Introduction
L’Assemblée générale des Nations Unies a adopté dernièrement une résolution du comité des droits de l’homme intitulée: “L’état des droits de l’homme en Iran” [1], qui condamne la pratique iranienne consistant à fouetter et lapider des personnes, surtout quand celles-ci ont moins de dix-huit ans. L’Assemblée générale des Nations Unies a demandé à l’Iran de promulguer des lois préservant ceux qui exercent leur liberté politique.
Cette résolution a été adoptée deux mois après une violente controverse entre autorités religieuses, politiciens et intellectuels, intervenue à la suite de l’administration de coups de fouet en public à quelques 200 jeunes Iraniens et Iraniennes accusés d’avoir bu de l’alcool, “harassé des femmes”, assisté à des soirées, et écouté de la musique occidentale [2]. L’administration du châtiment a été diffusée à la télévision à une heure de grande écoute. Certains jeunes gens ont aussi été fouettés pour avoir fêté la seconde victoire électorale du Président Khatami. [3]
Cette controverse est à placer dans le contexte de la lutte actuelle des pouvoirs actuelle en Iran.
Point de vue conservateur
Pour les conservateurs, les autorités religieuses, et surtout l’Autorité judiciaire, qui réclame la stricte application de la loi islamique, l’administration de coups de fouet est le châtiment islamique adapté aux délits d’ordre moral, surtout quand ceux-ci sont commis par des jeunes. Le châtiment doit avoir lieu sur la place publique, afin d’être “une leçon pour tous”. L’ancien Procureur général d’Iran, l’Ayatollah Morteza Moqtadai, a insisté sur le fait que “personne ne peut mettre un terme à l’application des décrets divins provenant des traditions de l’islam primitif; s’y opposer revient à contrer Allah… Leurs objectifs, notamment celui d’exercer un effet préventif, ne pourront être atteints que si le châtiment est administré en public.” [4]
L’Ayatollah Mahmoud Hashemi Shahroudi, responsable de l’Autorité judiciaire, qui a instauré des mesures sévères contre les jeunes et les membres du Parlement (dont plusieurs ont été arrêtés ces derniers mois pour avoir critiqué l’Autorité judiciaire), soutient que “les meurtriers, les voleurs et les dépravés” ne sont pas candidats aux “droits de l’homme”. “Il est bien étrange”, dit-il, “que nous demandions à Allah de traiter de la même façon des êtres nuisibles et des êtres craignant Allah.” [5]
L’Ayatollah Mohammad Mohammadi-Gilani, président de la cour, a affirmé que “dans un pays musulman régis par la loi islamique [shia] [6], la structure islamique ne peut être masquée.” De plus, “même si le condamné meurt sous les coups de fouet, personne n’est responsable; le fouet doit être utilisé en fonction des décrets divins… Les lois civiles ne peuvent pas, à elles seules, soigner les blessures sociales et… régir une société. Il est nécessaire d’exercer une certaine pression pour faire régner l’ordre dans une société… Les décrets divins et religieux ne m’appartiennent pas, pas plus qu’au responsable de l’Autorité judiciaire [l’Ayatollah Shahroudi] ou au dirigeant suprême [l’Ayatollah Ali Khamenei]. Tous sont égaux face aux décrets divins.” [7]
Arguments de la partie adverse
Certaines autorités religieuses et membres réformistes du Parlement – parmi lesquels le ministre des Affaires étrangères Kamal Kharrazi, le ministre de l’Intérieur Abdolvahed Moussavi-Lari, le ministre de l’Information Ali Younesi – et même le président Mohammad Khatami, se sont opposé à l’usage du fouet, en raison, notamment, de l’effet négatif de ce dernier sur l’image du pays, alors que l’Iran tient à être considéré comme un pays progressiste, démocratique, garant des droits de l’homme. [8] L’Ayatollah Muhammad Tabatabai-Qoumi, éminent religieux réformiste, s’est opposé à Shahroudi sur la question des droits des condamnés, déclarant que “Chacun a des droits fondamentaux”. Il a qualifié l’administration de coups de fouet de “pratique anachronique”, et a critiqué la tentative de “remonter le temps, comme les talibans en Afghanistan.” [9] Une autre personnalité religieuse, l’Ayatollah Nasser Makarem Shirazi, a critiqué l’Autorité judiciaire, qui a décidé de l’administration de coups de fouet sans consulter au préalable les instances religieuses. Le responsable du département de la Police chargé des affaires idéologiques, Hojjatoleslam Mohammad Ali Rahmani, s’est aussi insurgé contre l’administration publique de coups de fouet, citant l’imam Khomeyni, aujourd’hui disparu, en ces termes: “Dans les cas ou l’application de la loi islamique donne une mauvaise image de la religion,il faut y mettre un terme.” [10]
Le président Khatami a critiqué ce qu’il a qualifié de “mesures sévères visant à opprimer les jeunes”: “Dans une société où la discrimination, la pauvreté et les pots de vin abondent, on ne peut s’étonner que les jeunes enfreignent la loi et dévient du droit chemin… On ne met pas fin à la corruption par des châtiments sévères.” [11] Khatami a aussi vivement condamné les déclarations d’un certain nombre de religieux conservateurs qui ont demandé que soient appliquées les méthodes des talibans en Afghanistan, ceci afin d’assurer la sécurité et l’ordre public. [12] Le ministre des Affaires étrangères Kamal Kharrazi, a déclaré que l’administration de coups de fouets “peut donner une image violente de l’islam”. [13] Le vice-ministre des Affaires étrangères Mohsen Aminzadeh s’est plaint des dommages causés par l’exécution du châtiment islamique en public: “Le ministère des Affaires étrangères ne peut encourager une politique de rapprochement [avec les autres pays] sans le soutien de l’Autorité judiciaire…” Il a ajouté que sous le gouvernement Khatami, l’Iran avait déployé l’image d’un “violent Etat terroriste.”, mais que certains allaient faire perdre toutes ses illusions au monde avec un tel modèle de “démocratie islamique”; “L’attitude de l’Autorité judiciaire et des forces de sécurité est pour nous source de problèmes. ” [14]
L’Ayatollah Mohammad Mohammadi-Gilani, président de la cour, a condamné les déclarations d’Aminzadeh, soulignant qu’ “aucun pays étranger ne doit interférer avec les affaires intérieures de l’Iran.” [15] L’Ayatollah Mohammad-Taqi Mesbah Yazdi, éminente personnalité religieuse, a aussi défié la position d’Aminzadeh, demandant: “Devrions-nous avoir honte d’obéir aux préceptes islamiques?S’ils ne plaisent pas aux occidentaux, c’est leur problème, mais la peine de mort et l’administration de coups de fouet sont des principes fondamentaux de notre religion.” [16] Il a d’autre part tenu des propos hostiles aux intellectuels réformistes lors de l’office du vendredi, accusant 99% d’entre eux, “surtout ceux qui ont fait des études à l’étranger”, de “s’opposer à l’application de la loi islamique”. “Les intellectuels”, a-t-il précisé, “en raison de leur manque de foi… sont satisfaits au plus profond d’eux-mêmes quand les lois de l’islam ne sont pas appliquées.” [17]
Ces mots ont déclenché des réactions de colère chez les politiciens et intellectuels réformistes, et ont été condamnés par le président du parlement Mahdi Karrubi, qui s’est excusé auprès des intellectuels et des étudiants d’Iran en qualité de responsable religieux. [18] Najafqoli Habibi, intellectuel de renom, a répliqué d’un ton moqueur qu'”il semblerait qu’il y ait en Iran des personnes capables de lire dans les pensées d’autrui… Ce monsieur [l’Ayatollah Mesbah Yazdi] doit nous raconter… comment il a fait pour entrer dans le cœur et l’esprit d’un si grand nombre de personnes…” Habibi a affirmé que même si certains ont contesté la méthode de châtier les jeunes gens [par coups de fouet], cela ne signifie pas qu’ils sont aussi contre le châtiment des criminels, et on ne peut donc pas les considérer comme des païens. S’en prenant aux conservateurs, Habibi leur a rappelé qu'”accuser les autres, et semer le pessimisme au sein de la société”, sont, par contre, des actions condamnables du point de vue éthique en Iran. [19]
Hojjatoleslam Mohsen Kadivar, religieux réformiste et intellectuel de renom, a fait part de sa “profonde tristesse” due au fait que certains”se prenaient pour la religion, traitant leurs rivaux et ceux qui les critiquent d’ennemis de l’islam, d’Allah, et du prophète Mahomet, ou en font des païens et des hérétiques.” Il a invité le conservateur Yazdi Mezbah à un débat public sur les interprétations islamiques, dans le but de savoir si oui ou non l’administration de coups de fouet, l’emprisonnement, la violence et la force sont compatibles avec les commandements du Prophète. [20]
Entre temps, dans des réunions entre personnalités de haut rang, le problème des conséquences du châtiment public des jeunes gens a été soulevé. Les participants se sont mis d’accord sur le fait que l’administration de coups de fouet en public pouvait être justifiée dans la mesure où elle avait un effet positif, mais qu'”elle n’est pas recommandée dans le cas où elle ternirait l’image de l’Iran.” [21] Il a toutefois était décidé que ce serait au Conseil pour la sécurité nationale d’Iran de trancher, parce que “le châtiment islamique ne doit pas être considéré uniquement du point de vue de la légalité.” [22]
*Ayelet Savyon est responsable du projet médiatique iranien.
[1] Document A/C.3/56/L.50, GA/SHC/3677, le 30 novembre 2001, 56ème assemblée générale, troisième comité, 53ème réunion (AM)
[3] IRNA, le 7 août 2001; Al-Sharaq al-Awsat, le 30 août 2001. Notons que l’administration de coups de fouet fait partie des peines incorporées aux dernières directives de l’Autorité judiciaire. Ces directives comportent aussi l’interdiction pour un musulman non rasé d’aller dans les toilettes publiques, et la fermeture de magasins faisant le commerce d'”objets occidentaux”, tels des tee-shirts, des cassettes vidéo et des cosmétiques.
[4] IRNA, le 23 août et le 5 octobre 2001
[5] Al-Sharaq al-Awsat, le 30 août 2001
[6] La Shia est à la base du deuxième plus grand courant de l’islam après celui du sunnisme, mais du courant majoritaire en Iran.
[8] IRNA, le 7 août 2001; Iran Daily, le 29 juillet 2001
[9] Iran Daily, le 27 août 2001; Al-Sharaq al-Aswat, le 30 août 2001
[10] Iran Daily, le 10 septembre 2001
[12] IRNA, le 1er septembre 2001
[13] IRNA, le 23 et 27 août 2001
[14] Hambastegi, le 28 août 2001; Iran News, le 29 août2001
[16] Norouz, le 28 juillet 2001; Iran Daily, le 26 août 2001
[17] Tehran Times, le 27 août 2001
[18] Tehran Times, le 27 août 2001
[20] Norouz, le 27 août 2001; Iran News, le 27 août 2001