Wafa Idris, Palestinienne de 27 ans en provenance du camp de réfugiés Al-Amari, à proximité de Ramallah, est devenue la première femme à commettre un attentat suicide le 27 janvier 2002, tuant un civil israélien et en blessant près de 140 autres. Les « Brigades d’Al-Aqsa », branche militaire du Fatah, ont revendiqué l’attentat trois jours plus tard. Le résumé suivant est la première partie d’un récapitulatif des réactions émises dans les médias arabes:
Le passé d’Idris
A l’âge de 16 ans, Idris a épousé son cousin Ahmed et neuf ans plus tard, « les conventions traditionalistes et la pression familiale l’ont poussée au divorce, car elle ne pouvait pas avoir d’enfants. » [1] Après le divorce, Idris est devenue volontaire au Croissant rouge palestinien. Sa famille et ses amis déclarent que ce travail l’exposait à la vision horrible de Palestiniens blessés et morts, estimant que c’est ce qui l’a décidée à commettre un attentat suicide.
Le Dr Hussan Al-Sharqawi, conseiller au Croissant rouge, a fermement démenti l’existence d’un quelconque lien entre son travail et l’attentat: « Je suis choqué. Je ne m’attendais certainement pas à ça… Nous enseignons à notre personnel à aider les autres sans considérations de religion, couleur, citoyenneté ou de toute autre distinction. Qu’un membre de notre personnel puisse tuer me peine profondément, parce que cet acte entre en contradiction avec nos valeurs humanistes, qui ne nous ont jamais empêchés et ne nous empêcheront jamais d’aider [même] des soldats et des colons si besoin en était. » [2]
D’autres parents estiment que le divorce d’Idris et l’absence de perspectives laissant augurer qu’elle pourrait refaire sa vie ont joué un rôle déterminant. Une de ses tantes a affirmé: « Son [mari] l’a tuée en la répudiant. Elle a assisté à son deuxième mariage de sa fenêtre. Elle a distribué des sucreries le jour où elle a appris qu’il était devenu papa. Il l’a brisée, mais elle a gardé sa fierté. » [3] Son amie d’enfance Rafah Abou Hamid a déclaré: « Je crois que le fait de divorcer et de se sentir rejetée de la société en tant que divorcée incapable de concevoir lui a donné le sentiment de son insuffisance; elle a essayé d’y remédier en travaillant et en formant des relations sociales après son divorce. » [4]
Certains Palestiniens pensent qu’Idris a agi en fonction de problèmes personnels. Maram Alawi, 22 ans, étudiante à l’université d’Al-Qods a déclaré, avant d’apprendre qu’Idris avait été envoyée par le Fatah: « La fille qui a commis cet attentat est folle ou traumatisée; elle s’est suicidée pour que le monde entier la considère comme une combattante. Si j’étais elle, je n’aurais pas agi de la sorte. C’est un acte de terrorisme… Les mouvements islamiques ont exploité la détresse psychologique et émotionnelle de cette fille en la recrutant pour cette opération… » [5]
D’autres ont vanté l’attentat. M.Y. Al-Alami, 17 ans, étudiante à l’université de Bir Zeit, a dit qu’elle considérait que « le combat n’est pas le domaine réservé des hommes. De nombreuses femmes ont effectué des opérations, comme Dalal Al-Maghribi [6], Layla Khaled [7], et d’autres. Mais jusqu’à présent, aucune Palestinienne ne s’était fait sauter. C’est un fait inhabituel, mais je suis pour. » Elle a émis l’espoir qu’il y ait plus d’actions de ce genre à l’avenir, soulignant que le rôle des femmes ne devait pas se limiter au domaine politique, mais devait également englober le domaine militaire: « La société a du mal à se faire à cette idée assez récente, mais encore un autre [attentat de ce genre] et tout ça deviendra routine; personne n’en parlera plus. » [8]
Le débat religieux
Parce que cet attentat-suicide a été le premier perpétré par une Palestinienne, les médias ont demandé aux dirigeants du mouvement islamique palestinien s’ils considéraient que de tels actes étaient acceptables au plan religieux. Ismail Abou Chanab, l’un des dirigeants du Hamas à Gaza, a dit: « Le djihad contre l’ennemi est un devoir pas seulement pour les hommes, mais aussi pour les femmes. L’islam n’a jamais fait la différence entre hommes et femmes sur le champ de bataille. » [9]
Le cheikh Hassan Youssef, l’un des dirigeants du Hamas en Cisjordanie, a ajouté: « Nous n’agissons pas en fonction de l’opinion ou de la société. Nous sommes des hommes de principes… [et agissons] en fonction des impératifs religieux. Une musulmane a le droit de mener le djihad et le combat contre l’occupation. Le Prophète [Mahomet] choisissait par un tirage au sort les candidates qui partiraient en djihad avec lui. Le Prophète a toujours mis l’accent sur le droit de la femme à mener le djihad. » [10]
Jamila Shanti, qui dirige la division des activités féminines du mouvement islamique de Palestine, a remarqué: « La question des opérations-martyre est devenue très populaire dans la société palestinienne. Il n’y a aucune différence entre le martyre des sœurs et celui des frères, vu que l’ennemi tire indifféremment sur les hommes et les femmes…L’islam n’interdit pas à une femme de se sacrifier pour défendre sa terre et son honneur. C’est elle qui a été attaquée et elle a le droit de se défendre par tous les moyens. Il n’y a rien de surprenant à ce que les sœurs musulmanes aient entrepris des opérations héroïques en Palestine depuis 1948. Au contraire: il aurait été étrange que les femmes palestiniennes n’en effectuent pas, vu que le djihad est un impératif individuel…et que personne ne peut les empêcher de s’y soumettre, à condition qu’…elles évitent la fitna [dans ce cas: comportement déplacé] – qui n’est [de toute façon] pas au programme des opérations martyre, vu qu’elles vont à leur mort. Il peut arriver que la femme soit tenue de s’habiller d’une certaine façon pour tromper l’ennemi, qu’elle soit obligée de renoncer à une partie du voile en allant au martyre. Mais il n’y a aucun mal à cela, parce que toutes les autorités religieuses s’accordent à penser que les opérations-martyre sont la plus haute forme de martyre. » [11]
Le cheikh Ahmed Yassin, maître spirituel du Hamas, a quant à lui émis des réserves: « La femme palestinienne joue un rôle important dans la société en ce qu’elle soutient les combattants. » a-t-il expliqué. « Dans notre société palestinienne, les femmes affluent vers le djihad et le martyre, tout comme les hommes. Mais la femme a cela de particulier que l’islam pose quelques restrictions en ce qui la concerne, et si elle sort se battre au nom du djihad, elle doit être chaperonnée par un homme. » [12]
Quelques jours plus tard, Le cheikh Yassin a rectifié sa position, précisant qu’une femme partant en djihad devait être chaperonnée par un homme seulement « si elle doit s’absenter pour un jour et une nuit. Si son absence est plus courte que cela, elle n’a pas besoin de chaperon. » [13]
Itaf Alayan dit avoir essayé de perpétrer un attentat-suicide à Jérusalem, mais a été arrêtée; elle a été libérée après la signature des accords d’Oslo. Alayan n’est pas d’accord avec le cheikh Yassin: « Il y a un hadith [tradition] qui dit que si l’ennemi s’infiltre sur la terre musulmane, une femme doit partir en djihad sans avoir à demander la permission à son mari… Et comment une femme qui part commettre une opération-martyre pourrait-elle être chaperonnée, que ce soit par son frère, son fils ou son mari? L’opération échouerait. Ainsi, dans un cas de force majeure, ce qui est habituellement interdit devient permis… » [14] « Dans l’histoire islamique, nous avons le cas de Khawlah bint Al-Azwar, qui a conduit le djihad sans chaperon pour libérer son frère… » [15]
Le cheikh Ali Abou Al-Hassan, président du comité des décisionnaires religieux à l’université égyptienne d’Al-Azhar, a quant a lui déclaré que les attentat-suicides pouvaient être perpétrés par des femmes, cela malgré le décret du cheikh Tantawi, président de l’université Al-Azhar, interdisant les attentats dirigés contre des civils. « L’opération-martyre perpétrée parmi les Israéliens par la jeune palestinienne est acceptable par la Sharia, et là-dessus tout le monde est d’accord « , a affirmé le cheikh Abou Al-Hassan. « Si l’ennemi a conquis ou pillé ne serait-ce qu’un pouce de terre musulmane, le djihad devient le devoir de chacun, homme, femme, esclave et maître. La femme mène alors le djihad sans l’autorisation de son mari et celui qui est endetté sans l’autorisation de son créancier. »
Le cheikh Abou Al-Hassan s’est référé aux célèbres « actes de djihad féminins » conduits au cours des raids dirigés par le prophète Mahomet: « La tante du Prophète est descendue de la tour de refuge des femmes, et a combattu un homme d’entre les infidèles qui l’escaladait. Elle l’a tué, faisant cependant attention à préserver la moralité islamique, ne le déshabillant et ne le désarmant pas. Elle a dit au poète Hassan bin Thabet: « Toi, va le voir et déshabille-le. » De même, Asmaa, fille de Yazid, a participé à l’une des batailles contre les Byzantins, tuant des hommes. » [16]
Le cheikh Yassin du Hamas a expliqué son opposition aux opérations-martyre conduites par des femmes non par des arguments religieux, mais tout simplement par leur inutilité: « A l’heure actuelle, nous n’avons pas besoin que des femmes portent le poids du djihad et du martyre. Le mouvement islamique ne peut pas enrôler tous les hommes palestiniens qui voudraient participer au djihad et aux opérations-martyre, vu qu’ils sont trop nombreux. Nos moyens sont limités; nous ne pouvons pas absorber tous ceux qui désirent affronter l’ennemi israélien. Mais l’heure du conflit décisif contre l’occupation israélienne arrivera, et alors hommes, femmes, vieillards et enfants participeront au djihad, dans la bataille cruciale pour la libération de la Palestine, à la grâce d’Allah. Nous sommes entrés dans une nouvelle phase historique, où les femmes sont prêtes à se battre et à mourir en martyres, tout comme les hommes et les garçons. Cela vient de la grâce d’Allah. Cela dit, en attendant, les femmes n’ont pas d’organisation militaire dans le cadre du mouvement islamique. Quand une organisation de ce genre sera formée, on pourra discuter du recrutement féminin à grande échelle. » [17]