Les troubles actuels en Iran dirigés contre le régime ont commencé à Téhéran le 27 décembre 2017, sous forme de protestations économiques contre le coût de la vie élevée, mais ils se sont rapidement étendus à travers le pays, en prenant une dimension politique de protestation contre le régime de la Révolution islamique, et notamment contre le Guide suprême Ali Khamenei, la politique du régime en Syrie, à Gaza et au Liban, contre l’establishment religieux et en faveur de la liberté politique et sociale.
La caractéristique la plus frappante des manifestations est le fait qu’elles se déroulent dans tout le pays. Des jeunes gens manifestent dans les rues, les universités et devant les postes de police et les institutions du régime, tout en scandant des slogans anti-régime tels que “Mort au dictateur”, “Mort à Khamenei”, brûlant des photos ce dernier et de Qassem Soleimani, commandant de la Force Qods du Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI), chargé d’appliquer la politique étrangère de l’Iran en Syrie, en Irak, au Liban, au Yémen et à Gaza. Les manifestants scandaient également des slogans en faveur de la liberté et des droits sociaux et politiques. Il convient d’observer que leurs protestations visent directement le camp réformiste, accusé de jouer le jeu du régime.
Vendredi 29 décembre, le régime a déployé des forces armées dans la capitale, Téhéran, pour empêcher les manifestations le jour de prière, mais des manifestations importantes ont eu lieu ailleurs, notamment à Kermanshah et dans d’autres villes, où le régime les a dispersées avec violence. Selon des informations officielles, samedi 30 décembre, trois manifestants ont été tués dans la ville de Doroud à l’ouest du pays (des sources non officielles parlent de six morts). Le régime a affirmé que les manifestants n’avaient pas été tués par ses forces mais par des “agents”. Des informations font état de manifestations anti-régime à Ahwaz, au sud-ouest de l’Iran, région peuplée d’une large minorité arabe, auxquelles auraient participé 50 000 personnes.
Les manifestations à travers l’Iran, qui ont eu lieu à toute heure, mais notamment l’après-midi et le soir, n’ont pas de dirigeants connus, ce qui complique la répression du régime. Des avis annonçant le lieu et l’heure des manifestations dans chaque ville sont publiés sur les réseaux sociaux (voir image ci-dessous).
Pour surveiller l’évolution du soulèvement populaire, le régime iranien a bloqué l’accès à Internet pendant plusieurs heures et fermé la chaîne Telegram d’Amadnews, affirmant que celle-ci avait appelé les manifestants à lancer des cocktails Molotov. L’activité sur les réseaux sociaux révèle l’étendue considérable du soulèvement. Un seul hashtag, parmi de nombreux autres, a réuni 10 000 clips, photos et autres réactions.
Le régime a également averti les manifestants qu’il emploierait une “main de fer” contre eux. Des vidéos ont été mises en ligne, montrant des membres des forces de sécurité frappant des passants avec des matraques – obéissant à l’ordre adressé aux milices des bassidjis d’agir avec poigne – utilisant du gaz lacrymogène ainsi que de balles réelles pour disperser les manifestants.
Parmi les informations mises en ligne figurait une annonce indiquant : « Dans le cas où Internet et Telegram seraient bloqués, les rassemblements auront lieu chaque jour dans chaque ville à la même heure que le jour précédent, ‘jusqu’à obtenir la victoire finale’.”

La réaction du régime au soulèvement populaire :
Le 27 décembre 2017, le Guide suprême Khamenei a fustigé les critiques du régime : il s’en est pris d’une part à l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad et à ses associés pour leur campagne menée ces derniers mois visant à ternir la réputation de la famille Larijani, et notamment le chef de la branche judiciaire, l’ayatollah Amoli Larijani. D’autre part, il a critiqué le journal Kayhan et d’autres cercles idéologiques pour leurs critiques exagérées à l’encontre du président Rohani et de son gouvernement. Khamenei a également critiqué le président Rohani lui-même, l’accusant d’agir contre le régime.[1]
Le vice-président iranien Eshaq Jahangiri, partisan du camp réformiste, a laissé entendre le 29 décembre que des membres du camp idéologique étaient responsables de la propagation des manifestations contre Rohani et son gouvernement, qui se sont rapidement transformées en manifestations contre Khamenei et son régime : « Ceux qui utilisent ces questions [les difficultés économiques] comme prétexte, et qui ont déclenché des événements ayant d’autres dimensions et aspects, doivent comprendre que ces événements leur nuiront à eux-mêmes, car lorsqu’un mouvement social émerge et descend dans la rue, ses initiateurs perdront certainement son contrôle et d’autres prendront le train en marche. » [2]
L’organe de presse du régime, Kayhan, a choisi de consacrer sa une du 31 décembre aux manifestations en sa faveur organisées par lui-même à l’occasion de l’anniversaire de la répression de la fitna, soit les manifestations populaires de 2009. Concernant les manifestations anti-régime, on pouvait y lire que “par la faute du gouvernement Rohani”, quelques manifestations avaient eu lieu, que les opportunistes occidentaux ont tenté d’exploiter afin de mener une campagne contre le régime. Selon l’éditorial du 31 décembre, la politique économique et budgétaire erronée de Rohani est responsable de la vague de manifestations. [3]
Analyse
Il semble qu’à ce jour, le régime n’ait pas réussi à endiguer les manifestations, qui se sont transformées en soulèvement à grande échelle, en raison de réticence à employer des mesures drastiques telles que des tirs à balles réelles, comme il l’a fait en 2009. Mais du fait de l’intensité croissante des manifestations, de leur diffusion dans tout le pays et de l’absence de chefs de file clairement identifiables, il est probable que le régime finisse par employer une force considérable pour les réprimer, comme l’on peut d’ores et déjà l’observer.
La crise actuelle qui touche le régime est due à des facteurs économiques et à l’incapacité du régime à améliorer la situation économique, pour des motifs politiques. Le Guide suprême Khamenei a déclaré que l’Iran devait mettre en place une “économie de résistance” et a écarté l’option d’une coopération occidentale au développement économique du pays. Dans le même temps, les milliards de dollars iraniens qui par l’Occident et débloqués après l’accord nucléaire par les Etats-Unis, ont été utilisés pour l’ingérence de l’Iran dans les guerres régionales en Irak, Syrie, au Yémen, au Liban et à Gaza et le développement continu de ses capacités militaires, par exemple pour construire de nouvelles villes souterraines servant d’abri aux missiles balistiques, pour développer son industrie militaire, etc.
Même si ce soulèvement populaire est réprimé par le régime iranien à court terme, du fait de l’absence de toute solution à la détresse économique des citoyens, il finira par refaire surface.
Une option à laquelle le régime pourrait recourir pour raviver la solidarité du peuple avec le régime, malgré l’absence de toute amélioration économique, serait de déclencher des crises, voire une guerre, dans une ou plusieurs arènes régionales où l’Iran est impliqué – Israël, Bahreïn ou le Yémen – via ses agents dans ces pays.
Appels à la libération de prisonniers politiques et à la liberté politique à Kermanshah, 29 décembre 2017 :
الان #کرمانشاه ؛ ۸دی
شعار مردم: زندانی سیاسی آزاد باید گردد#تظاهرات_سراسرى pic.twitter.com/IdZlFy9KMI
— تمام کننده (@bahramstar) 29 décembre 2017
Manifestation de masse à Zanjan :
Large protests in #Iran against the Islamic regime.
City: Zanjan#IranProtests #تظاهرات_سراسرى #يحدث_الان_في_ايران #متحد_شویم #IranProtest #FreeIran pic.twitter.com/nNQY4Hgeik— Armin Navabi (@ArminNavabi) 30 décembre 2017