Dans une chronique du quotidien égyptien officiel Al-Ahram, le poète égyptien Ahmed Abd Al-Muti Higazi affirme que les chrétiens égyptiens souffrent de harcèlement généralisé, et que les autorités ne font rien pour y remédier. Il précise que les chrétiens égyptiens sont fréquemment victimes de violences dues aux discours anti-chrétiens tenus par des musulmans. Selon l’auteur, le régime est complice de ces actes car, au lieu de prendre des mesures efficaces pour protéger les victimes, il permet le retour à une coutume médiévale: la création de comités censés concilier chrétiens et musulmans et trancher lors de litiges, sans intervention du système judiciaire. Higazi souligne que ces comités – formés de religieux musulmans, de représentants de la communauté chrétienne et des forces de sécurité [1] – manquent d’impartialité, tendant à favoriser les musulmans. Extraits de l’article. [2]
« Nous nous mentons à nous-mêmes lorsque nous occultons l’existence d’un problème de communautarisme en Egypte, un problème qui a empiré au cours des dernières décennies, et s’est transformé en crise violente et profonde. Nous nous mentons à nous-mêmes en refusant de voir ce qui se passe sous nos yeux et surgit juste sous nos pieds. Nous nous retournons seulement lorsque l’agitation s’est calmée et que les traces du terrible événement ont disparu. Ensuite, nous poursuivons nos petites affaires comme si de rien n’était, ou comme s’il s’agissait seulement d’un événement banal ou d’un phénomène passager, pouvant être balayé par certaines déclarations toutes prêtes, de fausses accolades et des sourires niais. Lorsque les événements se répètent, nos réactions se répètent également et nous sommes [de nouveau] surpris, bien que tout cela ne soit guère surprenant ; nous constatons en effet que parmi ceux qui aident à éteindre le feu se trouvent parfois ceux qui l’attisent !…
« Ceux qui montent les musulmans contre les chrétiens sont ceux qui dirigent ces comités d’arbitration formés pour concilier les deux parties belligérantes… Excepté que l’une des parties est majoritaire dans le quartier ou le village, et l’autre minoritaire, et doit être opprimée en quelque sorte, puisque les relations sociales dans l’Egypte actuelle ne se fondent pas sur la justice, mais sur le pouvoir. Depuis plusieurs décennies, la ligne directrice en Egypte n’est pas la justice, mais l’honneur. Non pas un honneur découlant d’un leadership historique, d’un talent peu commun, d’un courage exceptionnel ou d’un sacrifice coûteux – mais plutôt de l’aptitude à bafouer les autres et à leur nuire… Ainsi, même si la majorité est opprimante, elle aura toujours raison, et les droits de la minorité seront ignorés.
« Depuis plusieurs décennies, l’ambiance en Egypte rappelle une jungle où le plus fort a raison, où l’on peut faire n’importe quoi tant que l’on appartient au camp des puissants. Dans une telle situation, n’importe quel jeune homme téméraire peut imposer sa volonté au camp le plus faible et y mettre le feu s’il devient un obstacle. En effet, ce [jeune homme] n’est nullement soumis à la loi, mais à la tradition. Quelle tradition ? La tradition [d’arbitration] des temps moyen-âgeux, qui avait cours avant que nous ayons un Etat, des lois civiles, des forces de sécurité, des tribunaux et des juges.
« Selon cette tradition, nous [les Egyptiens] ne sommes pas une nation soumise au principe de la nationalité, à la constitution [que nous venons tout juste d’]élaborer, et aux lois s’appliquant à tous ; au lieu de cela [nous formons] deux groupes ou deux nations: une victorieuse et une humiliée ; une majorité musulmane et une minorité de dhimmis [non-musulmans vivant sous domination musulmane]. Dans cette situation, nous sommes soumis à des lois héritées des Mamelouks et des Ottomans.
« Il est vrai que les chrétiens ne doivent plus porter de vêtements bleus [pour les distinguer des musulmans] ou payer l’impôt de la jizya, et contrairement à ce qui passait autrefois, ils sont autorisés à monter à cheval et à chameau. Mais il leur est toujours interdit de rénover leurs églises en raison de la Hatt-i humayun, loi ottomane promulguée en 1856, lorsque l’Egypte était une province de l’Empire ottoman. Cette loi interdit aux chrétiens de construire de nouvelles églises, d’en rénover d’anciennes, sans l’autorisation du Sultan, qui fut [plus tard] remplacé par le président de la république [égyptienne].
« Grâce au mouvement nationaliste, l’Egypte fut libérée des Ottomans et des Britanniques pour devenir un royaume indépendant, et plus tard une république civile dont la constitution mentionne explicitement la liberté totale de culte. Pourtant, la loi ottomane interdit toujours aux chrétiens égyptiens de construire leurs églises, tandis que ceux qui commercent dans la religion [islamique] peuvent mettre la main sur des terres étatiques pour construire une mosquée munie de quatre haut-parleurs. Ceci est considéré comme une bonne action [qui permettra à l’acquéreur] de rejoindre le parti au pouvoir et de se présenter aux élections sans être soumis à la loi ottomane ou à toute autre loi.
« Même si le christianisme est présent en Egypte depuis le premier siècle de notre ère, qu’il était la religion majoritaire en Égypte pendant un millier d’années, et demeure celle de millions d’Egyptiens, il est devenu comme un patrimoine anonyme oublié de notre système éducatif. La culture copte n’a pas sa place dans les programmes d’histoire, la langue copte n’a pas sa place dans les départements de langues, et les coptes sont interdits et presque bannis de leur patrie, la patrie de leurs pères, mères, grands-pères et grands-mères. Il en est ainsi depuis que l’atmosphère en l’Egypte a fait du pays une nation de deux communautés: une majoritaire, dont certains membres monopolisent le régime, et une minoritaire sans prise sur le régime. Cette ambiance marginalise les chrétiens, après qu’ils eurent obtenu l’exercice de certains de leurs droits dans la première moitié du siècle précédent. [Depuis,] les chrétiens ont perdu leurs droits après avoir perdu leur citoyenneté et être retournés à un [statut inférieur] – sous l’effet de la culture propagée par les organisations politiques et l’islam, et [plus tard] adoptée par le régime de la Révolution des officiers [libres] en juillet 1952. Ce régime a ressuscité l’ancien régime mamelouk, comme si les Mamelouks étaient revenus du massacre de la Citadelle [3] pour se venger de l’Etat moderne créé sur les décombres de leur Etat défunt.
« Dans le cadre de ce nouveau régime mamelouk, nous avons perdu notre unité nationale, nos lois démocratiques, notre constitution laïque et notre culture intellectuelle. Nous – musulmans et dhimmis – vendons à nouveau nos votes pour de l’huile, du sucre et des promesses de places réservées au Paradis. Il est naturel qu’il n’y ait pas de place pour les chrétiens parmi nous, ni dans ce monde ni dans l’autre ; il est naturel qu’ils fassent l’objet [de harcèlement] depuis les années 1970 – que leurs églises soient détruites, leurs maisons incendiées, leurs magasins pillés, leurs fils et leurs filles enlevés. Le régime pour sa part complote contre eux et ne les défend pas parce qu’il ne défend que lui-même, et il est impossible d’échapper à un complot entre lui et ceux qui le menacent, autrement dit ceux qui mènent la guerre contre les chrétiens.
« Dans cet Etat, les chrétiens n’ont d’autre choix que de se tourner vers les comités d’arbitration, un organe judiciaire étrange dans lequel des juges, comme [les religieux] Safwat Higazi, [Mohammed] Heweny et [Abu Ishaq] Hassan, sont leurs rivaux. Les témoins dans ces procès sont les forces de sécurité, qui font partie de ces comités, non pour faire respecter la loi, mais uniquement pour convaincre les chrétiens de partir. Cela résout-il le problème du communautarisme ? Non ! Au contraire – [ce problème] ne fait qu’empirer et nous explose [à la figure]. Mais existe-t-il un espoir de le résoudre ? Oui, lorsque nous sortirons de la période médiévale et de ses traditions désuètes, ses régimes tyranniques et ses comités d’arbitration, et lorsque nous nous réveillerons. »
Notes:
[1] Al-Yawm Al-Sabi (Egypte), le 10 août 2013.
[2] Al-Ahram (Egypte), le 22 janvier 2014. [3] Massacre perpétré contre les mamelouks par le gouverneur égyptien Mohammed Ali en 1811.