et du massacre télévisé. Cet Al-Dhari… et son groupe … Je vous en prie, monsieur…
D’abord et avant tout, l’argument selon lequel ce sommet était destiné à sauver l’Amérique. Depuis quand les pays arabes sauvent une superpuissance comme l’Amérique? Quand les Arabes sont-ils parvenus à résoudre leurs propres crises et conflits?» 3
1 Al-Hayat (Londres), 25 novembre 2004.
2 Al-Sharq Al-Awsat (Londres), 24 novembre 2004.
3 Al-Jazeera TV (Qatar), 23 novembre 2004, Voir séquence MEMRI TV No. 386 «Le journaliste égyptien Nabil Sharaf Al-Din: Le chef sunnite irakien, Cheikh Al-Dhari est un «Mufti de la terreur et de la tuerie sur petit écran»».