Ci-dessous des extraits d’un entretien avec le philosophe égyptien Murad Wahba, diffusé sur le Nile Life TV le 8 novembre 2010:
Murad Wahba: La laïcité représente une façon de penser.
Interviewer: À votre avis, cette façon de penser est la seule façon de sortir de notre crise de manque de rationalité ?
« Il existe des institutions d’État dont le seul but est de supprimer la critique rationnelle »: les institutions éducatives, sous l’égide du ministère de l’éducation
Murad Wahba: Quand il n’y a pas de laïcité, il n’y a pas de rationalité. Pourquoi ? Comment parvient-on à un manque de rationalité ? En supprimant la critique rationnelle. Il existe des institutions d’État dont le seul but est d’éliminer la critique rationnelle. Lorsque cela se produit, les gens se résignent face à ces institutions.
Interviewer: Et les principales institutions concernées sont les institutions éducatives
Murad Wahba: C’est exact. D’après mon expérience auprès de deux ministres [de l’éducation], je peux dire qu’il s’agit d’un ministère fondamentaliste.
Interviewer: fondamentaliste ?
Murad Wahba: Oui. Et après avoir enseigné à l’université, je peux vous dire que l’université est également fondamentaliste.
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Interviewer: Comme vous savez, les Egyptiens sont religieux par nature. Ils appartiennent soit à une mosquée, soit à une église. La question religieuse est au centre de nos vies.
Qualifier une personne de « religieuse par nature », c’est lui refuser toute possibilité de changement.
Murad Wahba: Qu’est-ce que cela signifie, être « religieux par nature » ? Y a t-il des gens qui soient athées [par nature] ? Qu’est-ce que cela signifie de dire que les gens sont « religieux par nature » ? Vous pouvez dire qu’une personne est religieuse, mais c’est tout. En disant que cela fait partie de sa nature, vous excluez toute possibilité de changement. C’est comme de dire que c’est une seconde nature, qu’elle est née avec. Il ne peut en être ainsi. Cela ne laisse aucune place au progrès. Vous n’avez pas besoin de… Certains termes sont nuisibles. Par exemple, on parle de « guerre civile communautaire », mais c’est une appellation erronée: ce sont deux idéologies fondamentalistes qui s’affrontent.
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Si on donne aux [intégristes] une vraie chance, sans les réprimer, ils prendront les rennes du régime, et ils le feront au moyen des élections.
Interviewer: Par les urnes ?
Le changement commence avec les intellectuels, non avec les élections: en Turquie,de jeunes intellectuels ont établi une idéologie laïque, développée ensuite par Atatürk
Murad Wahba: Oui, exactement comme à Gaza. Tout intellectuel qui veut le changement doit comprendre par quel mécanisme il intervient.
Interviewer: Quel sera le résultat ? Y voyez-vous un danger ? Ou peut-être que ce sera avantageux, comme dans le cas de la Turquie, par exemple ? Je me fais l’avocat du diable: je me sers de la critique rationnelle.
Murad Wahba: Oui. Vu que nous évoquons l’exemple de la Turquie, permettez-moi de demander: Qu’ont fait les intellectuels turcs ? Ils ont établi la Turquie Al-Fatat, composé de jeunes intellectuels. Ils ont établi une idéologie laïque, et en ont endossé la responsabilité. Arrive alors Kemal Atatürk, qui a développé cette idéologie. Son problème est d’avoir trop mis l’accent sur l’armée. Il aurait été mieux de se focaliser sur les intellectuels. Lorsque vous vous concentrez sur l’armée, c’est dangereux, parce que la laïcité est une façon de penser, pas un régime politique.
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