Le 15 décembre 2006, le Premier ministre libanais Fouad Siniora a rencontré le président russe Vladimir Poutine. Le quotidien libanais Al-Moustaqbal, proche du gouvernement et des Forces anti-syriennes du 14 mars, a affirmé que les deux hommes s’étaient montrés favorables à la position du gouvernement libanais. Selon le quotidien, le président Poutine a paru déterminé à faire tous les efforts possibles pour défendre l’indépendance, la souveraineté et la liberté du Liban – Moscou cherchant à effectuer une percée au Moyen-Orient, non uniquement par la porte syrienne. Al-Moustaqbal ajoute que le président Poutine va demander à son homologue syrien Bashar el-Assad d’apporter son soutien à la stabilité du Liban et de donner son accord à l’établissement d’une Cour internationale devant délibérer de l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafik Hariri.
Dans son éditorial du 18 décembre 2006, Al-Moustaqbal affirme que les honneurs accordés au Premier ministre Siniora durant sa visite, ainsi que le moment choisi pour la visite, sont autant de messages adressés à Damas et Téhéran. Il ajoute que Moscou se rend compte qu’Assad cherche à échapper à l’établissement d’un tribunal international par une escalade des tensions au Liban – avec la bénédiction de l’Iran. Le journal a également indiqué que le Kremlin était déterminé à soutenir la mise en place d’un tribunal international et à défendre la souveraineté, la liberté et l’indépendance du Liban.
Un compte rendu totalement contradictoire de la réunion a été publié le 18 décembre 2006 dans le quotidien libanais pro-syrien et proche du Hezbollah Al-Akhbar. Selon ce dernier, le président Poutine aurait conseillé au Premier ministre Siniora de ne pas provoquer l’opposition libanaise en donnant son accord à la création d’un tribunal international dans sa version actuelle. Le journal a en outre indiqué que Poutine aurait expliqué à Siniora que l’adoption d’une résolution stipulant la création d’un tribunal international sous l’égide du Conseil de sécurité des Nations unies, en référence au chapitre 7 de la charte de l’organisation, serait « la sonnerie d’alarme [de l’annonce] d’une guerre civile au Liban ».
Par ailleurs, selon Al-Akhbar, le président Poutine aurait signifié au Premier ministre Siniora que l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafik Hariri « n’est pas le premier assassinat politique dans le monde. » Extraits de l’éditorial d’Al-Akhbar:
L’opposition libanaise dans une lettre à Poutine avant la réunion: Siniora n’est pas le Premier ministre libanais
« Alors que le Premier ministre Fouad Siniora se rendait à Moscou dans la nuit du vendredi 15 décembre 2006, le chargé d’affaires de l’ambassade russe à Beyrouth recevait une délégation de l’opposition libanaise, qui lui a présenté un mémorandum adressé au président russe Vladimir Poutine et au gouvernement russe affirmant que ‘Siniora n’est plus le Premier ministre libanais, mais la tête d’un gouvernement qui a perdu toute crédibilité et toute légitimité constitutionnelle, qui ne représente que le point de vue des Forces [anti-syriennes] du 14 mars’. Le mémorandum demande donc à Poutine et à son cabinet de traiter le gouvernement libanais en fonction.
Au moment où Siniora est arrivé dans la capitale russe, le [responsable] du protocole de la délégation libanaise a contacté le département du protocole… au Kremlin, afin de s’informer sur les horaires exactes de la réunion entre Poutine et Siniora. On leur a dit que l’entrevue aurait lieu avant midi du jour suivant, à savoir le samedi 16 décembre 2006. Samedi matin, à 9h, des assistants de Siniora ont de nouveau contacté le département du protocole… du Kremlin pour savoir l’heure de la réunion avec Poutine, et on leur a répondu que celle-ci aurait lieu à 16h… »
Le président Poutine lors de la réunion: « La Cour internationale pourrait constituer un précédent pour d’autres régions comme la Tchétchénie »
« Au Kremlin, Poutine a commencé [la réunion] en sortant le mémorandum [de l’opposition libanaise]. En réaction, Siniora lui a demandé de convaincre la Syrie de mettre fin à son ‘ingérence’ au Liban et de soutenir la mise en place d’un tribunal international devant délibérer de l’assassinat de [l’ancien] Premier ministre [libanais] Rafik Hariri, conformément à la décision de son gouvernement.
Le président russe lui a conseillé de régler la crise libano-syrienne de façon bilatérale, sans compter sur les forces extérieures, dans l’intérêt du Liban, et a fait part de sa volonté de jouer un rôle actif en ce sens. Le président russe a également appelé son invité libanais à ne pas provoquer l’opposition en approuvant la constitution d’un tribunal [international], indiquant que du point de vue de la Russie, ce tribunal n’aurait pas pour objectif de connaître les assassins du Premier ministre Rafik Hariri mais serait [simplement] un instrument américain visant à exercer des pressions sur la Syrie et ses alliés. [Poutine a également expliqué] que l’appel de la Russie à modifier la charte du tribunal n’est pas censé empêcher l’approbation de la création du tribunal, mais plutôt la faciliter – car si la charte reste dans sa version actuelle, [le tribunal] ne parviendra pas au résultat escompté. [Au contraire,] il prendra une direction peu souhaitable aux yeux de la Russie, car il pourrait représenter un antécédent pour d’autres régions comme la Tchétchénie. »
La réunion n’a pas été à la hauteur des espoirs de Siniora
« Selon une source bien connue, la visite ‘n’a pas été à la hauteur des espoirs de Siniora’, ‘et il a par conséquent décidé de rentrer [à Beyrouth] plus tôt que prévu, sans faire d’escale à Paris…
A la lumière de cette [visite insatisfaisante], la majorité libanaise a décidé de patienter jusqu’à la fin des congés – jusqu’à ce que la nouvelle stratégie de l’administration américaine se dessine, sur la base des recommandations de la Commission Baker-Hamilton… – ou jusqu’à la publication des résultats des élections municipales et de l’élection de l’Assemblée des experts en Iran, [résultats] qui détermineront la direction politique [de l’Iran] lors de la prochaine étape… »
Une Cour international sous le chapitre 7 est un « signal d’alarme annonçant une guerre civile au Liban »
« [Les Russes] espéraient que la visite de Siniora, suivie de celle du président Assad, mènerait à un accord, sous l’égide de la Russie, sur la constitution d’un tribunal avec un minimum [d’autorité], acceptable aux yeux des institutions libanaises. Toutefois… l’insistance des Etats-Unis et de la France au sujet du tribunal a amené les Russes à dire à Siniora que l’assassinat d’Hariri n’était pas le premier assassinat politique dans le monde, et que [la résolution du] conflit dans le monde en général, et dans la région en particulier, ne dépendait pas de la découverte de la prétendue vérité sur cet assassinat. Il y a d’autres éléments dans la région [qui influent sur] le conflit. Certains préexistaient au conflit et d’autres se sont révélés au fur et à mesure des événements. Par conséquent, Moscou a informé Siniora qu’elle ne pourrait pas baser sa propre position sur l’idée que le conflit [entier] s’articule autour de ce crime. Au lieu de cela, il est nécessaire de prendre en considération les intérêts arabes, régionaux et internationaux.
Après avoir pris connaissance de la position russe, et après ses entretiens au Kremlin, Siniora n’a eu aucun problème à affirmer que Moscou ‘veut que justice soit faite au Liban, et soutient la position de la majorité [libanaise] sur ce point.' »
Dans un autre compte-rendu publié le même jour, Al-Akhbar apporte la citation suivante, attribuée à « des sources bien informées »: « La direction russe a prévenu Siniora qu’accepter la création d’une Cour internationale sous le chapitre 7 ne garantit pas les résultats [désirés], et est pratiquement un signal d’alarme [annonçant] une guerre civile au Liban. »