Dans un article publié le 26 novembre 2013 sur le site fikraforum.org, Muhammad Al-Dajani Al-Daoudi, professeur de sciences politiques à l’Université Al-Qods et fondateur du Mouvement Wasatiyya (la Voie du Milieu) [1] de Palestine, suggère d’enseigner l’Holocauste dans les écoles palestiniennes.
Voici quelques extraits de l’article: [2]
Professeur Muhammad Al-Dajani Al-Daoudi (Photo: fikraforum.org)
« La plupart des Arabes et des Palestiniens ignorent cet événement tragique de l’histoire de l’humanité »
Enseigner l’Holocauste en Palestine est un sérieux défi en raison du conflit israélo-palestinien (je fais exprès de ne pas utiliser la traduction arabe du terme Holocauste – Al-Mahraka – car elle ne reflète pas la réalité). L’Occident estime que l’enseignement de l’Holocauste ne doit pas s’adresser qu’aux juifs, tandis que les Arabes, et en particulier les Palestiniens, le considèrent différemment, comme un sujet exclusivement juif. Les défis de l’enseignement de l’Holocauste en Palestine se situent à quatre niveaux:
Au niveau éducatif: Généralement, les événements et les faits relatifs à l’Holocauste ne sont pas mentionnés dans les programmes arabes et palestiniens, et ne sont pas enseignés dans les écoles ou les universités arabes ou palestiniennes… en raison du conflit israélo-arabe. Par conséquent, la plupart des Arabes et des Palestiniens ignorent cet événement tragique de l’histoire humaine.
Au niveau politique: Les Palestiniens sont la seule nation de l’époque moderne qui se trouve toujours sous occupation militaire… Ils sont privés de leur droit à l’autodétermination et à créer un Etat palestinien civil, démocratique et indépendant. En conséquence, la plupart des Palestiniens pensent que l’Holocauste est à l’origine de la Nakba de 1948, que les Israéliens célèbrent comme leur Jour de l’Indépendance. Le conflit incite certains Palestiniens à voir [l’Holocauste] comme une propagande sioniste destinée à éveiller une certaine compassion pour le problème juif, tandis que d’autres le perçoivent comme de la propagande sioniste ou un récit exagéré destiné à recueillir la compassion internationale pour l’Etat juif.
Au niveau religieux: La tendance extrémiste de certains Palestiniens qui enseignent l’islam creuse le fossé entre les valeurs et les croyances islamiques d’une part, juives et chrétiennes de l’autre. Par conséquent, certains versets coraniques sont interprétés dans cette optique. Par exemple, Allah affirme: « Ainsi nous avons voulu que vous soyez une nation de la voie du milieu » [Coran 2, 143]. Au lieu d’interpréter le verset comme un appel à la justice, la tolérance et la modération, il est commenté comme suit: « Les musulmans sont la nation de la voie du milieu, entre les juifs, qui ont tué les prophètes, et les chrétiens, qui ont fait de leur prophète un Dieu »…
L’un des hadiths les plus courants que l’on attribue – ou plus exactement, que l’on attribue à tort – au Prophète [Mahomet], dit: « Le jour viendra où les musulmans combattront les juifs et les tueront, jusqu’à ce que les juifs se cachent derrière les rochers et les arbres. Ensuite, les rochers et les arbres, à l’exception de l’Arbre Gharqad, qui est l’arbre des juifs, parleront et diront: ‘O musulman, ô adorateur d’Allah, un juif se cache derrière moi. Viens le tuer’ ». La leçon religieuse enseignée dans les écoles est la suivante: « Dans ce hadith, le Prophète nous parle d’une sorte de bataille entre les musulmans et les juifs ». Notons que ce hadith contredit les versets coraniques qui louent la sainteté de la vie, tels que: « Et, sauf en droit, ne tuez point la vie qu’Allah a rendu sacrée » [Coran 17, 33] ; « Et Nous ne t’avons envoyé [ô Mahomet] qu’en miséricorde pour l’univers » [Coran 21, 107]. Cette miséricorde s’applique à tous les peuples, y compris aux juifs, aux chrétiens et aux non-croyants. Le hadith susmentionné contredit clairement les versets suivants: «… Nulle contrainte en religion ! » [Coran 2, 256] ; « Quiconque le veut, qu’il croit, et quiconque le veut qu’il mécroie » [Coran 18, 29] ; « Ton Seigneur, c’est Lui qui décidera entre eux, au Jour de la Résurrection » [Coran 32, 25] ; « Allah jugera entre vous au Jour de la Résurrection » [Coran 4, 141]. En outre, cette version [du hadith] contredit ce que Bukhari rapporte: « Lorsque le cortège funèbre passa devant le Prophète, il honora le mort en se levant. Ils lui dirent: O Prophète, c’est l’enterrement d’un juif. Il répondit: N’a-t-il pas d’âme ? »
En effet, le Saint Coran respecte la Torah et le Nouveau Testament, qu’il appelle des « Livres saints ». Il appelle également les juifs et les chrétiens « Le peuple du Livre » ou « ceux qui ont reçu le Livre », et quelques 60 versets coraniques s’adressent directement aux juifs. Par exemple, dans les termes d’Allah Tout-Puissant: « Ô enfants d’Israël, rappelez-vous Mon bienfait dont Je vous ai comblés, (rappelez-vous) que Je vous ai préférés à tous les peuples » [Coran 2, 47].
Au niveau psychologique: La société palestinienne souffre d’une blessure profonde qui n’a pas encore guéri. Si les événements de l’Holocauste appartiennent au passé, la souffrance des Palestiniens est actuelle, et il est par conséquent très difficile de demander à ces victimes – qui subissent l’occupation de leur patrie, l’usurpation continuelle de leurs terres et de leurs biens, qui souffrent de voir leurs proches en prison, et se voient privées de leurs doits de l’homme – d’étudier la souffrance des autres. »
« Le négationnisme est une erreur historique moralement inacceptable »
Une stratégie pour étudier l’Holocauste:
Les Palestiniens posent la question de savoir pourquoi ils devraient étudier l’Holocauste. Ma réponse est que la valeur de l’enseignement de l’Holocauste se trouve dans ce qui suit:
Apprendre l’Holocauste revient à rendre hommage à la vérité, alors que l’ignorer revient à détruire les valeurs qui font la fierté de l’homme.
C’est ce qu’il est juste de faire. Emettre des critiques envers quelque chose ne signifie pas qu’il faille l’occulter ou l’ignorer.
La négation de l’Holocauste est une erreur historique moralement inacceptable.
Connaître les tragédies du passé est essentiel pour éviter qu’elles se reproduisent.
Le Coran [nous] ordonne le savoir et l’étude: « Ô mon Seigneur, accrois mes connaissances ! » [Coran 20, 114] « Sont-ils égaux, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ? Seuls les doués d’intelligence se rappellent » [Coran 39, 9].
Le Prophète encourageait à l’apprentissage et à l’étude. Le Prophète [enjoignait]: « Recherchez la connaissance du berceau au tombeau » et également, « Recherchez la connaissance, même en Chine ».
Les sages disent: Si vous ne connaissez pas le mal, vous ne pouvez comprendre le sens du bien.
Manifester de la solidarité et de la compassion envers la souffrance des autres, même sans aucun lien d’amitié ou d’affection, fera du monde un meilleur endroit où vivre.
Les programmes sont d’une importance vitale pour ce qui est de l’enseignement des sujets sensibles ; par conséquent, je préconise l’apprentissage actif par l’adoption des mesures suivantes pour enseigner ces sujets controversés: enseigner la valeur de la pensée critique et créative, enseigner l’importance d’emprunter la voie du milieu et de la modération, et enseigner l’Holocauste et [d’autres cas] d’extermination de masse de l’histoire moderne, comme au Rwanda, tout en expliquant les connexions et les interactions [entre les divers événements]. Il est utile d’utiliser des documentaires comme supports pédagogiques. Ayant peiné à trouver du matériel pédagogique sur ce sujet en arabe, j’ai écrit un livre en collaboration avec Zeina Barakat et Martin Rau intitulé Human Suffering – Is there a Way Out? (La souffrance humaine: quelle issue ?)
En conclusion, lors de la diffusion d’un documentaire sur l’Holocauste à Université Al-Qods, un étudiant a levé la main et demandé: « Pourquoi devrions-nous étudier l’Holocauste alors que les Israéliens ont déclaré illégale l’utilisation du mot ‘Nakba’ et ont interdit d’en parler dans leurs programmes ? » Ma réponse a été courte et précise: « Ne vous préoccupez pas de ce que font les autres, mais contentez-vous d’agir selon votre bon jugement ».
Notes:
[1] Mouvement islamique palestinien qui appelle à la paix avec Israël et préconise la création d’un Etat palestinien indépendant, démocratique, laïc et engagé pour la justice sociale, le bien-être économique et les valeurs libérales d’égalité, de pluralisme et de liberté d’expression – des valeurs qui selon lui sont ancrées dans l’islam. Fikraforum.org, 30 août 2013.
[2] Fikraforum.org, 26 novembre 2013.