Le Bataillon de l’Armée de Muhammed [ci-après, BAM, en arabe : Katibat Jaish Muhammed] est un petit groupe djihadiste indépendant comptant quelque 150 combattants et opérant au nord-est de la Syrie. Le 10 juin 2015, le groupe a ouvert un compte Twitter en français, apparemment exploité par un combattant français, qui publie des informations sur les activités et les opinions du groupe et répond aux questions du public. Le choix de communiquer en français – plutôt qu’en arabe ou en anglais – est intéressant, notamment du fait qu’environ 20 combattants du groupe sont français, et que le nombre de francophones est encore plus élevé. (Le groupe a également un compte Twitter en arabe, qui est inactif).
On trouvera ci-dessous un profil du BAM fondé sur les informations publiées sur son compte Twitter. Un examen de ce groupe – qui, en dépit de sa taille modeste, reste fermement indépendant tant à l’égard de Jabhat Al-Nosra (JN) que de l’Etat islamique (EI) – peut fournir une perspective intéressante et nouvelle sur la scène du djihad.
Premiers tweets en français sur le compte Twitter du BAM : « Ce compte officiel appartient à la Katiba Jaysh Muhammed au pays du Sham. Il sera géré en langue française, par la permission d’Allah. Partagez ce compte au maximum possible mes frères ».
Informations sur le bataillon et son commandant
Le bataillon a été fondé en 2013 par son commandant, Abu Obeida Al-Muhajir, surnommé Abu Obeida Al-Masri, un Egyptien qui se serait rendu en Syrie en 2012. Selon le compte, Abu Obeida est un vétéran du djihad en Afghanistan dans les années 1980. C’était un disciple d’Abdallah Azzam [chef spirituel des moudjahidines en Afghanistan à l’époque], et fut le cuisinier d’Ossama Ben Laden. Il a passé 12 ans en prison en Egypte, et a participé au djihad en Birmanie et en Lybie. Selon un tweet, il a prêté allégeance au chef d’Al-Qaïda, Ayman Al-Zawahiri, mais il serait le seul membre du groupe à l’avoir fait. Le statut de vétéran du djihad en Afghanistan d’Abu Obeida explique pourquoi son petit groupe est parvenu à survivre sans rejoindre un groupe plus important.

Le BAM opère au nord-est de la Syrie, dans les régions d’Alep, d’Idlib et de Lattaquié, avec un état-major et un petit détachement dans chacune de ces provinces. Selon le compte, les effectifs du groupe varient entre 150 et 160 hommes, la plupart provenant d’Afrique du Nord, d’Egypte et de France, et certains de Syrie. Les combattants français sont actuellement au nombre de 20, dont le détenteur du compte. Curieusement, il semble exister une certaine mobilité entre le groupe d’un côté et JN et l’EI de l’autre : certains des membres du groupe ont été transférés au BAM à partir de ces deux organisations ; inversement, à plusieurs occasions, le groupe a intégré et formé des combattants nouvellement arrivés, qui ont plus tard rejoint JN et l’EI.[1]
Le BAM opère au nord-est de la Syrie
Pendant une certaine période en 2013/14, le groupe a contrôlé la ville d’Azaz près d’Alep, alors que l’EI s’emparait de la région. Durant cette période, la ville servait de base à de nombreux combattants français et belges, [2] et le détenteur du compte Twitter aurait rejoint le BAM à ce moment. Lorsque l’Armée syrienne libre (ASL) a expulsé l’EI de la zone, la plupart des combattants étrangers ont été contraints de choisir leur camp et de rejoindre l’EI ou JN. Alors, le conflit entre les deux groupes était à son apogée et, tandis que la plupart des combattants étrangers ont rejoint l’EI, le BAM a réussi à demeurer indépendant et à même intégrer quelques combattants étrangers qui avaient refusé de prendre parti.
Affiliation
De manière générale, le groupe a déclaré son amitié pour les autres groupes islamistes (« Nous combattons avec tous les bataillons islamistes contre le régime de Bashar Al-Assad ») et son hostilité envers l’ASL (« Conclure une alliance avec les incroyants contre les musulmans constitue un [acte] majeur d’incroyance »). Toutefois, si Abu Obeida a prêté allégeance à Al-Zawahiri à un moment, le groupe revendique son indépendance vis-à-vis d’Al-Qaïda et de JN, ainsi que du groupe rival, l’EI. Selon un tweet, le groupe entretiendrait des liens avec JN, mais les aurait rompus au printemps 2014, après que JN a refusé de l’aider à repousser l’avancée de l’ASL sur Azaz.
Le BAM rejoint JN sur la question du califat de l’EI et souligne qu’il n’y a aucun « désamour » entre lui et l’EI. Selon un tweet : « Nous partageons l’avis de JN sur cette question. Le califat de l’EI est illégitime. Et c’est Allah qui sait le mieux… L’EI force chaque groupe djihadiste à lui prêter allégeance. [Nous avons refusé, ainsi l’EI] nous considère maintenant comme des traîtres. » Dans le même temps, le BAM partage explicitement l’avis de l’EI sur la nécessité d’appliquer strictement la loi islamique : « Nous partageons l’opinion de l’EI sur la question de l’application de la loi d’Allah, y compris les hudouds [punitions coraniques] ». Le compte affirme fièrement que le BAM a appliqué ces lois à Azaz, lorsqu’il dirigeait la ville.
De fait, le compte évite précautionneusement de se ranger dans l’un des deux camps rivaux. Interrogé de manière explicite sur l’affiliation du groupe, le détenteur du compte a affirmé que le BAM était plus proche de Jund Al-Aqsa [un autre groupe islamique indépendant en Syrie], ajoutant que Jund Al-Aqsa et le BAM étaient les deux seuls groupes djihadistes qui refusent toujours de combattre contre l’EI. Il observe que le bataillon avait conclu une alliance avec Jund Al-Aqsa à une époque, et avait opéré sous son commandement, notamment pendant la « deuxième bataille d’Idlib » en mars 2015, lorsqu’une coalition rebelle conduite par JN avait mené une attaque réussie contre les forces du régime dans la ville.
Photos de l’activité du groupe
Le compte a publié des photos des activités du groupe à Idlib, y compris d’un séminaire religieux qu’il y a organisé. Selon le compte, des cours pour les hommes avaient lieu le matin et pour les femmes l’après-midi. Les meubles proviennent d’une école chrétienne de la ville ; « Aujourd’hui, ils servent à la religion d’Allah » souligne fièrement le compte. D’autres photos montrent un membre de l’organisation distribuant des vêtements à des enfants dans le besoin et brûlant des CD et des cassettes de musique, que cette organisation, à l’instar des autres djihadistes salafistes radicaux, considère comme interdits.
Séminaire islamique du BAM à Idlib
Notes :
[1] Voir le rapport de MEMRI JTTM An Inside Look At The Recruitment Of European Jihadis, 25 mars 2014
[2] Voir le rapport de MEMRI JTTM An In-Depth Look At One Of The Facebook/Twitter Networks Of French-Speaking Jihadis Fighting In Syria: Glorifying Jihad In Syria, Condemning « Heretical » France, 17 février 2014