Dans un article paru dans le quotidien londonien de langue arabe Al-Hayat, Abd El-Hamid Al-Bakkoush, ancien Premier ministre libyen, critique le sentiment anti-américain dominant dans le monde arabe. Voici quelques extraits de l’article: [1]
La propagande arabe contre les Etats-Unis est un échec
« Pour commencer, je dirais que les Etats-Unis ont une politique qui a causé du tort, et continue d’en causer, à certains intérêts arabes. Je n’ai pas l’intention de défendre cette politique. Cela dit, bien que nous ayons le droit de critiquer la grande puissance moderne qu’est l’Amérique, et même de la haïr, nier la force des Etats-Unis ne peut que nous nuire.
Les Etats-Unis, pays fort et pourvu de moyens [importants], a atteint le paroxysme de sa puissance à l’âge moderne et influence la politique mondiale. C’est pourquoi il serait sage de considérer les Etats-Unis comme une réalité internationale, de s’informer sur sa politique en général et de faire preuve de réalisme dans nos relations avec ce pays.
Avons-nous agi de la sorte? Absolument pas! Depuis l’époque d’Abd El-Nasser, au début des années 50, nous menons une propagande d’une étonnante férocité contre l’Amérique. Ce dirigeant [Nasser] a fait de la guerre des mots contre l’Amérique la raison de révolutions et de rébellions contre tout régime monarchique ayant un rapport avec elle.
Nasser a fait de la lutte contre l’Amérique une donnée majeure de sa politique étrangère arabe. Plusieurs gouvernements ont utilisé les médias pour nous inculquer la haine de tout ce qui est américain – au point de remettre en question le patriotisme de ceux qui ne se montraient pas parfaitement virulents dans leur haine de l’Amérique.
Naturellement, il y avait une raison à cette rivalité les opposant au leader de l’Occident [les Etats-Unis], vu que c’est l’Amérique qui a aidé à la création de l’Etat des Juifs en Palestine, ne cessant jamais de le renforcer. Le comportement américain, en lui-même, explique l’opposition manifestée envers la politique américaine dans ce domaine. Mais notre zèle en la matière et notre façon d’étendre nos désaccords avec les Etats-Unis n’ont jamais porté de fruits.
Oui, l’Amérique a bien été notre ennemi sur la question de la Palestine… mais, en tant que peuple victime de fragmentation sociale, de faiblesse et de confusion, il aurait mieux valu que nous ne déclarions pas une guerre généralisée à tout ce qui est américain, comme nous l’avons fait.
Nos naïfs dirigeants ont mené la guerre contre l’Amérique, brandissant des épées médiatiques et tirant du canon de leurs discours. Or il est bien évident que les batailles politiques à coups de mots ne mènent qu’à l’échec et à la confusion. Ainsi avons-nous passé une bonne partie de notre temps à clamer des slogans enflammés contre l’Amérique. Nous nous sommes tournés vers tous ceux qui avaient eu un différend avec les Etats-Unis, de l’URSS à la [République] dominicaine. Ce faisant, nous faisions notre possible pour nous libérer l’esprit de toute politique réaliste. Nous sommes allés jusqu’à qualifier de Paradis des pays qui n’étaient que des gangs, et faire de despotes comme Castro et Idi Amin les héros de la libération et de la lutte contre le colonialisme.
Nous nous sommes plus à imaginer – et n’avons peut-être pas fini de le faire – que la haine de l’Amérique était la première de nos priorités. Nous qualifions un citoyen arabe de loyal ou de traître en fonction de la haine qu’il manifeste [ou non] pour l’Amérique.
C’est ainsi que nous avons agi, passant outre le fait que l’Amérique, que nous détestons, est une puissante réalité internationale, et que l’influence qu’elle exerce sur plusieurs de nos intérêts vitaux est incontournable. Il aurait été plus sage de considérer l’Amérique avec réalisme, afin de protéger nos intérêts, mais nous refusions cette évidence.
L’incitation à la haine anti-américaine nous a nui
Oussama Ben Laden n’a pas été le premier à menacer de détruire les Etats-Unis. Plusieurs parmi nous l’ont précédé, menaçant, au son des acclamations de la foule, de mener l’Amérique à la catastrophe. Des idéologues et des religieux, pas tous des dirigeants, emploient encore leurs langues et leurs stylos à détruire et humilier l’Amérique – bien que cette naïve politique anti-américaine ne nous ait causé que du tort.
Peut-être le temps est-il venu pour nous d’admettre qu’il serait sage de traiter le leader de l’Occident de façon réaliste.
‘Réalisme’ ne signifie pas soumission aux objectifs d’un autre, mais implique plutôt de traiter cet autre en fonction de nos moyens, afin de limiter les dégâts. L’Amérique a plusieurs intérêts dans notre région qu’elle tient à préserver… C’est un pays qui a, tout comme nous, le droit de protéger ses intérêts. Bien que les Etats-Unis soient une puissance intangible, ce n’est pas une puissance despotique imperméable à toute influence. Peut-être que ce dont nous nous plaignions provient, pour une grande partie, de nos propres défauts.
Nous devons nous débarrasser de notre fanatisme
C’est la politique arabe qui a semé la discorde dans les pays arabes. C’est l’invasion iraquienne du Koweït qui a créé le besoin urgent de la protection américaine.
Telle est la réalité politique arabe depuis le jour où des dirigeants nous ont insufflé l’ivresse de la victoire, des fantasmes de fraternité avec l’URSS et de direction du bloc des Etats non-alignés.
Nous n’aurions pas dû nous rallier aux groupes anti-américains, vu que nous n’excellons en rien. Affronter les Etats-Unis sans en avoir les moyens n’a rien de sage. Nous devons nous libérer, autant que nous le pouvons, de notre façon de penser politique, de notre fanatisme… »