L’interdiction de conduite pour les femmes fait débat en Arabie Saoudite depuis des années. Elle trouve sa source dans une fatwa émise en octobre 1990 par le Conseil des grands oulémas – plus haute instance religieuse du royaume – qui interdit aux femmes de se mettre au volant d’un véhicule et prévoit une sanction pour toutes celles prises en flagrant délit de conduite. Après la publication de cette fatwa, le ministère de l’Intérieur saoudien publiait une décision officielle interdisant aux femmes de conduire.
Conformément à cette décision, les permis de conduire sont délivrés uniquement aux hommes en Arabie Saoudite, et une femme surprise au volant est arrêtée et/ou doit s’acquitter d’une amende, comme cela s’est produit à plusieurs reprises dans le passé. Le porte-parole du ministère des Transports a récemment déclaré qu’une femme surprise en train de conduire sans permis serait inculpée pour infraction, tout comme son tuteur ou la personne l’ayant laissée conduire. Et d’ajouter qu’une femme titulaire d’un permis de conduire délivré à l’étranger ne peut le faire valider en Arabie Saoudite.
Récemment, pourtant, les appels à autoriser les femmes à conduire s’intensifient, surtout de la part de militantes saoudiennes, qui organisent des manifestations et des campagnes en ce sens. Le 21 septembre 2013, un groupe de militantes, dirigé par Eman Al-Nafjan, lançait une campagne en ligne sous le slogan « Les femmes au volant d’une voiture – une question de choix et non de coercition ». Un communiqué mis en ligne dans le cadre de cette campagne a recueilli 12 000 signatures de soutien en une semaine. Il revendiquait la reconnaissance du droit des femmes à conduire, soulignant que l’interdiction est fondée uniquement sur les traditions et coutumes, et nullement sur une loi religieuse. L’initiatrice de la campagne, Eman Al-Nafjan, appelait les femmes à travers le royaume à manifester le 26 octobre 2013, au volant de voitures. Elle a également téléchargé sur sa chaîne YouTube des vidéos de femmes saoudiennes au volant. La campagne compte de nombreux adeptes sur Twitter, qui ont publié des messages de soutien, ainsi que des vidéos de femmes saoudiennes au volant, sous un hashtag spécial créé pour la campagne (october26driving). Suite à la campagne, des dizaines d’articles sur le sujet sont parus dans la presse saoudienne, la majorité en faveur des femmes. Pourtant, le 30 septembre 2013, l’accès au site Web de la campagne aurait été bloqué.
Dans le même temps, le combat pour le droit des femmes à conduire est parvenu jusqu’au Conseil de la Choura saoudien, pour la première fois. Dans une lettre soumise le 10 septembre 2013, un groupe de 14 femmes d’affaires, universitaires et militantes saoudiennes, exigeait que le Conseil examine les problèmes rencontrés par les femmes du royaume, y compris l’interdiction de conduire. Au cours d’une session du 8 octobre 2013, trois conseillères municipales ont présenté une étude réalisée sur le sujet, qui concluait que l’interdiction n’avait aucun fondement dans la charia islamique ou dans la Constitution saoudienne. Leur requête que le Conseil débatte de la question fut rejetée.
L’establishment religieux saoudien est divisé sur la question de la conduite des femmes, et la position de la police religieuse en la matière n’est pas totalement claire. Selon des rapports récents, la police religieuse aurait annoncé qu’elle n’arrêterait pas les femmes surprises au volant. Pourtant, le 22 octobre 2013, quelque 200 agents de police, prédicateurs et cheikhs, se sont rassemblés devant les Bureaux de la cour du roi à Jeddah pour protester contre la campagne prévue pour le 26 octobre. Le roi Abdallah se trouvait ainsi partagé entre la demande populaire d’autoriser aux femmes de conduire et l’opposition de l’establishment religieux.
La campagne actuelle n’est pas la première du genre en Arabie Saoudite. En novembre 1990, 47 femmes saoudiennes ont été arrêtées pour avoir manifesté au volant de voitures contre la fatwa, et en 2008, la militante saoudienne des droits des femmes Wajeha Al-Huweidar reçut un avertissement après avoir mis en ligne une vidéo la révélant au volant d’une voiture dans le royaume. La plus grande campagne à ce jour a été lancée par l’activiste Manal Al-Sharif en juin 2011 ; elle a fait circuler une pétition qui a obtenu 3 500 signatures, avant de la soumettre au roi. Al-Sharif a également lancé une campagne sur Facebook et téléchargé des vidéos de YouTube, la montrant avec ses comparses au volant de voitures. Elles ont été arrêtées, et libérées seulement après avoir signé une déclaration sous serment promettant de ne pas récidiver.
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