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Djihad et terrorisme, Voix progressistes
20 novembre 2014
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Administrateur

Le « djihadisme » en quelques repères – 5e Partie

Par Mohamed Sifaoui –

Ce cinquième chapitre sur l’évolution, dans l’histoire, de courants islamiques ayant posé les fondements d’un islam intégriste, évoque les premières tentatives fondamentalistes visant à figer les messages textuels et à instituer une législation qui deviendra plus tard la charia.

Consulter les précédents chapitres de l’étude :

Le « djihadisme » en quelques repères – 1ère partie

Le « djihadisme » en quelques repères – 2ème partie

Le djihadisme en quelques repères – 3ème partie

Le djihadisme en quelques repères – 4ème partie 

Impact des années omeyyades qui ont « ancré dans l’inconscient collectif musulman que le sang, les décapitations, les égorgements ou les mutilations étaient consubstantiels à la culture islamique »

Lorsque les Quraychites pensaient, au lendemain de la mort du Prophète, qu’ils étaient plus dignes d’occuper le poste de calife – au détriment des médinois, ils étaient, eux aussi, consciemment ou pas, alimentés par une idéologie nationaliste et, eux aussi, comme les Omeyyades, ont mis les textes coraniques à leur disposition pour s’accaparer un pouvoir qui, pensaient-ils, leur revenait de plein droit.

Ce sont là des exemples qui ne manqueront de se renouveler à travers les siècles – même si on les retrouvera sous des formes et dans des contextes différents – et de constituer par là même une doctrine politique qui n’avait plus aucun mal à mettre le texte coranique à sa disposition à des fins de pouvoir.

Il faudrait certainement des milliers de pages pour revenir sur cette histoire tronquée. Nous pensons notamment au rôle des mutazilites, les rationalistes, passé sous silence ou encore celui joué par les théologiens soufis et, naturellement par les philosophes qui ont su, notamment durant la dynastie abbasside, et à un degré moindre pendant l’époque andalouse, sauver l’honneur (osons l’expression !), d’une civilisation qui a été trop longtemps empreinte de violence politique, d’assassinats et de terrorisme.

Les années qui suivront l’avènement de la dynastie omeyyade ne seront pas moins sanglantes que les précédentes. D’une certaine manière, elles expliquent la barbarie qui caractérise les groupes terroristes aujourd’hui et, singulièrement, une organisation criminelle comme celle qui s’est auto-proclamée « État islamique ». Ces premières années omeyyades ont fini par ancrer dans l’inconscient collectif musulman que le sang, les décapitations, les égorgements ou les mutilations étaient consubstantiels à la culture islamique, notamment dans sa version politique et guerrière.

Il n’y a qu’à voir…

Pendant l’ère des Abbassides, les littéralistes s’opposèrent aux rationalistes, les mutazilites.

En 680, lors de la bataille de Karbala, Hussein, fils d’Ali et de Fatima, la fille du Prophète, est massacré, avec ses partisans, par les sunnites. Cet épisode marque le divorce définitif entre sunnites et chiites qui ne cesseront désormais de vivre en rivalité. En juin 750, les Abbassides, descendants du Prophète, massacrent les Omeyyades et fondent une nouvelle dynastie dont le siège est installé à Bagdad. Les Abbassides régneront sur le monde musulman durant cinq siècles et devront, à leur tour, faire face à une forte opposition politique dont la violence n’est pas sans rappeler le terrorisme tel que nous le vivons aujourd’hui. L’ère des Abbassides est également intéressante à connaître. C’est durant cette période que les littéralistes s’opposèrent le plus aux rationalistes, appelés les mutazilites[1].

Les quatre écoles, appelées Madhahib, posent les premiers fondements de la charia

Ces derniers furent à l’origine de la « théologie spéculative », laquelle sera pratiquement interdite quelque temps plus tard par les différentes écoles juridiques. Idem pour le soufisme qui sera vilipendé par les mêmes littéralistes. L’ère des Abbassides connaîtra la véritable naissance des quatre écoles juridiques de l’islam sunnite même si les fondateurs de deux d’entre elles virent le jour sous le règne omeyyade. Le rigorisme qui allait plus tard inspirer le mouvement islamiste allait donc naître à cette période et notamment via l’école hanbalite[2]. Les quatre écoles, appelées Madhahib[3], allaient entre la fin du ixe et le début du xe siècle sacraliser la notion selon laquelle l’islam est constitué d’un ensemble de textes normatifs qui doivent impérativement régenter la vie de tous les croyants. Pourtant, le penseur musulman Abu Hamid Al-Ghazali[4] évaluait peu ou prou le nombre de versets normatifs à plus ou moins cinq cents sur un total de 6 300[5], ce qui est très peu, pour considérer le Coran comme un texte législatif, ainsi que le prétendent les islamistes.

Cela étant dit, globalement, les différentes écoles – et à un degré moindre peut-être l’école hanafite –, décident de se référer au Coran et à la Sunna, mais aussi aux premiers compagnons (essalef essalih)[6] et aux successeurs (ettabiine)[7] pour y puiser les sources fondamentales de la loi qui sera appelée charia.

Œuvre humaine, cette charia allait néanmoins être sacralisée et le principe d’Ijtihad, l’effort d’interprétation, totalement abandonné au profit du taqlid, l’imitation. Pourtant recommandé par le Coran qui reconnaît l’intelligence[8] dont a été doté l’être humain, l’Ijtihad vit ses portes se fermer au xe siècle.

Ibn Hanbal instaura le principe du refus de la bidaa, les « innovations blâmables », et  jeta les bases de l’islamisme

Les musulmans devaient désormais se contenter d’imiter les différentes écoles juridiques. Seul l’islam chiite continue de pratiquer l’Ijtihad et une sorte de théologie spéculative ainsi que quelques intellectuels sunnites et des soufis qui se voient, le plus souvent, ostracisés par les tenants de l’islamisme. C’est sous le règne du dixième calife abbasside Jaafar Al-Mutawakkil (822-861) que les musulmans abandonnèrent, sous ses directives, le principe de l’Ijtihad. Ahmed Ibn Hanbal, rappelons-le fondateur du hanbalisme, interdit d’enseignement sous le règne des prédécesseurs d’Al-Mutawakkil, fut réhabilité et avec lui sa doctrine rigoriste. Les mutazilistes et les chiites furent combattus, les églises et les synagogues détruites et les minorités religieuses humiliées. La parenthèse de la modernité ouverte avec l’avènement des Abbassides est alors refermée. Ibn Hanbal instaura le principe du refus de la bidaa, les « innovations blâmables », qui concerne toute chose n’ayant pas été appliquée par le Prophète ou ses compagnons, les « pieux prédécesseurs ». Avec Ibn Hanbal étaient ainsi jetées les bases de l’islamisme.

La charia allait accéder désormais au statut du « sacré » puisque, selon ses premiers concepteurs, elle s’inspirait de textes sacrés ; elle ne pouvait donc plus être modifiée ni même discutée. Ainsi devint-elle, dès la fin du ixe siècle, une doctrine normative.

C’est à partir de cette période que sur le plan théologique, le principe affirmant que « l’islam est un englobant »[9] est né. Il mettait en place un système idéalisé par les islamistes qui affirmeront en substance qu’étant donné la « source divine » du texte coranique et son caractère englobant, la législation qui allait découler de l’interprétation de ces mêmes textes, la fameuse charia, ne pouvait qu’être « parfaite ». Ce principe de « perfection » allait dès lors représenter le principal argument dans le discours politique des islamistes. Raison pour laquelle, lorsque leurs représentants haranguent aujourd’hui les foules, ils vantent la charia qu’ils proposent comme projet de société, en répétant : « Y’a-t-il mieux que la loi d’Allah ? »[10] ; les fidèles crédules répondent alors en chœur : « Non ! ». L’auteur de ce prêche n’est autre que l’islamiste algérien Ali Belhadj[11] qui, quelques mois plus tôt, répondant à une interview, affirmait : « Il n’y a pas de démocratie parce que la seule source de pouvoir, c’est Allah à travers le Coran, et non le peuple. Si le peuple vote contre la loi de Dieu, cela n’est rien d’autre qu’un blasphème. Dans ce cas, il faut tuer ces mécréants pour la bonne raison que ces derniers veulent substituer leur autorité à celle de Dieu. »[12]

Ce qu’affirme là le leader islamiste algérien a été dit par des islamistes de tous les pays, et s’inspire directement de la pensée hanbalite, devenue plus tard la pensée salafiste, un courant islamiste qui se réfère, selon la perception de ses idéologues, aux textes fondateurs de l’islam, c’est-à-dire certes, au Coran et à la Sunna, mais aux travaux de jurisprudence réalisés par les différentes écoles de pensée et notamment par ceux qui se reconnaissent dans le hanbalisme.

L’activisme de la secte des haschischins inaugure une nouvelle ère de terreur qui durera deux siècles

Les écoles juridiques – dont les travaux ont été sacralisés – ont théorisé également le principe de la « validité permanente » en « tous lieux et tous temps » de la charia, aussi bien sur les principes dogmatiques que sur les questions sociales, économiques et individuelles. Préconisant une approche binaire, manichéenne, basée sur les notions du « bien et du mal » et du « licite et de l’illicite » notamment, la charia ne pouvait que recueillir, au fil des siècles, un franc succès, tant son simplisme[13] mène les croyants vers une approche quasi procédurière du dogme en l’éloignant de toute spiritualité. Un simplisme qui peut, par ailleurs, parfaitement s’imbriquer dans un discours politique, notamment s’il adopte une couleur populiste. Et qui permet aussi une instrumentalisation politique, idéologique ou sectaire de la religion. Ce fut le cas des fameux haschischins[14]qui, durant près de deux siècles, allaient semer la terreur au cœur de la dynastie abbasside et auprès des rangs seldjoukides[15].

L’activisme de la secte des haschischins inaugure, en effet, une nouvelle ère au cours de laquelle les assassinats vont se succéder à un rythme effréné. Cette période, qui s’étend de 1080 à 1256, et qui est aussi celle des croisades chrétiennes pour la délivrance de « la terre sainte » verra, au sein du monde musulman, la mise en place d’une nouvelle méthode de terreur : l’attentat suicide.

La secte des haschischins est alors formée d’Ismaéliens[16]. À sa tête, un homme charismatique répondant au nom de Hassan Al-Sabah, appelé également le « vieux de la montagne ». En 1090, il prend, par ruse, le contrôle de la citadelle d’Alamut, en Iran, et se met à propager violemment sa doctrine qui consistait à bannir définitivement les prescriptions rituelles islamiques pour ne se focaliser que sur le côté mystique. Répartis en daïya[17] et en fedayins[18], ses hommes propagent la contestation contre les sunnites et répandent la violence entre l’Iran, l’Irak et la Syrie. Envoyés individuellement ou par petits groupes, les fedayins – souvent drogués au haschisch, dit-on – exécutent des missions spectaculaires et assassinent les responsables de la dynastie abbasside ainsi que des notables seldjoukides. Pour frapper les esprits, les exécutions se déroulent, le plus souvent, en public, dans les mosquées ou dans les marchés, le jour de la grande prière du vendredi. Généralement, les tueurs sont abattus sur-le-champ par les gardes des personnalités ciblées. Les assassins, comme le précisent Gérard Chaliand et Arnaud Blin[19], « faisaient partie d’une organisation qui s’inscrivait dans la logique d’une lutte pour le pouvoir politique »[20]. Eux aussi instrumentaliseront les textes coraniques pour en faire une charte de lutte politique à l’image de ce que feront plus tard certaines organisations terroristes comme Al-Qaïda.

Pendant plus de deux siècles, les haschischins vont terroriser la région. Huit idéologues succéderont à Hassan Al-Sabah et perpétueront sa stratégie jusqu’en 1256, date à laquelle ils seront finalement massacrés par les Mongols, partis à la conquête du Moyen-Orient.

En 1257, les Mongols prennent Bagdad, massacrant le calife et l’ensemble de sa famille. C’est dans un contexte politique, social et économique fort compliqué que naîtra, quelques années plus tard, un personnage qui allait façonner la doctrine salafiste et jouer un rôle central dans la propagation de l’idéologie islamiste : Ahmed Ibn Taymiya.

L’œuvre d’Ibn Taymiya déterminera plus tard l’idéologie wahhabite saoudienne, celle de la confrérie des « Frères musulmans »

Né en 1263 à Haran, au nord de la Turquie, Ibn Taymiya consacra sa vie, dès son plus jeune âge, à l’interprétation du Coran et des hadiths. Son œuvre, composée d’un nombre extraordinaire de fatwas, quasiment sacralisée, déterminera plus tard l’idéologie wahhabite saoudienne, celle de la confrérie des « Frères musulmans » et l’école deobandi pakistanaise, ainsi que d’autres courants salafistes contemporains. Surnommé cheikh Al-islam, le « maître de l’islam » ou le « sage de l’islam », Ibn Taymiya s’inspirait du courant de pensée hanbalite, que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer, décrite par tous les spécialistes comme le plus littéraliste et le plus rigoriste de tous les courants sunnites. Il préconisait un strict retour au comportement des Salafs – les premiers musulmans, compagnons de Mahomet –, l’interdiction de toute théologie spéculative et, comme le fit avant lui Ahmed Ibn Hanbal, de toute bidaa, les « innovations blâmables », en d’autres termes, toute action ou tout rituel non pratiqués par Mahomet et ses compagnons. Son dogme est aujourd’hui largement suivi par l’ensemble du mouvement islamiste sunnite. Pour Ibn Taymiya, les philosophes et grands penseurs musulmans tels Ibn Sina (Avicenne), Ibn Rochd (Averroès) ou Al-Farabi (Alpharabius), étaient des « hérétiques ».

De nos jours, certains islamistes s’inspirant de ses travaux, qualifient d’« apostats » de nombreux intellectuels musulmans et comme lui, ils considèrent que le rationalisme est une « hérésie ».

Auteur de plusieurs fatwas prônant le jihad – un de ses livres, intitulé Al-Djihad, fait aujourd’hui autorité dans les milieux islamistes et alimente la mouvance terroriste ,– Ibn Taymiya appelle à combattre les chrétiens, les juifs, les chiites et les Mongols. Ces derniers, considérés à son époque comme des envahisseurs du monde musulman, sont souvent comparés, dans la littérature islamiste contemporaine, aux Américains. Pour justifier les actions terroristes, beaucoup d’idéologues islamistes, se référant à Ibn Taymiya, s’exercent à trouver des analogies et à procéder par le qiyas, la comparaison entre le contexte du monde musulman des viie ou xiiie siècle et celui d’aujourd’hui, comparant très souvent le terrorisme s’abattant sur des pays musulmans aux batailles engagées contre les Quraychites et la guerre déclarée à l’Occident à l’opposition faite aux Mongols.

Ibn Taymiya passera la majeure partie de sa vie à Damas où il sera emprisonné à plusieurs reprises pour avoir remis en cause l’autorité des califes, et en raison de la nature de ses fatwas. Il mourra finalement en 1328, laissant derrière lui une œuvre qui n’aura de cesse d’inspirer les courants intégristes se réclamant de l’islam. On peut d’ailleurs établir, légitimement, une corrélation entre l’influence croissante des travaux d’Ibn Taymiya durant ces dernières années et la montée de l’islamisme. Ces livres, diffusés par des officines saoudiennes ou rattachées aux « Frères musulmans » inondent le marché et toutes les « bonnes » librairies islamistes[21].

Ibn Taymiya, l’adepte du hanbalisme, est aujourd’hui la principale référence idéologique des salafistes contemporains. Dans ses écrits, il exige par exemple une application stricte de la charia et appelle à imposer l’autorité de l’islam par le jihad. À ce propos, il écrit : « Sachez que le jihad comporte de nombreux bienfaits aussi bien pour la vie ici bas que pour l’Au-delà. Le délaisser est la perte de la vie ici-bas et de l’Au-delà. »[22]

S’agissant de l’application stricte de la charia, Ibn Taymiya poursuit : « Celui qui gouverne sans se référer au Livre saint est un Taghout.[23] »[24] Deux exemples parmi tant d’autres pour préciser que ce « juriste et théologien » occupe, de nos jours, une position centrale tant dans la jurisprudence islamique que dans le discours islamiste qui a quasiment sacralisé ses travaux. Les organisations terroristes, par exemple, le citent régulièrement pour justifier le principe du « jihad offensif ».

C’est le cas notamment des deux principaux leaders d’Al-Qaïda : Oussama Ben Laden et Aymen Al-Zawahiri. Les deux hommes – et ils ne sont pas les seuls – adhèrent totalement à ses interprétations et estiment, en conformité avec ses fatwas, que l’individu doit être jugé selon sa propension à accomplir le jihad et appellent, selon ses recommandations, à appliquer le principe du takfir[25], l’équivalent de l’excommunication, contre les musulmans qui refusent de souscrire au principe du jihad. À ce titre, Ibn Taymiya divise les musulmans en trois catégories : « Ceux qui sont sur la voie victorieuse, les paresseux qui refusent le jihad et les ignorants. »[26]

Cette classification est également adoptée par la plupart des organisations extrémistes qui prônent la violence. Le jihad préconisé par Ibn Taymiya cible tous ceux qui ne se reconnaissent pas, non pas dans la religion musulmane, mais dans ce qui est considéré aujourd’hui comme la doctrine salafiste, en d’autres termes ceux qu’il qualifie d’« apostats » parmi les musulmans et notamment les chiites, les rationalistes et les soufis, mais aussi tous les dirigeants musulmans qui n’appliquent pas la charia, les « mécréants », les « polythéistes » et, sous certaines conditions, les juifs et les chrétiens.

Outre les conflits intérieurs, après les croisades, différents conflits continueront d’alimenter certaines formes d’extrémismes et de façonner une sorte de subconscient musulman où la guerre finira par occuper une place importante et la politisation de l’islam par devenir une sorte d’acte naturel. Les « recommandations » bellicistes de certains idéologues seront de plus en plus sacralisées. Les notions de charia ou de jihad finiront par occuper, au fil du temps, une place prépondérante dans les sociétés musulmanes. Et même si elles ne sont pas systématiquement appliquées, beaucoup croient que ce sont là des « obligations délaissées ».

Le xve siècle sera caractérisé par la production de nouvelles fatwas, notamment en Afrique du Nord. Ce fut le cas avec Al-Birzali (ou Al-Burzuli)[27] et d’Al-Wancharissi[28]. Ils ont essayé, avec d’autres, d’adapter l’islam à leur temps, notamment dans la relation avec les non-musulmans. En ce qui concerne Al-Wancharissi, ses travaux ont été réalisés après la Reconquista. En 1492, en effet, les musulmans assistent à la chute du dernier califat d’Espagne et à la montée de la dynastie ottomane qui régnera pendant plusieurs siècles sur le monde. L’extrémisme, incarné par différents courants, poursuivra, lui aussi, son ascension. En 1501, par exemple, le chiisme duodécimain devient religion d’État en Perse sous l’impulsion de la dynastie safavide[29].

De son côté, l’islam sunnite continuera de faire l’apologie des travaux d’Ibn Taymiya. Au xviiie siècle, le chef religieux Mohamed Ibn Abdelwaheb[30], adepte de l’école hanbalite, s’attachera à promouvoir à la fois sa pensée rigoriste qui s’inspirait directement des travaux d’Ahmed Ibn Hanbal et de ceux d’Ibn Taymiya. Né dans la péninsule Arabique, il s’allie avec Mohamed Ibn Saoud, le chef d’une tribu très influente dans l’Arabie de l’époque, alliance qui donnera naissance, par la suite, à l’actuelle Arabie Saoudite. Les deux hommes et leur descendance vont s’atteler à propager l’idéologie wahhabite, désormais doctrine d’État. Mohamed Ibn Abdelwaheb commença, selon les écrits d’Ibn Taymiya, par ériger, dès 1745, le principe du jihad au centre de sa stratégie politique ; il en fera une sorte de sixième pilier de l’islam pour renforcer son système d’alliance avec Ibn Saoud. C’est cet alliage fort complexe qui permettra à leurs descendants respectifs de prendre possession de la péninsule Arabique et de créer la monarchie telle que nous la connaissons aujourd’hui. Le principe du jihad allait être par ailleurs alimenté, en quelque sorte, par un contexte géopolitique qui vit l’émergence du phénomène colonisateur engagé par les puissances européennes dès le xixe siècle. Le wahhabisme doit en partie son succès à ce contexte particulier.

Wahhabisme et justification d’un islam intégriste

D’un autre côté, le wahhabisme, qui plaide pour une interprétation littérale du Coran et de la Sunna, est devenu, au fil des années, la justification revendiquée pour l’application d’un islam intégriste dit « fondamentaliste ». La doctrine wahhabite justifie par ailleurs, à travers certains de ses idéologues contemporains, le recours aux actions violentes auxquelles nous assistons depuis quelques années, ainsi que l’hostilité qu’il « faut montrer » aux non-musulmans. Le cheikh Abdelaziz Ibn Al-Baz[31], Grand Mufti[32] de la monarchie saoudienne, avait par exemple émis une fatwa appelant à faire montre d’hostilité à l’égard de tous les non-musulmans. Il écrivit : « Le Coran et la Sunna et le consensus des musulmans indiquent qu’il est obligatoire d’être hostile aux mécréants parmi les juifs, les chrétiens et le reste des polythéistes. Et ils mettent en garde contre le fait de les aimer et de les prendre comme alliés, comme Allah nous a informés. »[33]

D’autres idéologues saoudiens du salafisme wahhabite n’ont eu de cesse d’utiliser les travaux du cofondateur de la monarchie pour propager des idées islamistes à travers le monde tantôt via des publications, tantôt à travers la diffusion de prêches enregistrés sur des cassettes ou des vidéos. Parmi eux, on peut compter Salmane Al-Awdah et Safar Al-Hawali, le cheikh Otheimine, le cheikh Al-Albani, Abu Bakr Al-Djazaïri, le cheikh Saleh Ibn Fawzen Al-Fawzen, le cheikh Rabii Al-Madkhali et tant d’autres. Chacun a eu sa conception du wahhabisme, mais globalement, ils se reconnaissent tous dans la pensée de Mohamed Ibn Abdelwaheb, dont les idées n’ont eu de cesse de se propager à la fin du xixe siècle et surtout au xxe siècle.

NOTES

[1] Les origines du mutazilisme remontent à la fin de la dynastie omeyyade. Ce courant de pensée avait basé sa réflexion sur la notion de la responsabilité de chaque croyant à travers le « libre arbitre » et qui conduit à limiter la toute-puissance divine. Démarche que les littéralistes ne pouvaient partager. Après avoir été soutenus par le calife abbasside Al-Maamoun, ils subirent l’inquisition des littéralistes après sa disparition.

[2] Fondée par l’imam Ahmed Ibn Hanbal (780-855). C’est l’imam Chaféï (767-820), fondateur de l’école chaféite, qui jettera néanmoins les bases de la jurisprudence islamique (usûl al-fiqh). Le malékisme fondé par l’imam Malek (715-795) se spécialisera dans le hadith alors que le hanafisme dont le fondateur est Abu Hanifa (699-767) se distinguera par l’élaboration de la jurisprudence (fiqh) en laissant une large place à l’avis personnel, ce qui lui attira de nombreuses critiques de la part des autres écoles, plus rigoristes. Voir à ce propos le Dictionnaire historique de l’islam, op. cit.

[3] Madhahib est le pluriel de madhab qui signifie école de pensée.

[4] Penseur musulman d’origine persane né en 1058, mort en 1111.

[5] Voir le Dictionnaire du Coran, sous la direction de Mohamed Ali Amir-Moezzi, Robert Laffont, 2007.

[6] Essalef essalih veut littéralement dire les « pieux prédécesseurs » en l’occurrence les premiers compagnons du Prophète. Les mots « salafiste » ou « salafisme » proviennent de là. Le salafisme est une doctrine qui appelle au retour à l’islam tel qu’il était pratiqué par ces « pieux prédécesseurs ».

[7] Ettabiine veut littéralement dire les successeurs. Dans la théologie musulmane, ce mot fait référence à la première génération de musulmans née après la mort du Prophète et ayant côtoyé ses compagnons, les « pieux prédécesseurs ».

[8] Coran : « Il donne la sagesse à qui Il veut. Et celui à qui la sagesse est donnée, vraiment, c’est un bien immense qui lui est donné. Mais les doués d’intelligence seulement s’en souviennent », Sourate 2, Verset 269.

[9] Cette notion sera théorisée plus tard par la Confrérie des « Frères musulmans » comme nous l’étudierons plus loin.

[10] D’après l’enregistrement audio d’un meeting populaire, en 1990, du parti islamiste algérien le Front islamique du salut (FIS), aujourd’hui dissous (archives personnelles de l’auteur).

[11] Ali Belhadj fut le n° 2 du FIS avant la dissolution du parti en 1992 par le pouvoir algérien.

[12] Quotidien algérien Horizons du 23 février 1989.

[13] Nous ne parlons pas de simplicité, puisque la charia reste complexe, mais bien de simplisme.

[14] Appelés également la « secte des Assassins », les haschischins ont inspiré de nombreux fantasmes littéraires bien qu’ils aient réellement existé. Ils furent les premiers à utiliser et à conceptualiser le principe du fedaï qui, en termes opérationnels, fut l’ancêtre de l’attentat suicide.

[15] Familles de chefs turcs qui se partagèrent le pouvoir au xie siècle en Iran, en Irak et en Syrie. Voir aussi le Dictionnaire du Coran, op. cit.

[16] L’ismaélisme est un courant de l’islam chiite. Son origine remonte à la mort en 765 du sixième imam chiite et des luttes qui vont naître à propos de sa succession.

[17] Littéralement, prosélyte.

[18] Littéralement, martyr.

[19] Histoire du terrorisme : De l’Antiquité à Al-Qaïda, Bayard, 2004.

[20] Ibid.

[21] Nous utiliserons l’appellation « librairie islamiste » au lieu de « librairie musulmane » puisque la majorité des commerces proposent, le plus souvent, une littérature d’auteurs islamistes et des livres propageant les idées des écoles et des idéologues les plus rigoristes. En Europe, peu de librairies dites « musulmanes » vendent des livres non validés par les institutions saoudiennes. Nous verrons plus loin quels sont les différents idéologues islamistes dont les livres figurent en bonne place de nos jours sur le territoire européen.

[22] Al-Jihad, d’Ibn Taymiya Dar Al-Jil, Beyrouth, 1997 (livre en arabe) (archives personnelles de l’auteur).

[23] Le mot taghut signifie selon plusieurs commentateurs et exégèses « le tyran » ou celui qui « dépasse les bornes ». Il est utilisé de nos jours par les islamistes qui l’utilisent généralement pour désigner les dirigeants des pays musulmans.

[24] Madjmou al-Fatawa, 28/201. Recueil des fatwas d’Ibn Taymiya (archives personnelles de l’auteur).

[25] Le principe du takfir consiste à déclarer un musulman « apostat ».

[26] Al-Jihad, op. cit. (archives personnelles de l’auteur).

[27] Théologien ibadite né en 1339, mort en 1440.

[28] Ahmad Ibn Yahya Al-Wancharissi est un théologien de l’école malékite. Né à Fez en 1430, il écrivit une collection de douze volumes de fatwas. Il est mort en 1508.

[29] La dynastie safavide apparaît en Azerbaïdjan vers le xive siècle. Les fondateurs du chiisme duodécimain estiment que leur dirigeant est le douzième imam du courant chiite.

[30] Né en 1703 dans le Nejd dans une famille de juristes hanbalites, Mohamed Ibn Abdelwaheb sera également le cofondateur de la monarchie saoudienne. Il mourut en 1792 après avoir théorisé le principe du Tawhid, l’Unicité de Dieu, qui expurgeait l’islam de toutes les « innovations blâmables » et de certaines coutumes. Il est le concepteur de la pensée wahhabite qui ne cessera dès lors de se répandre à travers le monde. Le wahhabisme est la doctrine officielle en Arabie Saoudite.

[31] Abdelaziz Ibn Al-Baz est né à Riyad en 1910. Grand Mufti d’Arabie Saoudite, il promulguait généralement des fatwas qui arrangeaient la politique intérieure et extérieure de la monarchie. S’il a légitimé le jihad contre les Soviétiques quand la politique saoudienne faisait de même, il a autorisé l’intervention du GIGN lors de la prise d’otages de La Mecque contre l’avis d’autres islamistes. Il avait par ailleurs légitimé le jihad contre Saddam Hussein lors de la première guerre du Golfe et il a critiqué Oussama Ben Laden lorsque celui-ci est rentré en disgrâce avec la monarchie. Il est mort en 2000. Nous verrons plus loin la question relative à l’instrumentalisation politique de l’islam par les États.

[32] Le mufti est celui qui est habilité à émettre des fatwas.

[33] Majmu’ fatawa wa maqalat mutanawwi’a, de Cheikh Abdelaziz Ibn Al-Baz, vol. 2, p. 178-179 (archives personnelles de l’auteur).

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