La direction de la communauté copte chrétienne d’Egypte a pour la première fois depuis longtemps exprimé son mécontentement en prenant ouvertement position. Le chef de la communauté copte égyptienne, le patriarche Shinoda III, qui dans ses articles, interviews et déclarations publiques mettait jusqu’alors l’accent sur l' »harmonie et l’égalité » régnant entre chrétiens et musulmans dans le pays, proteste à présent contre l’inégalité et les préjugés dont souffrent les chrétiens dans le monde arabe.
Le patriarche Shinoda révèle qu’il s’est plaint aux autorités égyptiennes d’articles parus dans les journaux affiliés au gouvernement, tels que Al-Ahram Al-Arabi et Al-Akhbar, articles qu’il juge offensants pour les chrétiens, ajoutant : « Nous avons un ennemi commun, le sionisme, mais le combattre ne signifie pas porter atteinte à la Torah et au Nouveau Testament, pour que les chrétiens aillent à leur perte… Il n’existe pas de ‘sionisme chrétien’ ; certains chrétiens se sentent solidaires des Juifs et s’écartent alors du christianisme en adoptant des idées fausses. »
Le patriarche Shinoda s’est également exprimé sur la situation des Coptes en Egypte : « Nous ne faisons que réclamer l’égalité entre les deux composantes de la nation [arabe], car trop souvent les chrétiens ne disposent pas de suffisamment d’espace pour évoluer… Personne ne tolère que le prêcheur américain [Jerry Falwell] s’en prenne à l’islam de façon si choquante. Pourtant, je ne compte plus les articles, les livres et autres publications attaquant les chrétiens en Egypte ; or nous nous taisons face à cela pour éviter les gros problèmes ou même les petits problèmes… »
Seuls 2 des 444 membres du parlement égyptien sont Coptes
« Il existe un fossé entre les lois égyptiennes et leur application. La constitution et les lois instaurent l’égalité des droits et des devoirs entre musulmans et chrétiens en Egypte. Mais en réalité la situation est différente : parmi les 444 candidats élus, seuls trois [chrétiens] ont réussi [à se faire élire], et l’un d’entre eux a été renvoyé en raison de sa double nationalité. Les chrétiens n’ont-ils pas aussi le droit d’être représentés au Parlement… ? Il en est de même de la représentation des Coptes dans les syndicats et les conseils populaires. » [1]
Les critiques des leaders et journalistes coptes à l’égard du « sionisme chrétien » et de la « chrétienté occidentale » ne sont pas un fait nouveau. [2] En revanche, les déclarations du patriarche Shinoda sur la discrimination endurée par les Coptes égyptiens et la nécessité d’une « représentation politique adéquate » sont sans précédent.
L’hebdomadaire copte Watani a récemment publié un éditorial dénonçant le traitement des chrétiens en Arabie Saoudite et dans le monde arabe en général. Dans un article intitulé « L’émigration des Arabes chrétiens : une hémorragie persistante », Youssef Sidhom, éditorialiste de Watani, écrit: » …[Il existe] une contradiction entre la position [arabe] officielle [qui stipule l’égalité] des droits civiques des filles et fils d’une même nation, quelle que soit leur religion, et le refus quotidien de l’exercice de ces droits. Lorsque les citoyens de « l’autre religion » sont concernés, les lois écrites, les régulations et décrets qui stipulent l’égalité des droits pour tous entrent en complète contradiction avec une réalité qui nourrit rancœur et désarroi. Le ressentiment vis-à-vis de l’autre identité religieuse jette une ombre sur notre région, car celui-ci existe à tous les niveaux : au niveau local et régional des sphères politique, culturelle et médiatique, jusqu’au niveau international, où il altère notre façon de réagir aux événements. Cet état de fait déplorable – ouvertement débattu en comité restreint – est délibérément ignoré par les médias et la classe politique… » [3]
Les chrétiens en Arabie Saoudite
Dans son éditorial, Sidhom évoque les réactions déclenchées par un article du prince saoudien Talal Ben Abd El-Aziz Al-Saoud, publié début 2002 dans Watani (ainsi que dans d’autres journaux proches des communautés chrétiennes du monde arabe, tel que le journal libanais Al-Nahar). Le prince Talal appelait les chrétiens du monde arabe à ne pas émigrer en Occident. Une des réactions a été envoyée à Watani par un Egyptien revenant d’Arabie Saoudite et souhaitant dénoncer le fossé qui existe entre les propos du prince Talal et la réalité :
« Pour endiguer le départ massif des chrétiens arabes de leur pays d’origine, il faut commencer par en révéler les véritables causes. Le climat d’inégalité et le harcèlement qu’ils subissent au quotidien sont une réalité connue de tous qu’il ne sert plus à rien de réfuter ou de masquer avec de beaux discours. Je suis égyptien et j’ai quitté l’Egypte pour trouver ailleurs de meilleures conditions de vie. J’ai travaillé en Arabie Saoudite, au Yémen, à Oman, au Qatar et aux Emirats Arabes Unis. Bien qu’ayant été accueilli et accepté par la plupart des habitants de ces pays, j’ai été confronté en Arabie Saoudite au fanatisme et à une haine profonde pour tout ce qui est chrétien. Dans leur haine, les Saoudiens ne se contentent pas de harceler les chrétiens et de les poursuivre jusqu’en dehors de leurs frontières dès que ces derniers laissent échapper un signe de leur appartenance religieuse. Ils vont jusqu’à adopter des mesures leur permettant d’exporter leur haine à tous les pays voisins. Voici quelques exemples:
- A la douane en Arabie Saoudite, sont considérés comme produits de contrebande – en plus des drogues, liqueurs, matériel pornographique et autres produits de ce genre – tout objet en forme de croix, même à titre décoratif, tout livre chrétien, toute photo ou publication chrétienne.
- Un jeune grec venu en Arabie Saoudite pour affaires a été harassé à l’aéroport de Djedda par le douanier qui lui a arraché sa croix du cou et l’a violemment jetée à la poubelle.
- Une Européenne mariée à un musulman palestinien transportait dans ses bagages une icône de la Sainte Vierge que lui avait donnée sa grand-mère lorsqu’elle était enfant. Ses bagages ont été fouillées, l’icône a été confisquée et jetée à la poubelle.
- Un chrétien qui se promenait à Djedda a été arrêté par la mutawa’ah [police religieuse islamique] qui lui a demandé pourquoi il ne se trouvait pas à la mosquée pour la prière de l’après-midi. Lorsqu’il a répondu qu’il était chrétien, le mutawi [policier] s’est écrié ‘A’udhu Billah’ ! [qu’Allah me protège!] et lui a craché au visage.
- Dans une émission télévisée qui dispense des conseils religieux [fatwa], un spectateur a demandé au cheikh s’il pouvait se rendre en Egypte pour remettre un objet qui lui avait été confié à la famille d’un ami chrétien. Le cheikh a commencé par reprocher au spectateur d’avoir un ami chrétien – les musulmans ne seraient pas autorisés à avoir de tels amis. Il lui a ensuite conseillé de s’approprier l’objet en question, vu que la propriété des kuffaar [infidèles] revient de droit aux musulmans.
- Un étudiant saoudien ayant prévu de partir étudier aux Etats-Unis et craignant pour sa vertu s’est enquis de l’avis de ce même cheikh. Ce dernier lui a conseillé d’épouser une Américaine sitôt arrivé, mais à la condition de ne pas avoir d’enfants d’elle, et de divorcer dès que ses études seraient terminées et qu’il serait disposé à rentrer chez lui.
- Toute personne en possession d’une Bible ou connue pour s’être jointe à la prière de chrétiens est arrêtée, interrogée puis expulsée du pays. » [4]
Critiques coptes à l’égard du compte rendu officiel du rapport publié par le Département d’Etat américain sur la liberté de culte en Egypte
Dans le précédent numéro de Watani, l’éditorialiste Sameh Fawzi reproche à la presse égyptienne officielle de n’avoir cité du rapport 2002 du Département d’Etat sur la liberté de culte que les propos élogieux à l’égard de l’Egypte, ignorant les critiques :
« La presse officielle ne se rend pas compte que cette façon de procéder cause du tort à l’Egypte et donne de ses journalistes l’image d’ignorants ne sachant pas parler anglais – ou de personnes collaborant avec le gouvernement dans le but de fausser la perception du peuple, qui n’a pas accès à ces rapports. En tant que partisan de la transparence, je dévoile ici certains extraits du rapport qui n’ont pas été publiés dans la presse officielle :
‘Les non-musulmans sont encore victimes de discrimination officielle. Aucun chrétien ne peut prétendre au poste de gouverneur, de président d’université ou de doyen. Seul un petit nombre de chrétiens occupe des postes importants dans la Police. Le gouvernement paye les imams musulmans, mais pas les prêtres chrétiens. L’Université Al-Azhar n’accepte pas d’étudiants chrétiens, bien qu’elle soit financée par les contribuables musulmans et chrétiens. Les démarches pour construire une église sont beaucoup plus longues [que celles pour construire une mosquée]… Les forces de sécurité ont interdit la construction d’églises même quand les permis de construire avaient été obtenus. Le gouvernement n’a pris aucune mesure pour empêcher des éléments non-gouvernementaux de porter atteinte à la liberté de culte.’
Voici quelques-uns des éléments non publiés dans la presse officielle, laquelle a approuvé le rapport… » [5]
[1] Al-Hayat (Londres), le 20 octobre 2002.
[2] Pour de plus amples informations, voir la Dépêche Spéciale n° 93 de MEMRI.
[3] Al-Nahar (Liban), le 29 janvier 2002
[4] Watani (Egypte), le 27 octobre 2002. Les articles de Sidhom sont publiés en arabe et en anglais dans la version internationale de Watani. Le texte ci-dessus est traduit de la version anglaise.
[5] Watani (Egypte), le 20 octobre 2002. Cité dans Al-Quds Al-Arabi (Londres), le 22 octobre 2002