Le 14 mars 2014, la journaliste Dima Sadeq interviewe le blogueur Imad Bazzi sur la chaîne libanaise LBC TV, mais l’interrompt à plusieurs reprises pour lui demander de ne pas aborder les sujets tabous. L’émission prend fin au bout de quelques minutes, en signe de protestation contre l’entrave à la liberté d’expression dans les médias. Extraits:
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Dima Sadeq: Pour discuter des derniers événements intervenus au Liban, nous avons avec nous le blogueur Imad Bazzi. Bonjour.
Imad Bazzi: Bonjour.
[…]
Dima Sadeq: Comment voyez-vous la scène politique aujourd’hui, en ce neuvième anniversaire de la manifestation du 14 mars ?
Imad Bazzi: Aujourd’hui, c’est le neuvième anniversaire de la date du rassemblement des Libanais sur la place…
Dima Sadeq: Excusez-moi, c’est de ma faute. J’aurais dû vous demander au début de l’émission de n’aborder aucun sujet religieux, en particulier concernant l’islam. Comme vous le savez parfaitement, le Conseil supérieur islamique chiite a des problèmes avec cette chaîne de télévision, et il a menacé de nous poursuivre en justice, en raison d’une erreur de notre part. Donc, nous voulons nous assurer de ne pas répéter cette erreur.
Allez-y, pardonnez-moi de vous avoir interrompu.
Imad Bazzi: Nous parlions donc de l’anniversaire du 14 mars, et des neuf années qui se sont écoulées depuis ce jour qui a bouleversé la scène politique…
Dima Sadeq: Je vous prie sincèrement de m’excuser, Imad, mais nous ne devons traiter d’aucun sujet lié au christianisme. Comme vous le savez, le Conseil catholique est très actif ces jours-ci, et il empêche tout écart par rapport aux valeurs morales de notre société. Alors ne parlons pas de quoi que ce soit qui le concerne, parce que cela pourrait gâcher l’ambiance. Allez-y.
Imad Bazzi: Revenons au neuvième anniversaire de la manifestation du 14 mars. Les gens qui sont descendus dans la rue exigeaient le changement, la libération et la souveraineté…
Dima Sadeq: Tant que nous parlons politique…
Imad Bazzi: Y a-t-il autre chose d’interdit ?
Dima Sadeq: Nous devrions éviter de parler du président Michel Suleiman, car comme vous le savez, le général Achraf Rifi est devenu ministre de la Justice, et il n’autorisera plus les violations téméraires du passé. Il est sur le point de déposer plainte contre le journaliste Ibrahim Al-Amin, qui a osé critiquer le président. Je sais que vous avez une opinion sur tout cela, donc je vous prie de ne pas en parler avant la fin de l’émission – d’autant plus que vous avez été arrêté dans le passé. Combien de fois avez-vous été arrêté ?
Imad Bazzi: Dix fois. N’est-ce pas assez ?
Dima Sadeq: Vous avez été arrêté par le bureau de lutte contre le crime lié à l’information ?
Imad Bazzi: Oui, j’étais interrogé là-bas hier.
Dima Sadeq: Donc, vous êtes un criminel de l’information maintenant ?
Imad Bazzi: Un criminel électronique. Et dangereux.
Dima Sadeq: Combien de pays disposent d’un bureau de lutte contre le crime électronique ? Pas l’Egypte ou d’autres pays arabes. Peut-être parmi les pays du Golfe ?
Imad Bazzi: Oui, il en existe dans les pays du Golfe. J’aurais aimé que nous ayons au Liban le genre de liberté d’expression dont ils jouissent dans le Golfe.
Dima Sadeq: Excusez-moi de vous interrompre à nouveau. Revenons à notre sujet principal: l’anniversaire du 14 mars. Je vous écoute.
Imad Bazzi: Vous ne m’avez laissé aucun sujet de discussion.
Dima Sadeq: Permettez-moi simplement de vous demander de ne pas parler des politiciens libanais, et surtout pas du ministre Gebran Bassil, qui a récemment poursuivi en justice le magazine Executive, qui l’avait interrogé sur les 33 millions de dollars égarés au ministère de l’Energie. Il a affirmé qu’il ne savait rien, mais que ce n’était pas important, et quand le journal a publié ses propos, [Bassil] l’a attaqué en justice. J’espère donc pouvoir exercer un journalisme responsable, et ne pas parler de questions qui…
Imad Bazzi: Très bien, nous ne parlerons pas des 33 millions de dollars.
Dima Sadeq: Et aussi, ne disons rien des Forces libanaises. Comme vous le savez, Dr Samir Geagea a poursuivi en justice un nombre important de journaux.
[…]
Mais les gens ne disent rien sur la corruption. Comme vous le savez, notre collègue Riad Kobaissi a tenté d’évoquer le sujet de la corruption au sein du service des douanes, et il souffre toujours d’une commotion cérébrale. Donc, il ne faut pas en parler.
Imad Bazzi: Bien sûr. Il n’y a absolument pas de corruption là-bas. La douane est un département très stable et honnête.
Dima Sadeq: Une dernière chose. Ne parlons pas de la justice libanaise, parce que, comme vous le savez, notre collègue Muhammad Nazzal, d’Al-Akhbar, a prouvé, preuves à l’appui, que la juge Randa Yaqzan couvrait des crimes liés aux stupéfiants. Elle a été rétrogradée, mais il n’empêche que Nazzal et Al-Akhbar ont été condamnés à une amende de 12 millions de dollars, parce que personne ne doit agir de manière si irresponsable…
Imad Bazzi: Bien sûr.
Dima Sadeq: Allez-y.
Imad Bazzi: De quoi dois-je parler ?
Dima Sadeq: Je suis désolé d’être aussi contraignante. Il y a un sujet dont nous pouvons discuter librement, Dieu merci, sans censure. Nous pouvons parler autant que nous le voulons du Hezbollah et de la résistance.
Imad Bazzi: Et de leurs armes…
Dima Sadeq: Exact. Sur cette question, il n’y a pas d’auto-censure. Allez-y, dites ce que vous voulez sur ce sujet.
Imad Bazzi: Je vous remercie de me permettre de parler de ce sujet important, mais il fait l’objet d’un consensus, il ne fâche personne – je ne veux pas en parler. Je pense que je vais m’abstenir.
Dima Sadeq: Donc, nous avons convenu de ne pas parler de l’islam, du christianisme, de politique, du président, de plusieurs partis politiques, de la corruption, de la justice, des coutumes…
Je tiens à remercier l’honorable criminel électronique, le blogueur Imad Bazzi, d’avoir été avec nous. C’est la fin de notre émission aujourd’hui.
Imad Bazzi: Merci de m’avoir invité. J’espère que les téléspectateurs l’ont trouvée utile…
Dima Sadeq: Pour sûr. L’émission d’aujourd’hui a été très utile.
Chers téléspectateurs, c’est la fin de notre émission ce matin. Merci de l’avoir suivie. Passez une bonne journée.
Technicien hors-écran: Vous êtes sûre ?
Dima Sadeq: Oui, c’est la fin de l’émission. On ne peut parler de rien.
Titre: « Ils veulent que votre écran ressemble à cela mais nous refusons »
« Notre émission n’est pas diffusée aujourd’hui pour protester contre la pression exercée sur les médias »
[…]
(Ce message est resté à l’écran pendant une heure et neuf minutes.)