Voici des extraits de la dernière interview de Mahmud Abbas et Abou Mazen, accordée au quotidien palestinien: Al-Ayyam [1]
Q: Qu’a exactement proposé Israël au sujet de Jérusalem?
R: Ils ont repoussé le problème jusqu’au dernier moment. Au début, ils ont fait référence au mur, qui comprend le mur des lamentations et le mur occidental. Ensuite ils ont évoqué le quartier arménien, puis le quartier de Al-Magharba, qu’ils appellent “quartier juif”. Voilà ce que nous leur avons dit: “Nous ne sommes pas prêts à accepter une quelconque présence juive au mur occidental. Par contre, vous pouvez célébrer vos solennités au mur des lamentations, et il est possible de trouver une solution pour le quartier de Al-Magharba”. A part cela, Jérusalem-Est, tout entière, doit nous revenir.
Le dernier jour, ils nous ont fait une proposition complètement ridicule: que le Haram soit sous contrôle palestinien et ce qui repose en dessous sous contrôle israélien. Nous avons biensûr pris ça comme une plaisanterie, une offense, une proposition inacceptable, et nous l’avons donc rejetée.
Passons aux propositions qui ont suivi Camp David, et plus précisément à celle qu’on appelle “la proposition Clinton”, qui est que “les habitations arabes reviennent aux arabes et les habitations juives aux Juifs”. Quant au lieu connu sous le nom de “Saint bassin”, qui comprend l’intérieur et l’extérieur du mur, le village de Silwan, le Mont des oliviers, entre autres lieux, il serait sous la souveraineté internationale de vingt pays. En bref, une partie de Jérusalem-Est et de ses environs seraient sous surveillance internationale. Quant au problèmes des implantations juives à Jérusalem, il n’a pas été soulevé en raison de leur refus catégorique d’en discuter.
Q: De nombreux Israéliens et Américains essaient de promouvoir les propositions de Camp David en employant un langage attractif tel que: “Nous vous avons offert quatre vingt quinze pour cent ainsi qu’un contrôle presque total de Jérusalem Est”. Quelle est votre réaction à ce genre de propos?
R: Quand ils disent: “Nous vous avons offert quatre-vingt quinze pour cent”, je demande: “Et pourquoi pas cent pour cent?” Quand ils disent: ” un contrôle presque total de Jérusalem”, je demande: “Et pourquoi le contrôle ne serait-il pas total?” Quand ils parlent des positions israéliennes, je demande: “Et pourquoi ne mettrait-on pas en place des forces de sécurité internationales, comme dans le Sinaï, au Liban Sud, ou sur la frontière syrienne?” S’ils veulent la sécurité, nous n’avons aucune objection à ce que des forces internationales situées entre eux et nous s’en chargent. Par contre, nous sommes contre la présence de forces israéliennes sur notre terre, car cela porte atteinte à notre souveraineté. Ils enrobent tout de beaux mots, et malheureusement, nombreux sont ceux qui considèrent que les propositions étaient tentantes et qui se plaignent de notre refus. Mais ils n’ont absolument pas compris la nature de ce qu’on nous proposait réellement: on nous a offert des cantons, pas un Etat indépendant.
Ils nous ont proposé 91% à Camp David, et 94% à Taba, dans la bande de Gaza, ce qui signifie qu’ils veulent s’approprier une partie de la Cisjordanie qui fasse deux fois la taille de la bande de Gaza, sans rien donner en retour.
Q: On a dit que l’une des raisons de l’échec de Camp David était que le premier ministre Ehud Barak s’enfermait tout seul dans sa chambre.
R: Pour des raisons personnelles que j’ignore, nous avons passé quelques jours sans voir Barak du tout. Il se cachait. On a appris qu’il ne voyait ni ses collègues, ni les Américains. Nous ne connaissions pas la raison de son isolement. Il faut savoir qu’il n’y a jamais eu de rencontre trilatérale entre lui, le président Arafat et Clinton. On aurait pu croire qu’ils se rencontreraient pour discuter et échanger leurs points de vue, mais cela n’a pas été le cas. Barak envoyait ses gens pour gagner du temps.
Q: Parmi les Israéliens, les Américains et même les Palestiniens, nombreux sont ceux qui pensent que les Palestiniens n’ont pas accordé assez d’attention aux idées de Clinton.
R: Malheureusement, ces Israéliens, Américains et quelques Palestiniens se font des illusions. Soit c’est qu’ils ont le jugement trop rapide, soit c’est qu’ils ont été aveuglés par certaines propositions israéliennes qui en vérité étaient vides. Il suffit de lire les solutions proposées au problème des réfugiés pour s’apercevoir qu’elles ne résolvent rien. Quand vous considérez la proposition des 95% de territoire, vous vous rendez compte que les cinq pour cent restants permettent le contrôle des ressources d’eau et divisent la Cisjordanie en cinq cantons… cinq cent cinquante kilomètres. Au nom de quoi devrions-nous faire don de cette terre? Qu’est-ce qui rend les implantations légitimes? Les implantations du Sinaï ont été déracinées, et Barak lui-même était prêt à déraciner toutes celles du Golan s’il devait y avoir accord [avec la Syrie]. Pourquoi refusent-ils de déraciner toutes les implantations se trouvant sur notre terre?
Malheureusement, certains de nos frères -Palestiniens et non-Palestiniens- ont trouvé ces propositions attirantes. De notre côté, nous considérons qu’elles sont en fait humiliantes. Nous ne devons ni les accepter, ni même en discuter. Quand un Palestinien affirme que nous avons raté une occasion, ou une aubaine, cela affaiblit la position palestinienne, puisque ensuite les Américains et les Israéliens disent: “Voilà un Palestinien qui est d’accord avec nous!” Cela cause du tort à la position palestinienne.
Q: Est-il vrai que, comme l’affirme Robert Malley, ce fut une erreur de la part de Clinton d’essayer de jouer sur les désaccords entre Palestiniens?
R: J’ai déjà dit qu’ils ont exercé sur nous des pressions d’ordre personnel et collectif. Oui, ils ont en effet essayé de s’attacher au moindre mot, prononcé par peu importe qui, qui ressemblait de près ou de loin à une concession. Même au cours de négociations ayant lieu avec des organismes palestiniens non gouvernementaux, dès qu’un palestinien prononçait un mot qui leur plaisait, ils s’en saisissaient pour nous le ressortir aux négociations officielles en affirmant: “Les Palestiniens ont dit ça.” Mais qui sont “les Palestiniens”? Le président Arafat, car c’est lui qui prend les décisions. Nous leur disions alors: “Avez-vous entendu quelque chose de la bouche du président Arafat? Si ce que vous rapportez ne vient pas directement de lui, alors c’est un mensonge.” Nous mettions constamment en garde les Israéliens et les Américains. J’ai dit à Barak: “J’espère que vous entendrez des choses venant de nous et non des choses sur nous”, ce qui signifie que s’il veut connaître la position des Palestiniens, il doit s’en référer à Arafat et à personne d’autre. Il n’y a que le Président Arafat pour représenter la position palestinienne. Oui, il leur arrivait de jouer cette carte-là.
Q: Camp Davis était-il un piège auquel vous avez réussi à échapper?
R: Absolument. C’était un piège. Du début à la fin. Et nous y avons échappé. Personne n’a jamais été sujet à des pressions comme celles qu’ils ont exercées sur nous. Imaginez-vous dans l’incapacité de parler à qui que ce soit ou de sortir de Camp David. Il m’est arrivé une fois de sortir avec mon frère Abou Ala pour parler aux conseillers. Cela a engendré toute une histoire. Nous sommes restés dehors quinze minutes. Au retour, ils nous ont demandé: “Comment êtes-vous sortis? Par où? Et pourquoi?” Il y avait des fils barbelés, la police, des militaires. Et dites-vous bien que nous sommes sortis en accord avec la sécurité américaine, apparemment sans qu’ils ne reçoivent d’autorisation de leurs supérieurs. Pendant toute la durée du sommet, nous sommes restés enfermés, assiégés.
Q: Quels ont été vos rapports avec les Israéliens au cours du sommet?
R: Normaux. Nous nous mettions à table, mangions, discutions. Mais les négociations étaient très dures. C’est-à-dire que les relations en dehors et au sein des négociations n’avaient rien à voir: nos rapports avec eux étaient excellents, mais ce n’est pas parce que je m’entends bien avec quelqu’un que je vais lui faire des concessions. Il (Barak) s’imaginait qu’il pourrait m’influencer puisque nous nous entendions très bien. Mais non. Ce sont deux choses différentes.
Q: Aujourd’hui, un an après Camp David, vous arrive-t-il de regretter avoir refusé ces propositions?
R: Absolument pas. Je n’ai aucun regret. Nous avons fait ce qu’il fallait faire. Les Israéliens et les Américains ont trompé les autres et se sont trompés eux-mêmes en s’imaginant que sur la base d’informations trouvées à droite et à gauche, ils pourraient nous influencer et sortir victorieux du sommet.
Nous avons discuté très sérieusement de leurs propositions, et avons répondu à chacune d’entre elles par d’autres suggestions et des propositions écrites, et nous en avons gardé des rapports. Nous n’avons pas été négatifs, en dépit du fait qu’ils essaient de nous faire passer pour ceux qui rejetaient les offres, comme si eux proposaient, et que nous ne faisions que refuser. Ca ne s’est pas passé comme ça.
Dès le début, nous avons affirmé que le but des négociations était l’application des résolutions 242 et 338, ce qui faisait une petite différence avec Madrid (conférence de 1991). Nous nous sommes donc mis d’accord là-dessus. Nos exigences étaient légitimes. Est-ce de l’entêtement que d’exiger que soit appliqué ce qui a déjà été convenu?
Q: Si telle est la situation, que répondez-vous à ceux qui disent que vous avez raté une belle occasion?
R: Je leur réponds qu’il n’y a jamais eu de belle occasion: personne ne nous a fait de proposition réelle. Il y a eu quelques idées, inacceptables. La preuve en est que de nombreux Israéliens et Américains le reconnaissent. Prenez Robert Malley, par exemple: il dit bien que les propositions israéliennes n’ont jamais atteint les plus petites aspirations palestiniennes. Aujourd’hui les presses israélienne et américaine commencent à dévoiler plusieurs documents dont certains révèlent qu’il n’y a jamais eu de vraie proposition, que c’est un grand mensonge.
Nous ne sommes ni inflexibles, ni radicaux. Nous n’encourageons ni le terrorisme ni la violence, mais uniquement la paix. En nous engageant sur Oslo, nous avons accepté le principe de la paix, pas la paix à n’importe quel prix, mais une paix basée sur la justice; or justice signifie légitimité internationale. Je ne réclame pas la justice absolue, je parle d’une justice relative définie par la légitimité internationale. Nous n’avons en aucun cas raté une belle occasion. Par contre nous avons échappé à un piège qu’on nous avait tendu.