Dans une récente interview affichée dans le journal en ligne Al-Haqa’eq et publiée par le quotidien saoudien Al-Jazirah , [1] , le colonel Jibril Rajoub, conseiller pour la sécurité nationale du président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat, a qualifié l’actuel gouvernement américain de «fasciste.» En outre, il a appelé au renforcement de l’opposition irakienne et dénoncé les efforts déployés pour marginaliser Arafat et l’OLP. Il a aussi émis le souhait d’une Russie plus forte, capable de contrebalancer le pouvoir des Etats-Unis. Voici quelques extraits de l’interview:
Le gouvernement américain est un gouvernement fasciste
« Le gouvernement américain est un gouvernement fasciste de droite, contrôlé par la droite sioniste. Une poignée de fascistes de droite dirige ce gouvernement. Chez eux, à commencer par Dick Cheney et jusqu’à Paul Wolfowitz, le terme ‘Arabes’ suscite colère et déclenche nausée et dégoût (…). Je ne crois pas que l’Administration américaine désire, ou soit capable, d’établir de bonnes relations avec les Palestiniens et les Arabes en raison de cette hégémonie de droite qui règne sur ses institutions.»
Interrogé sur l’éventuelle responsabilité des Palestiniens dans la détérioration des relations entre les deux parties, Rajoub répond: «Nous, nous sommes les victimes, notre peuple est victime (…) Les Américains exploitent l’équilibre des forces [actuel] et la chute de l’Union soviétique pour imposer leurs conditions et leurs exigences au monde en général et au Moyen-Orient en particulier.»
Concernant les relations américano-arabes, Rajoub estime:«Les Américains ne sont ni objectifs, ni réalistes. Ils n’ont pas le minimum de respect pour les Arabes et leurs aspirations. Il est donc nécessaire de développer une position arabe [unifiée] mobilisant toute l’énergie et les options arabes pour faire face aux Américains, lesquels se comportent en maîtres du monde et parlent un langage de gendarme, le langage du nouvel impérialisme (…)»
Sur la guerre en Irak, Rajoub assure: «L’Administration américaine n’a pas mené la guerre contre l’Irak pour renverser Saddam Hussein, mais pour contrôler les richesses naturelles de l’Irak et tout le Moyen-Orient, pour assurer la sécurité d’Israël et soutenir le front Est (…) Je pense qu’il est temps que les Arabes se réveillent. L’opposition irakienne contre l’occupation américaine doit être renforcée.»
Relations russo-palestiniennes
Récemment revenu d’une visite en Russie, Rajoub analyse les relations russo-palestiniennes: «Nos relations avec la Russie sont excellentes. La Russie est une nation clé dans le monde; nous lui souhaitons de recouvrer sa puissance et de rétablir l’équilibre des forces dans le monde, afin de se trouver davantage impliquée dans les conflits régionaux et internationaux, y compris le conflit qui nous oppose à Israël (…) Nous devons maintenir des relations avec la Russie et l’Europe et refuser le monopole américain au Moyen-Orient.»
Les Accords de Genève
Rajoub élude une question portant sur la position officielle de l’Autorité palestinienne concernant les Accords de Genève. Il qualifie ces Accords d’«initiative non-officielle», ajoutant que c’est le bon droit des Palestiniens de tenir des discussions non-officielles avec des Israéliens ou qui que ce soit d’autre. Rajoub précise toutefois que ce faisant, il convient de ne pas oublier que «la source nationale d’autorité pour le peuple palestinien est l’OLP, qui seule est en droit de conduire des négociations.»
L’Autorité palestinienne et l’opposition islamique
Rajoub confie que «les contacts avec les groupes politiques palestiniens, Hamas et Djihad islamique inclus, n’ont pas pris fin, et ne prendront jamais fin. Ces forces font partie du peuple palestinien et du mouvement de libération nationale. Ils représentent des cellules actives importantes du tissu social et politique palestinien.»
L’échec d’Abou Mazen: il en est le seul responsable
Pour Rajoub, l’ancien Premier ministre palestinien Mahmoud Abbas (Abou Mazen) ne peut accuser personne de son isolement au sein du Fatah, isolement qui incombe, selon Rajoub, au fait qu’Abou Mazen ait parié sur des éléments extérieurs [au Fatah], refusant de reconnaître le mouvement comme unique source d’autorité. Rajoub estime que les Américains et les Israéliens ont menti à Abou Mazen, car ils ne lui on rien donné.
L’interviewer demande ensuite à Rajoub si la présence de Mohammed Dahlan dans le gouvernement d’Abou Mazen n’est pas en partie responsable de l’échec essuyé. Rajoub estime que Dahlan a effectivement contribué à l’échec de Mahmoud Abbas: ce dernier aurait accordé à Dahlan une autorité qui ne lui revenait pas sur les affaires intérieures, contrevenant à l’accord passé entre Abou Mazen et Arafat. Rajoub raconte que 24 heures avant l’effondrement du gouvernement d’Abou Mazen, Arafat aurait suggéré, au moyen d’émissaires, qu’Abou Mazen révoque Dahlan et nomme un ministre de l’Intérieur officiel à sa place. Abou Mazen aurait refusé de se plier à cette exigence. Rajoub ajoute qu’Abou Mazen et les membres de son gouvernement donnaient aux Palestiniens l’impression qu’ils cherchaient à contrôler l’Autorité palestinienne, précisant qu’Abou Mazen souhaitait gouverner sans tenir compte de l’autorité d’Arafat et du Fatah. Si tout Palestinien a le droit légitime de se distinguer de [la ligne de] Yasser Arafat, remettre en cause son autorité alors qu’il demeure le président élu est, d’après Rajoub, interdit.
L’Intifada n’était pas une erreur mais il est temps de mettre fin aux opérations visant les civils en Israël
Refusant de qualifier l’Intifada d’erreur, Rajoub regrette toutefois sa militarisation. Il ajoute qu’il est malheureux que certaines personnes, dont des figures marquantes de l’Autorité palestinienne et des services de sécurité, n’aient suivi que leur propre programme. Il souligne: «Nous devons utiliser tous les moyens pour mettre fin aux opérations visant les civils dans la Ligne verte.»
Sharon trompe le monde
Rajoub a également été invité à s’exprimer sur les motifs d’Israël concernant la construction d’une barrière de séparation, au vu de l’explication donné par Ariel Sharon: «Sharon trompe le monde entier (…) Sharon ment plus qu’il ne respire (…) Sharon mentait en parlant de concessions douloureuses et de la fin de l’occupation.» [2]
[1] http://www.alhaqaeq.net , le 4 novembre 2003; Al-Jazirah (Arabie Saoudite), le 4 novembre 2003.
[2] Evoquant les enquêtes sur les délits dont Sharon est soupçonné, Rajoub a dit : “Le niveau de corruption en Israël dépasse celui de tous les autres pays du monde.»