Le progressiste égyptien Sa’ad Eddin Ibrahim, président du centre d’études de développement Ibn Khaldun, a publié un article dans le quotidien londonien en langue arabe Al-Hayat qui décrit l’apathie du peuple égyptien envers son gouvernement et les implore à s’engager dans une lutte civile mieux définie. Voici des extraits de l’article: [1]
Les Egyptiens n’ont nul besoin d’«indifférence» mais d’«une résistance civile»
L’ancien ministre de l’Information égyptien et vice-président du Conseil égyptien pour les droits de l’homme, Ahmad Kamal Abul Magd, a expliqué que les Egyptiens vivent dans un état de résistance civile silencieuse vu qu’ils ne respectent pas la loi et les règlements généraux tels les signaux de circulation, la pratique de leurs droits et devoirs électoraux, sans compter le gaspillage des finances et services publiques. Les Egyptiens ont le sentiment croissant que le pays n’est plus le leur et que l’autorité au pouvoir n’œuvre pas en faveur du peuple.
Abul Magd a en partie raison […] La résistance civile est [plus exactement] un acte de conscience et de volonté, un acte déclaré de protestation contre une loi injuste ou une politique imprévoyante. Les éléments de prise de conscience, de volonté et de proclamation [de l’acte] sont très importants. La prise de conscience et la volonté apportent à l’acte de résistance un sens qui va au-delà de l’indifférence négative, vu que la personne prônant la lutte civile est un citoyen concerné, intéressé à changer les choses pour le mieux.
Une révolte civile implique un défi à l’autorité; donc ceci signifie un refus de mettre en application une certaine décision gouvernementale ou de respecter une certaine loi, vu que cette loi pourrait être révoquée. Ce défi de l’autorité pourrait conduire à l’emprisonnement ou à l’arrestation de tous ceux étant engagés dans la lutte civile. Cette désobéissance civile implique une résistance pacifique; certains aspects de la lutte civile sont: la protestation, la grève, le boycott et la manifestation.»
Les accomplissements des soulèvements civils dans l’histoire
On dit que la première insurrection civile égyptienne a eu lieu en 1919 et été sans précédent dans l’histoire moderne de l’Egypte et des pays du Tiers monde. On dit aussi que Gandhi a soigneusement suivi les événements de cette révolution et a été impressionné par ces faits. Il a insisté pour faire une halte en Egypte en passant par le Canal de Suez, lorsqu’il était en route pour l’Afrique du Sud, afin de rencontrer les chefs de cette révolution et de se renseigner auprès d’eux comment elle avait réussi à unir toutes les sectes égyptiennes dans une manifestation collective contre le colonialisme britannique.
Gandhi a mis à point une nouvelle stratégie pour le modèle de résistance civile et l’a transformée en une philosophie. Cette nouvelle stratégie ou nouveau paradigme de lutte civile, ‘ Satyagraha ‘, comme il le nommait, a réussi à unir des millions d’Indiens contre les Britanniques en leur donnant un modèle de pardon et d’amour. Les Britanniques ont été surpris de voir des milliers de protestants dans les rues, acceptant leur arrestation et admettant qu’ils avaient agi contre la loi. A un certain moment, les autorités britanniques se sont rendu compte que le soulèvement touchait les soldats britanniques. L’opinion publique britannique était furieuse et a commencé à exercer des pressions sur son gouvernement pour qu’il se soumette aux demandes du Mouvement National Indien pour l’indépendance; et c’est ce qui arriva.
Il y a des expériences semblables dans l’histoire, telles que [celle] de Martin Luther King aux Etats-Unis, qui préconisait la même politique que Gandhi; le résultat fut le Civil Rights Act qui passa au congrès en 1964.
Les Soudanais ont réussi à renverser deux régimes politiques autoritaires par le biais de protestations et de grèves collectives. La première Intifida des Palestiniens de 1988 à 1991 a aussi été un succès en aboutissant aux accords d’Oslo. Concernant la deuxième Intifida, qui était basée sur des opérations suicides contre des civils, elle a conduit la cause palestinienne à perdre le soutien international ainsi qu’un grand nombre de ses accomplissements précédents.
Voici comment nous devrions comprendre et pratiquer le concept de résistance civile, ce concept qui ne peut jamais passer sous silence. Une résistance civile ne signifie pas une insurrection armée, car le terme ‘civil’ implique par définition des moyens pacifiques et est contraire à une lutte armée.
Nous disons aux forces d’opposition et aux défenseurs de la reforme politique [qui demandent] aux régimes despotiques d’écouter leurs requêtes, que pour atteindre leur objectif, ils n’ont aucune autre alternative que celle dela lutte civile, lutte civile, lutte civile. Amen.»
[1] Al-Hayat (Londres), 1er septembre 2004