Voici des extraits de la dernière interview de Mahmoud Abbas et Abou Mazen, réalisée par le quotidien Al-Ayyam le 28 juillet 2001 [1]
Le Sommet de Camp David
Q: L’OLP n’était pas optimiste et a tenté de reculer le sommet de Camp David. Pourquoi?
R: Pour commencer, les différents gouvernements israéliens ont refusé d’entamer des négociations sur le statut final. Netanyahou n’y a pas fait allusion une seule fois en trois ans (temps de son mandat). Et pourtant, quand Barak est devenu Premier Ministre, nous avons été choqués par ses cinq non, qui indiquaient le refus du gouvernement de revenir aux frontières de 1967, de supprimer les implantations, de reconnaître le droit de retour, et de rendre Jérusalem [Est]. Nous ne comprenons pas comment les Israéliens peuvent vouloir discuter de statut final en posant de telles limites. Nous avons à plusieurs reprises fait remarquer à Barak que si telle est la position israélienne, alors à quoi servent les négociations?
L’administration américaine nous poussait à entreprendre des négociations. Nous nous sommes rendus à plusieurs reprises à Washington pour leur présenter notre position: elle reposait essentiellement sur la mise en œuvre des résolutions 242, 338 et 194 de l’ONU.
A partir de ce moment, les Américains et les Israéliens ont essayé d’obtenir des concessions de notre part. Nous leur avons clairement fait comprendre que les Palestiniens ne sont pas en mesure de faire la moindre concession, vu qu’ils demandent le minimum et ont déjà fait un grand pas en reconnaissant les résolutions 242 et 338 en 1988. Et ils n’accepteront rien qui ne soit dans le cadre des résolutions 242,338 et 194.
Nous n’avons jamais refusé de nous rendre à Camp David. Nous avons seulement fait remarquer qu’on ne peut négocier en temps limité. Il était impensable de ne pas se préparer au sommet. Mais les Américains ont d’emblée refusé de nous écouter. Les Israéliens se disaient que si la rencontre se faisait directement au sommet, ils obtiendraient des concessions, alors que les Palestiniens insistaient sur la nécessité absolue de préparer les négociations.
Nous avons rencontré des sommités israéliennes. J’ai vu Barak un mois avant les négociations et lui ai dit que j’espérais qu’il se rendait compte que sans préparatifs, les négociations ne mèneraient qu’à la catastrophe.
Je lui ai aussi dit que s’il s’imaginait que les Palestiniens étaient prêts à faire des concessions sur les territoires, les frontières ou les implantations, il était sur un nuage, car il va de soi que la position palestinienne officielle, naturelle, est la suivante: nous exigeons le retour aux frontières de 1967, sans concession. S’il s’avère nécessaire d’opérer quelques réajustements et de procéder à de petits échanges de territoires de même valeur et de même taille, alors nous sommes prêts à discuter. Nous ne pouvons pas accepter l’existence d’implantations sur notre terre. Nous voulons qu’Israël prenne ses responsabilités en ce qui concerne le problème des réfugiés et le droit de retour, après quoi nous serons prêts à discuter des moyens de l’appliquer. En ce qui concerne Jérusalem, il est clair que Jérusalem-Est nous revient, et que Jérusalem-Ouest serait une ville ouverte. Il y aurait coopération entre les deux municipalités. Telle est notre position, et toute autre proposition est à rejeter absolument.
Malheureusement, les Américains comme les Israéliens tenaient à ce qu’on se rende à Camp David. Quand nous nous sommes enquis des préparatifs, les Israéliens ont rétorqué qu’ils pouvaient se faire en deux ou trois jours.
Vous voyez bien que nous avions de bonnes raisons d’hésiter à nous rendre au sommet: nous savions qu’il était voué à l’échec. Il est impossible d’aboutir à une résolution en une, deux ou trois semaines, alors que ce problème dure depuis un siècle.
Et puis nous avions le sentiment que Clinton voulait terminer en beauté son deuxième mandat, et ne se souciait pas des conséquences. Bien entendu, c’est nous qui aurions eu à payer le prix de sa victoire. D’autre part, le gouvernement Barak commençait à se désintégrer, et le but de Barak était donc de le consolider. La seule façon pour lui d’y arriver était de remporter des victoires, peu importe lesquelles. Nous étions conscients des motifs de chacun, mais nous nous sommes quand même rendus à Camp David pour que Barak n’aille pas raconter que nous refusions de négocier ou que nous avions peur du sommet.
Nous n’avons à aucun moment cédé à la pression, vu que ce qu’on nous proposait ne correspondait même pas aux minimum des aspirations palestiniennes.
Q: Quel genre de pression exerçait-on sur vous?
R: Nous nous sentions emprisonnés. Les Américains et les Israéliens exerçaient sur nous des pressions d’ordre individuel et collectif pour que nous acceptions leurs propositions sans perdre de temps ni nous rétracter. Ils nous faisaient un tableau sinistre de la situation qu’amènerait un refus de notre part, mais ce qui était en cause était notre responsabilité historique, et les décisions à prendre étaient trop cruciales pour notre peuple pour que nous cédions, quelle que soit la pression exercée.
Q: Avez-vous reçus des menaces de mort?
R: Non, jamais, mais il y a eu des menaces telles que: si vous n’acceptez pas, on détruira votre Autorité [palestinienne], ou si vous ne faites pas ceci, ce sera votre fin, et si vous ne cédez pas sur ce point, votre peuple vous maudira, et si vous refusez cela, les Etats-Unis vous répudieront, et si vous n’êtes pas d’accord sur tel point, nous ne savons pas ce qu’il adviendra de vous.
Q: Avez-vous été tentés d’accepter?
R: Ce qu’on nous offrait pouvait paraître attirant, mais on ne peut vraiment parler de tentation puisque, bien qu’on ne nous ait jamais autant offert, les propositions demeuraient bien en deçà de nos aspirations.
Q: Certains disent qu’on avait laissé entendre au Président Clinton que si on arrivait à réunir les Israéliens et les Palestiniens à Camp David, un accord serait conclu. Quel est votre sentiment?
R: On lui a en effet raconté que s’il réunissait les deux parties et exerçait suffisamment de pression, il y aurait accord. On lui a dit: « Tentez les avec des pourcentages de terre, l’arrêt d’une partie des implantations, parlez d’argent et d’aide, et de l’accord de 40 milliards de dollars aux réfugiés, etc… » Nous avons répondu que ce n’était pas l’argent, l’aide, les proportions de terrain qui étaient en jeu, mais notre patrie.
Par exemple, quand ils nous ont proposé, avant Camp David, soixante pour cent de la terre, ils s’imaginaient que c’était une proposition généreuse. Par la suite, quand j’ai rencontré Barak et qu’il m’a dit: « Nous vous en donnerons 80 pour cent », j’ai répondu: « la question n’est pas 80 ou 90 pour cent. Donnez-moi cent pour cent de mes frontières, et s’il s’avère nécessaire d’opérer des changements par la suite, je suis prêt à accepter à condition que les territoires échangés soient de même taille et de même valeur. Nous ne pouvons pas accepter moins que cela. » Ils nous ont offert 90%; ils nous ont déjà offert 90, 91% par le passé, et nous ont demandé de céder sur les 9% en échange des 1% à Halutza [dans le Néguev]. Aucune personne sensée n’aurait accepté une chose pareille.
Q: Qu’ont-ils proposé comme solution au problème des réfugiés?
R: Israël a refusé de se considérer responsable du drame des réfugiés. Ils ont refusé de leur accorder le droit de retour. Ils ont refusé net d’aborder le sujet des dédommagements. Ils ont reconnu avoir épuisé le fonds de l’Actif des Absents établi en 1949, et ont affirmé qu’ils ne nous accorderaient pas un centime. Par contre, ils étaient prêts à faire partie des pays donateurs.
Notre position était claire: ils doivent accepter la responsabilité historique du problème des réfugiés, accepter le droit de retour, et dédommager eux-mêmes ceux qui souhaitent revenir, ainsi que les autres. Dédommager ceux qui reviennent signifie leur permettre d’utiliser leurs propriétés; les autres seraient dédommagés en argent pour tout ce qu’ils ont souffert et perdu. Ils doivent aussi dédommager les pays d’accueil. C’est tout ce que nous avons demandé. Malheureusement, il n’y a eu à Camp David que deux ou trois réunions sérieuses sur ce problème, et quand les Israéliens ont compris quelle était notre position, ils n’ont fait que chercher à gagner du temps, du deuxième ou troisième jour, jusqu’à la fin du sommet.
Q: Qu’ont-ils proposé en dédommagement de plus de cinquante-trois ans de malheur?
R: Absolument rien. Ils n’ont même pas accepté de dédommager ceux qui sont prêts à opter pour de l’argent plutôt que pour le retour. En plus, ils ont affirmé que le jour où il y aurait des dédommagements, la moitié leur reviendrait. Et pourquoi donc? Parce qu’ils souhaitent dédommager les Juifs émigrés des pays arabes. Bien entendu, nous avons tout de suite nié toute l’histoire, et leur avons clairement fait comprendre qu’il en est hors de question. Nous avons mis en avant le fait que ces Juifs sont venus de leur plein gré après avoir vendu tous leurs biens. Si après tout ça ils ont encore des exigences, ils n’ont qu’à s’en prendre aux pays en question. C’est-à-dire si vraiment il leur reste des propriétés, car nous sommes convaincus qu’ils les ont vendues avant de venir s’installer chez nous. La preuve en est que quand David Levy [ancien ministre des affaires étrangères du Likoud] s’est rendu dans sa propriété au Maroc, dont il avait les clés, on lui a demandé: « Est-ce votre propriété? » Il a répondu qu’oui. Quand on s’est enquis de la raison pour laquelle il ne venait pas s’y installer, il a dit: « Je l’ai vendue. »
Q: De nombreux Israéliens prétendent que si les Palestiniens tiennent à ce point au droit deretour, c’est parce que leur intention est de détruire l’Etat d’Israël, vu qu’il est possible de le détruire démographiquement en appliquant le droit de retour. Est-ce que ce sont réellement les intentions palestiniennes?
R: Nous ne souhaitons pas détruire L’Etat d’Israël. Depuis le début du processus de paix, nous avons pris la décision de principe de vivre avec en coexistence. Le problème des réfugiés palestiniens est un problème très sensible. Nous avons quatre millions de Palestiniens tous originaires de la Palestine historique, et ils ont le droit de rentrer chez eux. Nous ne les forçons pas à revenir, mais s’ils le désirent, ils doivent avoir la possibilité de le faire. Cela peut s’obtenir au moyen d’un accord avec les Israéliens.
Il y en a qui disent: « On vous a fait cinq propositions et vous les avez toutes rejetées. Mais quelles étaient ces propositions? La première était que les réfugiés palestiniens restent où ils se trouvent, ce qui n’est pas une solution. La deuxième était qu’ils s’installent dans un tiers pays, la troisième, dans l’Etat palestinien. La quatrième, qu’une partie aille à Halutza. Et la cinquième proposition, qu’Israël en accepte un certain nombre pour des raisons humanitaires. Je ne crois pas que cela concorde avec la résolution 194 ou le droit de retour. Toutes ces propositions dépendent du bon vouloir des autres Etats. Par exemple, les réfugiés palestiniens peuvent demeurer où ils sont tant que les pays d’accueil n’y voient pas d’inconvénient. Ils iront dans un tiers pays si ce pays les accepte. Ils retourneront en Israël pour se soumettre à ses décisions et à sa souveraineté, ce qui signifie qu’on les enverra en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Or il faut bien se rendre se compte que 70% des habitants de Gaza et 45% des habitants de la Cisjordanie sont eux-mêmes réfugiés. Imaginez que tous les réfugiés retournent en Cisjordanie et à Gaza. Ce serait complètement absurde.