La presse irakienne a suivi avec beaucoup d’intérêt la récente campagne électorale aux Etats-Unis dont le président Bush est sorti vainqueur. L’introduction de la liberté de la presse après la chute de Saddam a permis l’expression d’une diversité de points de vue sur une variété de sujets et la réélection du président Bush ne fait pas exception.
Malgré les critiques de l’administration Bush, les éditorialistes ont exprimé une vraie admiration pour un système électoral qui a produit un gagnant et un perdant sans un seul coup de feu tiré, ni de remise en question de la légitimité des résultats.
Plusieurs éditoriaux ont exhorté le président Bush à tenir ses engagements et à déraciner les sources du terrorisme, même si cela implique l’utilisation de la force contre ses deux voisins – la Syrie et l’Iran – accusés d’appui et de soutien au terrorisme en Irak.
Une admiration pour la démocratie américaine
Le représentant de l’Organisation nationale pour la société civile et les droits des Irakiens, Aziz Al-Haj, a écrit un article intitulé «la force de la démocratie américaine et sa gloire: La victoire de Bush est un événement historique sur les plans américain et international». L’article est paru sur le site www.Iraqfortomorrow.com. En voici quelques extraits:
«Bien des choses peuvent être dites à propos de cet événement, sa signification et ses conséquences […] Je voudrais exprimer ma joie en tant qu’Irakien démocrate et patriote concernant cette victoire qui confirme à nouveau la légitimité et la justice de cette guerre menée afin de libérer l’Irak du régime de Saddam et des dangers que posait ce dernier pour la sécurité de la région et du monde.
Les manœuvres opportunistes de Kerry sur le thème de l’Irak ont échoué, notamment ses allégations selon lesquelles Saddam ne représentait pas une menace pour la sécurité de l’Amérique et du monde.Nous savons que Saddam était bien plus dangereux qu’Al-Qa’ida et Bin Laden du fait des énormes capacités que détenait le régime de Saddam dans une région très instable et de ses armes interdites ainsi que ses programmes en cours pour produire ce type d’armes. Les terroristes avec toutes leurs tribus et leurs ramifications, les nationalistes, la gauche arabe et européenne, les meurtriers de Falluja, Ramadi et Mosul et les régimes syrien et iranien ont tous pariés sur la défaite de Bush et ils ont perdu […] Tous ces groupes munis d’idéologies et d’objectifs différents avaient un élément en commun: une haine aveugle vis-à-vis de Bush. Nous leur présentons nos profondes condoléances […]» 1
Le quotidien Al-Sabah affirme que le faible écart entre le nombre total de voix des deux candidats, Bush et Kerry, aurait déclenché une guerre civile dans de nombreux pays dans le monde. Il conclut: «Ce qui s’est passé en Amérique est une leçon civilisée de pratique de la démocratie telle qu’elle illumine le monde de façon progressiste et éclairée.» 2
Sous le titre « Le plaisir de la paix et de la liberté», l’organe de presse de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), Al-Taakhi, commente une photo largement diffusée d’une électrice américaine promenant son chien, le cou enveloppé d’un drapeau américain en signe de solidarité avec la nation:
«[…] Voilà la différence entre les valeurs et les coutumes en Amérique et nos valeurs, notre mode de pensée en Orient. Les animaux domestiques les plus répandus dans les villages du Moyen Orient sont l’âne, le mulet, le chameau, le mouton et la vache. Que diraient les gens dans un pays du [Moyen] Orient en voyant un âne docile, un mulet obéissant, un beau chameau, une vache, une chèvre ou un mouton la tête ou le cou décoré? L’appareil sécuritaire se mettrait en marche, l’armée, les services d’informations seraient enragés et l’état d’urgence serait déclaré jusqu’à ce que la pauvre bête soit traquée et détruite et son maître infligé du pire des supplices! J’écris cela en guise de comparaison et non [en préconisant] le droit d’envelopper les animaux du drapeau national.» 3
Un soutien pour Bush
Les Kurdes approuvent Bush
Depuis la guerre au Koweït en 1991 et l’interdiction d’utiliser l’espace aérien au-dessus de la région kurde qui a duré jusqu’à la chute du régime Saddam, le Kurdistan irakien a prospéré aussi bien économiquement que politiquement. Il n’est donc pas surprenant que les Kurdes appuient la réélection du président Bush.
Un éditorial du quotidien Al-Taakhi intitulé «Les politiciens irakiens préfèrent Bush», constate qu’un certain nombre de politiciens irakiens expriment leur soutien à l’élection du président Bush pour un second mandat car «le contraire ferait le bonheur des terroristes».
L’article ajoute que Bush a bien commis certaines erreurs mais l’arrivée d’une nouvelle administration à la Maison Blanche n’aurait fait qu’empirer la situation. Il cite Muwwafaq Al-Rabi’i, conseiller à la sécurité nationale auprès du gouvernement intérimaire irakien: «George Bush a une vision d’ensemble pour l’Irak. Il a destitué Saddam et libéré le pays». Celui-ci conclut que « Bush s’est engagé vis-à-vis de l’Irak et je pense que sa réélection sera porteuse de bonnes nouvelles pour l’Irak et de mauvaises pour les terroristes». 4
L’Ere de Bush
Le quotidien irakien Al-Mada cite le journal anglais The Guardian en déclarant la première décennie du 21ème siècle l’ère de Bush, tout comme les années quatre-vingts furent celle de Reagan et les années quatre-vingt dix celle de Clinton. Il souligne que «George Bush ne restera pas à la marge de l’histoire; il la façonnera». 5
La guerre contre le terrorisme
Les mauvais calculs des terroristes
Dans un éditorial intitulé «Le blanc et le noir», Al-Mada estime que les «arabes armés» à Fallujah et à Ramadi espéraient mettre Bush dans l’embarras et entraîner sa défaite à travers leurs récentes opérations. L’éditorial ajoute:
«En examinant la situation de plus près, on remarque que cette analyse représente non seulement une certaine étroitesse d’esprit, mais aussi une mauvaise compréhension de la chronologie des événements. Depuis les opérations du 11 septembre menées par Al-Qa’ida en Amérique, Bush est apparu plus fort qu’auparavant. Alors qu’il est arrivé à la Maison Blanche avec l’aide des tribunaux la première fois, aujourd’hui, sa victoire est écrasante. Comment expliquer cela?
La politique se mesure par ses résultats concrets. De ce fait, le terrorisme a renforcé l’administration Bush et sa conception unique de la façon de le combattre […] Par leur fanatisme et leur absence de vision politique, [les terroristes] ne distinguent pas leurs intentions politiques des conséquences concrètes de leurs actions. Car soit ils souffrent d’aveuglement politique, soit ils sont devenus, inconsciemment, l’instrument de l’administration Bush […] Comment ces gens ne peuvent-ils distinguer le noir du blanc si leurs intentions ne sont pas obscures?
Nous appelons nos frères irakiens politiciens à les [les rebelles armés] expulser de leurs rangs et à choisir le travail politique structuré à fin d’unifier notre peuple, mettre fin à l’occupation et construire un système démocratique et juste qui représente nos intérêts». 6
Le Congrès national irakien
Le Congrès national irakien (CNI), sous la direction du Dr Ahmad Chalabi, a publié deux articles dans l’organe du parti Al-Mu’tamar – l’un positif et l’autre critique. Le premier est intitulé: «Vous êtes de retour Monsieur le Président, et votre retour est louable». L’auteur, Widad Fakher, condamne le terrorisme et la complicité des pays arabes. Il demande aux Etats-Unis d’agir:
«Pour que l’Amérique tienne sa promesse de libérer l’Irak et de repousser les menaces potentielles pour les pays de la région […] l’administration américaine se doit de sérieusement rechercher l’élimination totale des sources du terrorisme. Cela demande une nouvelle résolution du Conseil de sécurité sous le Chapitre 7, obligeant les pays qui soutiennent le terrorisme à mettre un terme à leur appui sous peine de sanctions internationales ou de sévères actions disciplinaires. [Une telle résolution] devrait nommer les pays qui participent et soutiennent le terrorisme, en particulier le régime syrien et l’état théocratique, terroriste d’Iran et tous ceux qui les suivent».
Faute de quoi, prévient l’auteur, l’Amérique ne tiendrait pas sa promesse d’amener la liberté et la démocratie en Irak. 7
Al-Mu’tamar a aussi interviewé «un dirigeant anonyme» [peut-être Ahmad Chalabi lui-même] qui demande à l’administration américaine de travailler avec le gouvernement intérimaire irakien «sur une base de complémentarité et non de subordination». «Bien qu’il soit vrai que l’Irak a besoin du soutien de l’Amérique en ce moment, celui-ci ne doit pas empiéter sur la souveraineté et l’indépendance de la nation». Il appelle les Etats-Unis a changé la façon dont elle aborde le terrorisme en étant plus ferme avec des pays tels la Syrie, la Jordanie et les Emirats Arabes Unis, qui ont accueilli les anciens du régime de Saddam dont les mains sont tachées du sang d’Irakiens innocents. 8
Le quotidien indépendant Al-Zaman, imprimé simultanément à Londres et à Bagdad, publie un article intitulé « Le Fantôme du terrorisme et les élections présidentielles américaines».
«Tout le monde s’accorde à dire que George Bush s’est servi de la phobie du terrorisme répandue à travers la société américaine pour rester à la Maison Blanche quatre années de plus […]. L’Américain moyen a préféré sa sécurité personnelle au détriment des problèmes économiques même si le baril de pétrole a atteint un prix record […] Il est clair que le problème de la sécurité a été le premier critère pour la majorité des électeurs […]». 9
La critique du Président
Un éditorial critique dans le journal de Chalabi
‘Adnan Al-‘Ameri, également dans Al-Mu’ tamar, a publié une prise de position critique:
«Les Arabes – les présidents, les rois et les dirigeants – sont plus intéressés que quiconque à ce que Bush gagne un second mandat. C’est pour cela qu’ils furent en avance sur leurs homologues des autres pays pour envoyer leurs félicitations, qui se déversèrent sur lui comme autant de gouttes de pluie.
Les irakiens préféraient Bush bien qu’il ne soit pas parvenu à remplir sa promesse de ramener au pays la paix et la stabilité, accompagnées de la démocratie et d’une souveraineté non amoindrie. Les Irakiens s’attendent pendant le second mandat de Bush à améliorer leurs relations avec l’Amérique [afin] de réaliser les intérêts de ce pays, d’abord et avant tout. Bush devrait les laisser tranquille pour stabiliser leur sécurité et la sûreté de leur pays. Et [ils s’attendent] à ce qu’il les aide véritablement à mettre fin au terrorisme.» 10
Laissez Bush s’enfoncer plus profond dans le marécage irakien
L’article le plus critique à propos de l’élection du Président Bush a été publié dans le quotidien irakien Al-Madar,et était intitulé, «La victoire de Bush est la victoire de la résistance irakienne». L’auteur, Ali Al-Jaffal a écrit:
«Des observateurs du monde entier s’accordent à dire que l’administration du Président George Bush est la pire administration américaine de l’histoire. [Cette administration] ne voit que d’un œil et n’entend que d’une seule oreille […]. Il est notoire que le président américain agit selon les intérêts d’Israël, des grandes compagnies pétrolières et des entreprises d’armement et non pas en fonction des intérêts des Etats-Unis ou des intérêts des nations qui ont été brûlées par les flammes de sa démocratie comme notre peuple en Irak, notre peuple en Palestine ou le peuple afghan.»
L’auteur manifesta son opinion selon laquelle l’élection de Bush représente la victoire de la résistance irakienne et de l’avenir de l’Irak. Cette conclusion se fonde sur l’intime conviction de l’auteur à propos de l’inévitable «noyade de Bush, de son administration et de ses partisans plus profond encore dans le marécage irakien dont l’eau a atteint ces derniers mois le niveau de leur ceinture». 11
Les opinions du parti Baas
Le quotidien Al-Madar a publié le résumé d’un communiqué diffusé par le Parti clandestin Baas, qui semble se réorganiser, comme le montre la publication du parti, le quotidien Al-Thawra. Le communiqué affirme que le Parti Baas et la résistance militaire irakienne ont ignoré les résultats de l’élection présidentielle américaine, considérant qu’elle n’a aucun rôle dans la conduite des opérations militaires «qui se poursuivront jusqu’à la libération». Il fait référence à «la confrontation ouverte historique dans laquelle le Baas et la résistance d’un coté et les Etats-Unis, ses alliés et le gouvernement à leur solde [le gouvernement intérimaire d’Allawi] de l’autre côté. Dans cette confrontation, les résultats de l’élection n’auront aucune signification». Le communiqué conclut:
«En choisissant Bush, le peuple américain a accepté les prétextes de l’agression et de l’occupation de l’Irak, de la mort et de la destruction de son peuple. Le Baas irakien doit tirer la conclusion que le peuple américain a rejeté le libéralisme concurrentiel économique et politique au profit du conservatisme réactionnaire de droite et de la pensée des néo-conservateurs.» 12
*Le Dr Nimrod Raphaeli est analyste au Programme d’Etudes Economiques du Moyen Orient pour MEMRI.
1 www.iraqfortomorrow.com, 5 novembre 2004.
2 Al-Sabah (Bagdad), 9 novembre 2004.
3 Al-Taakhi (Bagdad), 4 novembre 2004.
4 Al-Taakhi (Bagdad), 4 novembre 2004.
5 Al-Mada (Bagdad), 8 novembre 2004.
6 Al-Mada (Bagdad), 6 novembre 2004.
7 Al-Mu’tamar (Bagdad),10 novembre 2004.
8 Al-Mu’tamar (Bagdad), 6 novembre 2004.
9 Al-Zaman (Bagdad), 7 novembre 2004.
10 Al-Mu’tamar (Bagdad), 9 novembre 2004.
11 Al-Madar (Bagdad), 6 novembre 2004.
12 Al-Madar (Bagdad), 6 novembre 2004.