Par A. Savyon, Y. Mansharof et E. Kharrazi –
La semaine dernière, l’administration américaine et le camp pragmatique iranien préparaient l’opinion de leurs pays respectifs à la possibilité de la conclusion d’un accord nucléaire entre l’Iran et les P5 + 1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU plus l’Allemagne) avant la date-limite du 24 novembre 2014. D’après les grandes lignes de l’accord, Téhéran sera apparemment autorisée à faire fonctionner 4 000 à 6 000 centrifugeuses de première génération seulement et en retour, l’administration américaine suspendra les sanctions américaines, sans attendre l’autorisation du Congrès.
Le camp pragmatique iranien, sous la direction de Rafsandjani et du président Hassan Rohani, fait pression sur la Maison Blanche pour parvenir sans délai à un accord, tout en qualifiant le président Obama de « plus faible président américain ». Ce faisant, le camp pragmatique pose les bases d’un futur accord.
Le 22 octobre 2014, le président Rohani soulignait la nécessité de négocier avec l’ennemi. Le 27 octobre, le principal organe de médias du camp pragmatique de Rafsandjani et Rohani, le quotidien Jomhouri-ye Eslami, exhortait le camp idéologique de Guide Suprême Ali Khamanei à ne pas saboter l’accord émergent, soulignant qu’il n’outrepassait pas les lignes rouges fixées par le Guide suprême ; il enjoignait en outre le camp de Khamenei à ne pas manquer cette occasion.
En outre, le 2 novembre 2014, deux jours avant que la nation ne célèbre l’anniversaire de la prise d’assaut de l’ambassade américaine et de la crise des otages à Téhéran en 1979, Ali Khorram, conseiller principal du ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif, confiait au journal réformiste pro-Rohani Shargh que les relations américano-iraniennes n’étaient désormais plus hostiles, et pouvaient même être qualifiées d’« amicales ». Il expliquait que la politique américaine s’était améliorée, que les deux pays ne devaient pas attendre le Jour du Jugement pour se faire mutuellement confiance et que l’heure était venue pour eux de mettre fin à l’hostilité dans leurs rapports. Il évoquait également des intérêts communs en Irak et en Syrie, et précisait que les Américains considèraient la prise d’assaut de l’ambassade américaine comme une « blessure ancienne ».
En revanche, le camp idéologique est alarmé par la perspective d’un accord imminent sur le nucléaire ; il redoute que les intérêts du régime ne soient menacés et se méfie d’un rapprochement américano-iranien. Le 28 octobre 2014, lendemain du jour où le quotidien Jomhouri-ye Eslami appelait le camp idéologique à ne pas saboter l’accord, le membre du Majlis Ali Reza Zakani exhortait les services de sécurité iraniens à intervenir, et prévenait l’équipe des négociations qu’elle serait tenue responsable de la conclusion d’un « mauvais accord » qui franchirait les lignes rouges du régime et ne parviendrait pas à lever totalement les sanctions.
Dans le même temps, le quotidien Kayhan, affilié à Khamenei, critique l’accord émergent sous deux angles : d’abord, il outrepasse les limites de Khamenei et ne lève pas immédiatement toutes les sanctions contre l’Iran ; d’autre part, Kayhan met en avant que suite à la défaite du président américain Barack Obama aux élections de mi-mandat du 4 novembre, l’Iran pourrait éventuellement, dans une dizaine d’années, s’installer à la table des négociations en tant que puissance nucléaire dotée de dizaines de milliers de centrifugeuses de nouvelle génération.
Il exhorte l’équipe des négociations à ne pas faiblir face aux menaces de la Maison Blanche quant à un éventuel renforcement des sanctions suite à la victoire des républicains, et à son insistance pour que l’Iran signe un accord sans tarder. Kayhan estime que l’Iran devrait même poser un ultimatum aux États-Unis. Le journal met en garde contre les complots et un système organisé dirigé par « les hommes de la fitna » passés et présents – allusion à la collaboration entre les chefs du camp pragmatique Rafsandjani et Rohani et ceux du Mouvement vert et les anciens candidats à la présidentielle Mir Hossein Mousavi et Mehdi Karroubi, tous deux placés en résidence surveillée pendant plusieurs années pour leur rôle dans les troubles pendant l’élection présidentielle de 2009. Kayhan fait également allusion à une coordination entre eux et l’Occident, dans l’objectif d’anesthésier l’opinion et les élites iraniennes, afin qu’un accord sur le nucléaire soit signé « à n’importe quel prix ». Le journal enjoint au président Rohani de suivre les injonctions de Khamenei dans les négociations nucléaires, et même de s’abstenir de dialoguer avec les États-Unis.
Le site Afsaran, proche des milieux sécuritaires, exprime également la crainte que le chef de l’équipe de négociations iranienne et le ministre des Affaires étrangères Mohammed Javad Zarif – et son camp – ne cherchent à destituer Khamenei en obtenant un accord sur le nucléaire avec les Etats-Unis.