Introduction
Seules deux sources d’accès libre évoquent la position officielle de l’Iran quant à une éventuelle fatwa du Guide suprême iranien Ali Khamenei au sujet des armes nucléaires:
1) Lorsqu’il a mentionné cette « fatwa » dans une interview, le président iranien Hassan Rohani faisait en fait référence à un sermon du vendredi de 2004 prononcé par Khamenei (voir Annexe:Iranian President Rohani’s May 2012 Reference To Khamenei’s Alleged Fatwa). Il explique qu’il avait lui-même initié la présentation de cette fatwa devant l’Union européenne ; elle devait garantir que l’Iran ne souhaitait pas se doter de l’arme nucléaire.
2) En mars 2012, un groupe iranien demandait au Guide suprême Khamenei d’émettre une fatwa sur les armes nucléaires. Khamenei leur a répondu.
Ci-dessous une analyse de ces deux sources, prouvant que l’affirmation du régime iranien quant à l’existence d’une telle fatwa est un mensonge.
Sermon du vendredi de Khamenei, 5 novembre 2004
Lorsque le président iranien Rohani mentionne une « fatwa », il se réfère au sermon du vendredi 5 novembre 2004 à Téhéran prononcé par Khamenei, et non à une véritable fatwa (voir Annexe). Chaque fois que les membres du régime iranien prétendent qu’ils se réfèrent à une fatwa de Khamenei, en réalité, ils citent des discours, sermons, déclarations ou communiqués envoyés par Khamenei à des destinataires non iraniens. Il n’y a jamais eu de véritable fatwa. Khamenei possède deux sites web (ici et là ), qui comportent tous deux une section spéciale consacrée aux fatwas. Les sermons, déclarations et communiqués n’y sont pas inclus.
En outre, une simple analyse du contenu du sermon de 2004 permet de déterminer si, dans son allusion aux armes nucléaires, Khamenei fait référence à une décision jurisprudentielle les interdisant.
Dans son sermon, Khamenei déclare au sujet des armes nucléaires: « Ils voient que la République islamique [iranienne] a su garder la tête haute face à toutes les pressions et, contrairement à leurs attentes – [pensant qu’elle] céderait face aux pressions – [elle] tient bon, le torse bombé, grâce à sa nation vivante, à toute sa jeunesse ignorant les menaces.
En conséquence, l’ennemi est tendu, et pour cette raison, il nous accuse de vouloir développer des armes nucléaires. Non, nous ne pensons pas aux armes nucléaires. Nous avons répété maintes fois que notre arme nucléaire est cette nation [iranienne]. Notre arme nucléaire est cette jeunesse. Nous ne voulons pas d’armes nucléaires. Un régime dont la jeunesse est croyante et la nation unie n’a pas besoin d’armes nucléaires.
Les armes nucléaires, leur production, stockage et utilisation – chacun de ces éléments est problématique. Nous avons également donné notre avis jurisprudentiel. Il est évident et chacun le connaît. Le débat ne tourne pas autour de cette [question]. Ils… ne font que répéter cela [que nous aspirons à l’arme nucléaire]…. Le fait que la République islamique ait accompli de tels progrès les rend aigris. Là est le problème. » [1]…
D’après les déclarations ci-dessus, il est clair que Khamenei ne considère pas la question des armes nucléaires comme un interdit jurisprudentiel, mais comme un « problème » (eshkali). Il convient également de noter que par définition, une fatwa consiste en un interdit ou une autorisation jurisprudentiels, non en la présentation d’un sujet « problématique ».
Précisons en outre que dans les registres en ligne des sermons de Khamenei, le régime fait la distinction entre ceux qui relèvent de la jurisprudence – les fatwas – et les déclarations politiques. Or ce sermon en particulier a été classé dans la section politique, non jurisprudentielle. Cette déclaration politique, qui ne comporte aucune interdiction, ne figure dans la section « fatwa » d’aucun des sites web de Khamenei.
Réponse de Khamenei à la réclamation, en 2012, d’une fatwa sur les armes nucléaires
En 2012, le groupe iranien Lumière de la liberté (Cheragh-e Azadi) demandait à Khamenei d’émettre une fatwa sur la question de l’interdiction des armes nucléaires, en vain. Si Khamenei avait émis une fatwa sur le sujet dans le passé, il eût été logique qu’il en fasse mention dans sa réponse au groupe.
Par ailleurs, Khamenei s’est également abstenu, à cette occasion, de mentionner une quelconque déclaration, un quelconque sermon ou communiqué sur le question – pourtant émis en d’autres occasions. Ainsi, il a évité toute confusion possible entre ses déclarations passées et une éventuelle fatwa (ne répondant pas à la demande d’une fatwa par la mention d’une déclaration).
Khamenei a donc répondu à Cheragh-e Azadi que leur requête ne relevait pas de la jurisprudence – signifiant que, faute de pertinence, il ne leur donnerait pas de réponse. Il a précisé qu’il apporterait une réponse le jour où la question relèverait de la jurisprudence. Sa conclusion jurisprudentielle fut: « Aucune réponse n’a été donnée. »
Ci-dessous une traduction de la demande de Cheragh-e Azadi et de la réponse de Khamenei (les caractères gras ont été ajoutés par MEMRI):
Question: Votre Excellence a annoncé l’interdiction d’utiliser des armes nucléaires ; attendu que les armes nucléaires sont nécessaires pour la dissuasion et que l’objectif de leur obtention est d’intimider les ennemis afin de les empêcher d’agir avec agressivité, et à la lumière de ce qui est écrit dans la sourate Al-Anfal, verset 60… est-il également interdit d’obtenir des armes nucléaires, suivant votre décret interdisant leur utilisation ?
Réponse: Votre lettre n’a aucun caractère jurisprudentiel. Lorsque elle aura une position jurisprudentielle, il sera possible d’y répondre.
« Résumé: Aucune réponse donnée. »[2]
Question à Khamenei sur l’interdiction des armes nucléaires.[3]
Autres explications à l’absence de fatwa de Khamenei sur les armes nucléaires
Certains observateurs occidentaux ont avancé divers arguments pour expliquer le fait que Khamenei n’ait pas émis de fatwa sur les armes nucléaires:
1) Une déclaration de Khamenei vaut une fatwa.
2) Une fatwa peut être émise oralement.
3) Selon des études portant sur les fatwas médiévales, une fatwa n’a pas de format fixe ; elle ne requiert pas toujours que quelqu’un pose une question, mais peut être initiée par le décisionnaire lui-même.
Comme nous l’avons précisé, Khamenei possède deux sites web qui comportent des sections consacrées à ses fatwas, où il publie ses décisions jurisprudentielles. Il s’agit ici de savoir comment Khamenei diffuse ce qu’il considère comme étant ses fatwas – non de s’intéresser à l’évolution des fatwas au fil des âges. C’est le site des fatwas de Khamenei qui définit la norme de ce qu’il considère comme étant ses fatwas. Or il ne s’y trouve pas de fatwa relative aux armes nucléaires.
Il est inconcevable que Khamenei adopte un format fixe de fatwas pour tous les sujets, à la seule exception des armes nucléaires, qui est d’une telle importance au niveau international. Rien ne l’empêche, aujourd’hui encore, de rédiger une brève décision jurisprudentielle sur le sujet et de la publier sur l’un de ses sites – en sus de ses déclarations politiques.
Par ailleurs, si Khamenei voulait vraiment faire comprendre qu’il donne à ses déclarations politiques sur les armes nucléaires valeur de fatwa, il lui suffirait de les incorporer à la section « fatwa » de ses sites. Or ses déclarations politiques sont classées dans d’autres rubriques, et les fatwas qu’il a effectivement émises ne comprennent aucune allusion aux armes nucléaires (voir Dépêche spéciale de MEMRI n°5406, Release Of Compilation Of Newest Fatwas By Iranian Supreme Leader Khamenei – Without Alleged Fatwa About Nuclear Bomb, le 13 août 2013).
Dire que les déclarations orales de Khamenei ont valeur de fatwa va à l’encontre du concept de fatwa jurisprudentielle. Si chaque déclaration, discours ou sermon de Khamenei faisait acte de fatwa, alors la critique qu’il a faite en 2012 du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, pour avoir remis toutes ses installations nucléaires secrètes aux Etats-Unis en échange de faveurs occidentales, devrait elle aussi être considérée comme fatwa. Or cette déclaration de Khamenei est intervenue après ses positions sur la question des armes nucléaires, les rendant ainsi nulles et non avenues. Khamenei avait déclaré dans ses vœux de Nouvel an persan, le 20 mars 2011 (Mashhad 1390): « Ce monsieur [Kadhafi] a enveloppé tous ses équipements nucléaires, les a chargés sur un bateau, livrés à l’Occident, et leu a dit: ‘Prenez-les !’ Voyez dans quelle situation se trouve notre nation, et dans quelle situation ils [les Libyens] se trouvent [à présent] ». [4]
* Y. Carmon est président du MEMRI, A. Savyon est directrice du Projet des médias iraniens au MEMRI.
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