Par B. Shanee *
Ces dernières semaines, la presse palestinienne a largement couvert les troubles et les actes de violence dans la ville de Naplouse en Samarie, culminant au cours de la nuit du 22 au 23 août 2016, avec l’assassinat d’Ahmad Halawa, membre des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, branche militaire du Fatah, par des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne (AP). Selon les informations officielles de l’AP, Halawa, qui appartient à une famille éminente de Naplouse et était officier de la police de l’AP, a été arrêté au milieu de la nuit et amené à la prison Al-Junaid de Naplouse, où il a été attaqué et battu à mort par le personnel de sécurité. [1]
Le lendemain de l’assassinat de Halawa, le 23 août, le gouverneur de Naplouse, Akram Al-Rajoub, a déclaré que Halawa était le cerveau de l’assassinat le 20 août de deux membres des forces de sécurité de l’AP et a déclaré que sa mort ferait l’objet d’une enquête.[2] Selon d’autres sources, le corps de Halawa présentait des signes de torture. [3]
Ahmad Halawa, en uniforme de la police palestinienne (Facebook.com/RasAlynNabls, 23 août 2016)
L’assassinat de Halawa marque le point culminant d’une série de violents affrontements survenus au cours des derniers mois entre les forces de sécurité de l’AP et les forces armées locales, dont certaines appartiennent au Fatah.[4] Ces affrontements ont été déclenchés par le refus de familles influentes de la ville d’accepter l’autorité de l’AP. Certaines de ces familles, y compris la famille Halawa, appartiennent à des factions d’opposition au sein du Fatah, qui ne soutiennent pas le président du Fatah et de l’AP, Mahmoud Abbas.
L’assassinat de Halawa a suscité la colère de nombreux habitants de la ville, qui le percevaient comme une attaque grave et injustifiée contre un membre d’une famille locale de renom. Les informations concernant son décès ont engendré de nouveaux affrontements, dont des fusillades entre des locaux supporters de la famille Halawa, dont certains membres du Fatah, et les forces de sécurité de l’AP ; de nombreuses arrestations, et une grève générale annoncée par la chambre de commerce de Naplouse. L’assassinat a également déclenché des ondes de choc au sein du Fatah de Naplouse : le mouvement a sévèrement condamné l’activité des forces de sécurité de l’AP et déclaré un deuil général dans la ville. En outre, de nombreux membres du Fatah ont quitté le mouvement en geste de solidarité avec la famille Halawa et de protestation contre l’activité des forces de sécurité de l’AP.
Afin d’alléger les tensions, l’AP s’est empressée d’exprimer son regret pour l’assassinat de Halawa, tout en précisant que ses forces de sécurité continueraient de poursuivre ceux qui violent la loi, qu’elles feraient régner la loi et garantiraient la sécurité publique. Le Premier ministre palestinien Rami Al-Hamdallah a qualifié l’assassinat d’incident exceptionnel qui serait examiné par le gouvernement, qui ne laisserait quiconque se faire justice soi-même.[5] Le gouvernement de l’AP a annoncé la création d’une commission spéciale, dirigée par le ministre de la Justice Ali Abou Diak, pour enquêter sur l’assassinat. Le porte-parole des forces de sécurité, Adnan Al-Damiri, a également qualifié l’assassinat d’exceptionnel, ajoutant qu’il n’était pas conforme à la politique et aux normes éthiques des forces de sécurité et que ne leur avait nullement bénéficié. [6]
En réaction aux émeutes qui ont suivi le décès de Halawa, le Premier ministre Hamdallah a affirmé que toute personne, y compris au sein des forces de sécurité, jugée responsable d’avoir porté préjudice à la population ou à la sécurité des habitants, serait poursuivie. [7]
De manière générale, l’AP a décrit les violents affrontements de Naplouse ces dernières semaines comme une lutte entre les forces de sécurité de l’AP et des éléments criminels locaux, pour empêcher le chaos sécuritaire dans la ville. Toutefois, comme indiqué, l’assassinat de Halawa montre que la violence dans la ville est également une manifestation de la lutte de pouvoir entre les différentes factions au sein du Fatah qui cherchent à imposer leur autorité à Naplouse. Selon la presse palestinienne, la situation s’est aggravée en raison du calendrier, à savoir, à l’approche des élections municipales prévues pour le 8 octobre 2016. Les préparatifs des élections ont exacerbé les tensions entre les hommes d’influence en Cisjordanie, qui montrent leur rejet total de l’autorité de l’AP et soulignent son incapacité à garder le contrôle de la ville.
Les violents incidents de Naplouse au cours des dernières semaines ont fait l’objet d’articles de presse de l’AP. Certains auteurs ont saisi cette opportunité pour critiquer l’anarchie qui règne dans la société palestinienne et la gestion déficiente par l’AP du gouvernement local. D’autres ont appelé à reconnaître que le chaos actuel à Naplouse résulte de défaillances éducatives et culturelles, et qu’il ne peut être imputé à l’occupation israélienne. D’autres encore ont observé que l’anarchie dans la ville était symptomatique des problèmes de fond de la société palestinienne, pointant l’absence de valeurs civiques et de sens national, ainsi que la priorité donnée aux intérêts personnels par rapport aux intérêts nationaux. Les auteurs ont aussi souligné les graves déficiences du système politique palestinien et le manque de légitimité des institutions au pouvoir.
Le présent rapport examinera les réactions à Naplouse et dans les rangs du Fatah à l’assassinat de Halawa, ainsi que les critiques de la presse palestinienne au cours des dernières semaines concernant les événements survenus dans la ville.
A Naplouse après l’assassinat de Halawa : grèves, fusillades et appels à licencier les responsables de l’AP
L’assassinat de Halawa, désigné par le gouverneur de Naplouse comme le « cerveau » de l’assassinat survenu deux jours auparavant de deux membres des forces de sécurité palestiniennes, a causé un tumulte dans la ville. Dans les heures qui ont suivi l’annonce de sa mort, le forum des hommes d’affaires de la ville et plusieurs politiciens et autres citoyens éminents ont déclaré une grève générale de trois jours, au cours de laquelle les entreprises et magasins de la vieille ville de Naplouse et des autres centres urbains sont restés fermés. [8] Durant la grève, et après les funérailles de Halawa le 28 août, de violents affrontements ont éclaté entre les résidents de Naplouse, enragés par les récents assassinats survenus dans la ville, et notamment celui d’Ahmad Al-Halawa, et les forces de sécurité, incluant des jets de pierres et des fusillades. Les forces de sécurité ont arrêté plusieurs citoyens. [9]
Manifestation violente à Naplouse (Facebook.com/Nablus.alhadath, 23 août 2016)
Le tollé général après l’assassinat de Halawa était dirigé contre le gouverneur de Naplouse, Akram Al-Rajoub, et contre le commandant des forces de sécurité nationales palestiniennes, Nidal Abou Dukhan. Un communiqué publié par la famille Halawa exigeait que les deux hommes soient licenciés immédiatement, un appel réitéré lors d’une manifestation à Naplouse après l’annonce de l’assassinat.[10] Le président du forum des hommes d’affaires de Naplouse, Nidal Al-Bazra, a aussi appelé au licenciement du gouverneur Al-Rajoub[11]. Des critiques visaient également le Premier ministre palestinien Rami Al-Hamdallah, également ministre de l’Intérieur, l’association du barreau de Naplouse ayant appelé à la dissolution du gouvernement.[12]
Notons que les exigences de certains personnages publics de Naplouse étaient moins radicales. Ils se sont contentés de demander le retrait des forces de sécurité de l’AP de la ville et que celle-ci présente des excuses pour l’assassinat de Halawa et pour avoir causé des troubles dans la ville. [13]
Photo publiée sur la page Facebook de Naplouse, montrant le gouverneur de Naplouse Akram Al-Rajoub avec ce texte : « Va-t-en, assassin ! Il serait honteux que nous te forcions à quitter ce monde ». (Facebook.com/1593460430878551, 24 août 2016)
A l’intérieur du Fatah après les événements de Naplouse : luttes internes et démissions en masse
Les réactions extrêmes au sein du Fatah aux événements de Naplouse suite à l’assassinat de Halawa ont indiqué qu’il y avait une crise majeure au sein du mouvement entre les partisans d’Abbas et ses adversaires. Le 23 août, après l’annonce de l’assassinat de Halawa, le parti du Fatah au Conseil législatif palestinien a annoncé que cet assassinat était une violation de la loi et de l’honneur palestinien et a appelé les forces de sécurité à se retirer de la vieille ville de Naplouse, où la plupart des incidents violents se sont déroulés. Le parti a ajouté qu’il allait constituer sa propre commission d’enquête, distincte de celle du gouvernement.[14] Luai Abdo, membre du Conseil révolutionnaire du Fatah à Naplouse, a également appelé à la démission du Premier ministre Al-Hamdallah. [15] Le membre du Conseil législatif palestinien Jamal Al-Tirawi fait partie des politiciens ayant appelé à la grève générale.[16]
L’assassinat de Halawa et l’activité des forces de sécurité de l’AP à Naplouse ont également soulevé la colère des prisonniers du Fatah incarcérés en Israël et des activistes du mouvement dans la ville. Dans un communiqué posté sur les réseaux sociaux, certains prisonniers du Fatah ont soutenu que les actions des forces de sécurité leur avaient retiré toute légitimité.[17] En outre, dans les 48 heures qui ont suivi les nouvelles du décès de Halawa, des dizaines de membres du Fatah de Naplouse, y compris des prisonniers libérés, ont annoncé sur les réseaux sociaux qu’ils quittaient le mouvement.[18]
Le communiqué des prisonniers du Fatah décrétant que les forces de sécurité ont perdu leur légitimité, posté par le membre du Fatah Yasser Khalili, qui fait partie de ceux qui ont quitté le mouvement après l’assassinat de Halawa (Facebook.com/Yasser.khalili.9, 24 août 2016)
Annonces publiées sur Facebook par les membres du Fatah Rami Juma et Nour Halawa selon lesquelles ils quittent le mouvement (Facebook.com, 23-14 août 2016)
Les troubles survenus à Naplouse ont également soulevé des questions sur la tenue des élections municipales, prévues pour le 8 octobre 2016. Aussi, le Fatah et les autres partis politiques ont annoncé le 25 août, deux jours après l’assassinat de Halawa, qu’ils allaient repousser le dépôt de leurs listes de candidats d’un mois, en raison des « difficiles circonstances et conséquences touchant la ville de Naplouse ». Néanmoins, ils ont déposé leurs listes le jour même, affirmant que cela aiderait à restaurer le calme. [19]
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- B. Shanee est chargée de recherche à MEMRI
Notes :
[1] Al-Hayat Al-Jadida (Autorité palestinienne), 23 août 2016.
[2] Al-Hayat Al-Jadida (AP), 23 août 2016.
[3] Al-Qods (Jérusalem-Est), 24 août 2016.
[4] Parmi les importants incidents, des tirs sur la maison de l’ancien maire de Naplouse et membre du Comité exécutif de l’OLP Ghassan Al-Shaka, dans la nuit du 1er juin 2016, Maannews.net 1 Juin 2016 ; la mort de deux membres des forces de sécurité au cours d’une fusillade contre des hommes recherchés, le 30 juin 2016, Amad.ps, 1er juillet 2016 ; Alhadath.ps, le 30 juin 2016 ; et des affrontements armés entre les forces de sécurité de l’AP et des hommes de Naplouse trois jours avant la mort de Halawa, qui ont coûté la vie des deux membres précités des forces de sécurité et de deux locaux, dont un autre membre de la famille Halawa. Al-Hayat Al-Jadida (AP), le 20 août 2016, wattan24.com, le 19 août 2016. Autre événement indiquant une certaine instabilité à Naplouse, la suspension temporaire du gouverneur Akram Al-Rajoub du 27 avril au 7 juin, sans raison officielle. Alwatanvoice.com, le 6 juin 2016.
[5] Wafa.ps, 23 août 2016 ; Al-Hayat Al-Jadida (AP), 25 août 2016.
[6] Al-Hayat Al-Jadida (AP), 25 août 2016.
[7] A-Hayat Al-Jadida (AP), 26 août 2016.
[8] Nabluslive.net, 23 août 2016.
[9] Nabluslive.net, 25 août 2016 ; Nablus24.com, 24 août 2016 ; Facebook.com/asra.nablus, 28 août 2016.
[10] Facebook.com/QudsN, 23 août 2016 ; Nabluslive.net, 24 août 2016.
[11] Palinfo.com, le 23 août 2016 ; Maannews.com, 23 août 2016.
[12] Palinfo.com, 23 août 2016.
[13] Nabluslive.net, 23 et 27 août 2016.
[14] Paltoday.ps, 23 août 2016 ; Wafa.ps, 23 août 2016.
[15] Al-Risala (Gaza), 23 août 2016.
[16] Nabluslive.net, 23 août 2016.
[17] Facebook.com/Yasser.khalili.9, 24 août 2016; Almustaqbal-a.com, 24 août 2016.
[18] Qudsn.ps, 23 août 2016 ; Nabluslive.net, 25 août 2016.
[19] Nabluslive.net, 25 août 2016.