Dans deux interviews, accordées au quotidien Al-Sharq Al-Awsat , édité en arabe à Londres [1] et au quotidien gouvernemental égyptien Al-Ahram [2] , le ministre égyptien de l’Education Dr Hussein Kamel Bahaa Al-Din évoque la réforme du programme scolaire national. Voici quelques extraits de ces entretiens:
Interview d’Al-Sharq Al-Awsat: «Personne n’ose intervenir dans le programme scolaire égyptien »
Question: Quelle est l’importance de l’aide internationale au financement de l’éducation en Egypte?
Bahaa Al-Din: Il existe une aide étrangère et une aide à l’éducation, mais elles de représentent en fin de compte qu’un petit pourcentage de toutes les dépenses égyptiennes consacrées à l’Education.
Question: Cette aide provient-elle de pays ou d’organisations?
Bahaa Al-Din: Aussi bien de pays que d’organisations.
Question: A combien s’élève l’aide américaine [comparée à celle des autres pays] à l’Education?
Bahaa Al-Din: Les Etats-Unis sont l’un des pays qui contribuent le plus généreusement.
Question: S’agit-il d’une aide conditionnelle ou inconditionnelle?
Bahaa Al-Din: Nous ne tolérons pas que les dons nous soient accordés sous condition.
Question: N’y a-t-il pas d’ingérence américaine à un moment ou un autre?
Bahaa Al-Din: Nul n’ose interférer avec le programme scolaire égyptien, et nul n’a proposé d’y ajouter [quoi que ce soit]. S’il est vrai que la tendance est aujourd’hui à la lutte contre l’extrémisme et la terreur, [il faut savoir que] l’Egypte, dans le cadre de sa lutte contre le terrorisme, a [déjà] payé le prix fort [en sacrifiant] ses fils et ses martyrs [et en dépensant] de fortes sommes, à une époque où les pays [aujourd’hui] en tête de la campagne contre le terrorisme capitulaient face à lui. Par ailleurs, ces mêmes devises et principes – que plusieurs pays se vantent d’appeler à adopter – étaient déjà bien établis en Egypte et bien intégrés au programme scolaire, sur l’initiative de l’Egypte même, voilà sept ans.
Nous n’avons pas modifié notre programme; l’éducation religieuse a pris plus de place.
Question: Quels sont les changements opérés par l’Egypte – avant même que ceux-ci ne soient encouragés?
Bahaa Al-Din: Tout ce qui se rapporte aux droits de l’Homme, aux droits de l’enfant, aux droits de la femme, à l’acceptation de l’Autre, à la dénonciation de l’extrémisme et de la terreur, les valeurs du marché du travail et de la mondialisation, la dénonciation de la discrimination sur la base du sexe, de la race ou de la religion.
Question: Ce développement se manifeste-t-il par l’introduction [de nouveaux éléments] au programme ou par l’annulation [de certains de ses aspects]?
Bahaa Al-Din: par l’introduction de ces perceptions au programme sans rien en ôter.
Question: Ce que l’on raconte sur la modification du programme est-il fondé?
Bahaa Al-Din: Il n’y a rien eu de tel. Le nombre de cours de religion a augmenté, non diminué. Le contenu des manuels [est déterminé] en coopération avec Al-Azhar, et avec son plein accord. Le cheikh d’Al-Azhar supervise et approuve en personne le programme, et forme certains des enseignants.
Question: Y a-t-il véritablement eu un examen des manuels d’études religieuses ayant conduit au retrait de [certains] versets et récits du Coran portant sur le djihad contre les Juifs et Israël?
Bahaa Al-Din: Au début des années 1990, j’ai été surpris d’entendre parler de neuf livres publiés par des groupes d’extrémistes qui nous accusaient de fausser l’identité religieuse, de supprimer certains versets du Coran et hadiths du Prophète [du programme religieux]. Quand la nouvelle est arrivée jusqu’à moi, en 1994, j’ai appelé le cheikh Mohammed Al-Ghazali, aujourd’hui disparu, Dr Sayyed Tantawi, Dr Omar Hashem et Dr Abd El-Sabour Marzouq, les invitant au ministère [de l’Education] (…) Dans une lettre, je leur ai dit: ‘Ce n’est pas moi qui compile ces programmes et ce n’est donc pas à moi de défendre une erreur. Si erreur il y a, je mérite des remerciements pour m’en être aperçu.’ Quatre heures plus tard, le cheikh Al-Ghazali me disait: ‘Je suis sûr que ce qui est enseigné est la religion telle qu’elle est et que les bruits qui courent sont absolument faux.’ Cette affaire a été couverte par les médias.
Les Etats-Unis ont déclaré que le programme égyptien devrait servir de modèle aux autres pays
Question: Une [certaine] organisation arabe a soumis à la Ligue arabe un rapport critiquant l’éducation religieuse dans les pays arabes en prétendant que celle-ci n’encourage pas au respect et à l’acceptation d’autrui. Que répondez-vous à cela?
Bahaa Al-Din: Nous ne sommes pas concernés par ces critiques.
Question: Lors de votre visite aux Etats-Unis en mai de l’année dernière, les [Américains] ont-ils émis des commentaires ou des exigences, ou avez-vous évoqué les diverses étapes de la formation en Egypte?
Bahaa Al-Din: Ils n’ont pas émis d’exigences, mais ont fait des commentaires, l’un étant que le programme scolaire égyptien devrait servir de modèle aux autres pays.
Question: L’enseignement en Egypte est-il adapté aux besoins politiques et sociaux actuels?
Bahaa Al-Din: Peu m’importe que nous nous adaptions ou pas aux pays étrangers. Ce qui m’intéresse, c’est que [l’enseignement] soit adapté à la nature du peuple, à ses valeurs, sa religion, son héritage, son histoire et ses intérêts (…)
Question: Dans quelle mesure, à votre avis, certains courants extrémistes infiltrent-il le milieu enseignant, et existe-t-il un dispositif de surveillance [de ce phénomène]?
Bahaa Al-Din: J’ai renvoyé des milliers d’enseignants extrémistes. Tout enseignant extrémiste est entièrement démis de ses fonctions.
Question: Comment pouvez-vous vérifier la situation?
Bahaa Al-Din: Je reçois des rapports de sécurité; je reçois continuellement des rapports des services de surveillance du ministère [de l’Education] et des organes autorisés, ainsi que des publications de médias. S’il s’avère que l’enseignant a effectivement dévié de la ligne nationale, je le fais immédiatement licencier. ~
L’Interview d’Al-Ahram: «Plusieurs leçons se rapportent au djihad»
Question: Le programme d’études religieuses a-t-il été restreint?
Bahaa Al-Din: Non. C’est faux. C’est un mensonge total. En revanche, des cours de religion ont été ajoutés dans les écoles. Personne n’envisage [d’en réduire le nombre] et personne n’oserait limiter le programme religieux en Egypte. Il est sous la surveillance rigoureuse d’Al-Azhar.
Question: Mais on parle d’abolir tout ce qui est en rapport avec le djihad dans le programme sur l’islam; il paraît que même les guerres du Prophète [Mahomet] ne sont plus au programme.
Bahaa Al-Din: C’est complètement faux. De nombreux cours ont trait au djihad, [3] à la Dawa et aux guerres du Prophète. D’autres parties du programme scolaire s’y rapportent également, comme le programme d’histoire (…)
«Le terme ‘démocratie’ n’apparaît pas [au programme] parce qu’à leur âge, [les étudiants] ne peuvent pas en comprendre [le concept]»
Question: Le terme ‘démocratie’ n’apparaît à aucun moment dans les manuels des trois premières années d’école primaire [enseignant] la bonne conduite. En effet, nulle mention n’en est faite – alors même que l’esprit et la bonne conduite de notre époque se basent sur ce concept.
Bahaa Al-Din: Le terme n’y apparaît pas tel quel, mais sa signification y est présente.
Question: Dans quel chapitre?
Bahaa Al-Din: Je n’ai pas les chapitres sous le nez.
Question: Excusez-moi, Monsieur le ministre, mais j’ai parcouru le programme dans toutes les matières sans jamais rencontrer [ce terme].
Bahaa Al-Din: Peut-être le terme n’est-il pas mentionné parce qu’à leur âge, [les enfants] ne sont pas en mesure de comprendre [sa signification]. Nous (…) l’interprétons et exprimons le message indirectement, avec un plus grand impact [sur les enfants]. Ainsi, nous n’oublions pas que ce qui compte le plus en démocratie, c’est son application.
Le cœur de la démocratie, c’est une connaissance parfaite des droits, des obligations, et une participation active à ces droits et obligations. On ne peut arriver à cela que si la démocratie est appliquée. Aujourd’hui, des parlements écoliers et des groupes de discussion existent dans les écoles.
Question: Docteur, s’il vous plaît répondez-moi franchement: quand donc le terme ‘démocratie’ sera-t-il introduit à l’école?
Bahaa Al-Din: Nous sommes en pleine évolution. Dans le cadre du Conseil national de l’éducation qui s’est rassemblé en 1994, nous avons admis qu’il existait un besoin de développement. [Maintenant] le développement existe. Il existe, il est vivant et il [ne cesse de] croître.
Question: Est-il possible d’enseigner la bonne conduite et la démocratie dans la crainte?
Bahaa Al-Din: Il n’y a pas que la bonne conduite qui ne puisse être enseignée dans la crainte. Rien ne peut être enseigné dans une telle ambiance. La peur tue la créativité, empêche la compréhension et éteint le talent (…)
Question: Pour en venir à l'[Initiative américaine du] Grand Moyen-Orient: pensez-vous que l’étude de la bonne conduite à l’école doit inclure l’acceptation des voisins israéliens et de la coexistence avec eux ?
Bahaa Al-Din: Au cœur de notre foi se trouve la paix. Nous nous saluons en islam avec le mot ‘paix’, terme qui apparaît de façon explicite dans les versets du Coran, mais notre vision de la paix est particulière. Il s’agit d’une paix basée sur la justice pour tous, sur la reconnaissance des droits légitimes de l’autre, et non sur la politique du fait accompli. Et c’est ce que nous enseignons à nos enfants. ~
[1] Al-Sharq Al-Awsat (Londres), le 9 mars 2004
[2] Al-Ahram (Egypte), le 16 mars 2004
[3] Une réponse similaire a été donnée par le cheikh Mohammed Tantawi d’Al-Azhar, dans l’hebdomadaire gouvernemental égyptien Aqidati, à la question: «Certains disent que le développement du programme prévoit le retrait de certains versets [du Coran] qui appellent au djihad et font référence aux Juifs. Que répond votre Excellence à cela?» Réponse du cheikh: «Nous montrons à tous nos manuels sur la loi religieuse utilisés à Al-Azhar et nous disons: ‘Ce que vous dites est sans fondement.’ Tous ces chapitres sont incorporés aux manuels sur la loi religieuse (…)» Aqidati (Egypte), le 16 mars 2004.