Muhammad Muhsen Sazgara, l’un des fondateurs des « Gardiens de la révolution » [Sepah-I-Pasdaran], propriétaire d’une maison d’édition, éditeur de trois journaux fermés par le régime iranien, est aujourd’hui l’un des plus acerbes critiques du régime iranien. [1] M. Sazgara a dernièrement publié une lettre personnelle à l’attention de l’Ayatollah Khameneï, guide suprême de la république islamique d’Iran, [2] dans laquelle il critique la politique de l’Iran dans les domaines étranger, intérieur, éducatif et économique, qualifiant M. Khameneï de « dirigeant malveillant ». Voici quelques extraits de sa lettre:
Une politique étrangère isolationniste
« Votre politique consiste à se créer des ennemis et à nourrir de [vieilles] dissensions; elle repose sur la certitude que des ennemis internationaux essaient jour et nuit de renverser le régime iranien… En conséquence, l’Iran est devenu un pays isolé, à une époque où nous avons besoin d’entretenir de bonnes relations avec le reste du monde. »
Une politique d’oppression dans le domaine de l’éducation
« Votre théoriemanichéiste veut que l’Iran ait ouvert, grâce à la révolution islamique, une nouvelle voie au genre humain… et c’est pourquoi le monde matérialiste comploterait contre la culture de la révolution iranienne, essayant de détruire ses valeurs spirituelles…, la croyance en l’islam et en la république islamique…
Se basant sur cette idée, le gouvernement [iranien] se permet d’intervenir dans toutes les affaires culturelles du pays. Le gouvernement détient le monopole de la diffusion de l’information, régit les pensées du peuple ainsi que son droit d’expression.
Le fait est que le genre humain n’est pas en train de sombrer dans la corruption et la décadence, et que nous [Iraniens] ne sommes ni si purs, ni si saints. Nous sommes une nation comme les autres, un pays comme les autres. Nous devons faire preuve d’une grande humilité et reconnaître que nous avons beaucoup à apprendre. Votre politique permet au gouvernement de s’immiscer dans tous les domaines de la vie ; elle a aussi bloqué l’interaction culturelle entre nous et les autres nations, ce qui est plus grave car cause d’isolement aussi bien politique que culturel, alors que nous sommes à l’âge de l’information et de la communication. »
Mesures intérieures répressives
« Toutes les affaires militaires, sécuritaires, législatives, judiciaires et culturelles, ainsi que les questions quotidiennes ayant trait au budget, doivent être traitées en fonction des souhaits d’un seul homme, et si quelque chose ne vous plaît pas, alors il faut procéder à des changements [pour vous satisfaire]. Dans les sociétés démocratiques, l’opposition, quelle que soit son importance, a le droit de s’exprimer, droit qui lui est refusé en Iran, même si elle représente la majorité… Quiconque s’oppose à vous servirait (volontairement ou involontairement) [des intérêts étrangers] et un terme doit donc être mis à ses activités, soit par la force, soit par l’emprisonnement – en ayant recours à la Justice.
Une politique économique sans succès
« Des fonds importants, comme [le fonds Mustazafin], représentant des milliards de tummans [monnaie iranienne], dépendent entièrement de vous… Des centaines d’institutions sont contrôlées par le gouvernement ou des représentants du gouvernement…
Le revenu brut du pays correspond à 70% de ce qu’il était en 1977 [deux années avant la fin du règne du Shah] et les investissements ne représentent plus que 40% de leur pourcentage de 1977. Le chômage a atteint un taux record et notre taux d’inflation est l’un des plus élevés au monde.
L’économie iranienne est proche de l’effondrement. Compte tenu du fait que notre population est l’une des plus jeunes du monde, cet effondrement est susceptible de se transformer en catastrophe.
Vous devez commencer par vous-même: les fonds économiques que vous contrôlez doivent devenir la propriété du peuple, ainsi que les autres fonds et monopoles liés au gouvernement. La politique isolationniste dans le domaine économique est une invitation à la catastrophe. Nous devons agir en interaction avec le monde. Ce n’est pas le moment de s’enfermer derrière des portes et des frontières. Le premier pas en ce sens est d’accorder au peuple la possibilité de contrôler l’économie et les fonds et de supprimer l’ingérence du gouvernement.
Si vous ne jugez pas utile d’agir ainsi, considérez l’ampleur de la catastrophe économique dans le pays, la pauvreté, la faim, et pensez au destin de ces millions de jeunes sans emploi… Regardez bien tout cela maintenant, car demain il sera peut-être trop tard… »
Message personnel
« M. Khameneï, [3] je ne vous crains pas et n’ai aucune raison de vous craindre, parce que je crois en Allah et en son pouvoir. Nous dépendons tous de lui; c’est lui qui régit l’univers. Mais en dirigeant le pays, vous devez faire en sorte que nul ne vous craigne.
Ainsi que nous l’ont enseigné nos maîtres spirituels, les plus faibles devraient pouvoir vous parler de leurs besoins sans bégayer de peur, et demander justice. Si vous ne leur autorisez pas cela, vous êtes coupable de cruauté et [agissez] contre le droit de votre peuple. Les menaces d’emprisonnement et l’intimidation subies par ceux qui vous critiquent ne siéent pas à votre personne. Ce sont les dirigeants malveillants et les rois cruels qui ont recours à ces procédés. N’oublions pas que nous sommes tous disciples du Prophète, qui a dit: « Le meilleur des djihad consiste à dire des paroles de vérité à un dirigeant malfaisant. » ~
[1] La maison d’édition de M. Sazgara porte le nom de « Société contemporaine » (Jami Emrouz). Les journaux sont les suivants: Société (Jami), Joie (Neshat) et Touz, d’après le nom d’un village situé à proximité de Machhad, lieu de naissance de Ferdowsi, le célèbre poète iranien du 11ème siècle.
[2] www.iran-emrooz.de/khabar/sazgara810209.html.
[3] M. Sazgara n’appelle pasM. Khameneï par son titre religieux d’Ayatollah. Ce titre a été accordé àM. Khameneï a moment de sa nomination comme Guide suprême, vu qu’il n’était pas d’un rang religieux suffisant pour ce poste.