La visite officielle du Pape Benoît XVI en Turquie, répondant à l’invitation du Président turc Ahmet Necdet Sezer, a provoqué une grande polémique dans le pays, suscitant l’attention des médias du monde entier.
Alors que les Turcs laïcs soulignaient l’importance de la visite du souverain pontife comme occasion pour la Turquie de manifester son hospitalité et son caractère occidental, laïc et moderne, les courants islamistes et ultra-nationalistes du pays ont protesté contre la venue du Pape.
Ci-dessous des extraits de la presse turque relatifs à la visite du Pape:
« Et si le Pape… venait en Turquie exprès pour se faire assassiner ? »
Ainsi, le chroniqueur Taha Kivanc du quotidien turc islamiste Yeni Safak, porte-parole non-officiel du gouvernement actuel, écrit [1] “[…] la femme palestinienne qui a voulu anéantir des cibles israéliennes [dans une opération martyre] et le Pape qui vient pour une visite mettant sa vie en danger, sont dans des situations diamétralement opposées – d’un côté il s’agit d’un assassin potentiel, de l’autre d’une victime potentielle. [Mon ami se demandait] ‘si le Pape veut aussi se sacrifier pour une cause qu’il considère comme sacrée, et s’il vient exprès en Turquie pour se faire assassiner’.
“J’ai été effrayé par cette éventualité. Le plus inquiétant dans la visite du Pape en Turquie est son infâme discours [donné en Allemagne en septembre 2006], peu de temps après que sa visite en Turquie eut été programmée. Il s’agit du discours sur l’Islam qui a irrité les musulmans du monde entier… Dans ce discours, il a cité un dialogue qui a eu lieu au treizième siècle en Turquie, entre l’empereur byzantin et un musulman persan.
“[…] ‘Pouvez-vous imaginer ce qui se produirait si le Pape était assassiné en Turquie ?’
“[…] Cela aurait des conséquences plus néfastes pour l’avenir que n’importe quel film apocalyptique jamais réalisé. […] Le Premier ministre Erdogan, le ministre des Affaires étrangères Gül et le maire d’Istanbul Kadir Topbas seraient tous accusés d’avoir quitté le pays pour ne pas recevoir l’invité. Les images des manifestations d’hier […], [la condamnation des hommes politiques turcs] des remarques infâmes du Pape, et toutes les critiques [du Pape] dans la presse [turque] seraient relayées des centaines, voire des milliers de fois. Un vrai cauchemar… ”
“La visite du Pape est une croisade… Une atrocité “
Le chroniqueur Orhan Karatas du quotidien turc Ortadogu, affilié au Parti du Mouvement nationaliste (MHP), écrit: [2] “Tout le monde sait déjà pourquoi le Pape vient en Turquie demain. La visite qui débute demain est une croisade, au sens fort du terme. Il est stupide de rechercher un iota de bonne volonté dans cette visite […] ; le Pape ne vient pas en Turquie parce que c’est un pays musulman […], même si c’est ce que lui et ses représentants prétendent. Le Pape vient en Turquie pour re-sanctifier Istanbul et pour promouvoir un monde chrétien englobant l’orthodoxie [Eglises d’Orient]. Les dates de sa visite, les lieux choisis, les prières prévues, les déclarations futures, [et] son attitude arrogante et humiliante envers le gouvernement de l’AKP indiquent clairement quelles sont ses intentions réelles.
“La visite du Pape est une atrocité, non seulement pour la Turquie mais pour tous les musulmans. […] Cette visite vise à renforcer la position du Pape et à constituer une alliance contre l’ensemble des musulmans.”
Necmettin Erbakan, le père de l’islam politique turc porté par le [parti] AKP émergeant disait: “Toute l’humanité, y compris le Pape, doit tout à l’Islam”
Le quotidien turc islamiste Milli Gazete rapporte que l’ancien Premier ministre turc Necmettin Erbakan avait déclaré dans une allocution vidéo: [3] “Vous, mes frères dans la foi, représentez aujourd’hui non seulement Istanbul, et non seulement les 75 millions de Turcs, mais l’ensemble du monde musulman avec ses 1.6 milliard d’âmes […]. Vous protestez ici contre la venue du Pape […] parce que cette personne, qui est censée être le chef des catholiques, a durant toute sa vie été un adversaire de la vraie religion de Dieu, l’islam – la seule voie pour le bonheur de l’humanité.
“Toute l’humanité, y compris le Pape, doit tout à l’Islam et à notre prophète. L’Islam a beaucoup apporté à l’humanité en matière de propreté, de connaissance, de travail de Dieu et toutes les sources du bonheur. Cet homme qu’on appelle ‘le Pape’ sait être propre, tout ce qu’il sait sur les nombres – y compris son aptitude à additionner et à soustraire – il le doit aux musulmans, qui ont créé la science et l’ont apportée au monde. […]
“Nous demandons également au Pape de ne pas venir car nous connaissons les raisons de sa venue… Il vient défier les Turcs en rendant visite au patriarche orthodoxe [des chrétiens de ce pays], pour le renforcer et appuyer ses réclamations en faveur des statuts oecuméniques, et pour ressusciter Byzance. Il vient en tant que représentant religieux du projet du Grand Moyen-Orient… Cela fait partie des plans qui visent à diviser notre pays et la nation en bouchées faciles à avaler. C’est pourquoi nous parlons aujourd’hui au nom du monde musulman tout entier […].'”
Les médias turcs de tendance laïque: “Le Pape aurait-il une maladie infectieuse ?”
Dans un article intitulé “Le Pape aurait-il une maladie infectieuse ?”, [4] le chroniqueur Mehmet Y. Yilmaz de Hurriyet s’interroge: [5] “En observant la Turquie à la veille de la visite du Pape Benoît XVI, je ne peux m’empêcher de me demander ‘si le Pape a une maladie infectieuse.’ Depuis les attentats du 11 septembre en Amérique, tous les membres du gouvernement de l’AKP, à commencer par le Premier ministre Erdogan, ont fait figure d’hommes du ‘dialogue entre civilisations.’ […] Mais maintenant, au moment où le Pape doit arriver, le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères se sauvent en Lituanie [et en Finlande]. Mehmet Aydin, le ministre d’Etat responsable du ministère des affaires religieuses, s’est quant à lui sauvé en Allemagne. On ne sait exactement quels membres du gouvernement le Pape rencontrera… Il semble qu’ils [les membres du gouvernement] évitent tous le Pape Benoît XVI.”
Le rédacteur en chef du quotidien Hurriyet, Ertugrul Ozkok, écrit: [6] “La Turquie se vide au moment où le Pape arrive. La visite que le monde chrétien attend est sur le point de commencer. Mais le Premier ministre turc quitte le pays pour le sommet de l’OTAN. Le ministre Mehmet Aydin va en Allemagne. Le maire d’Istanbul sera à l’étranger. Bref, le gouvernement de l’AKP […] se sauve […]. La Milli Gazete d’hier, qui est une publication du parti Saadet [PS], avec pour titre: Les préparatifs de la manifestation sont en cours. Le PS organise une marche intitulée: ‘Le Pape rusé et ignorant ne doit pas venir’ […]
“[…] Comment le Premier ministre Erdogan a-t-il pu manquer une telle occasion, après s’être entretenu la semaine dernière avec le Premier ministre espagnol Zapatero à Istanbul et après avoir défendu le dialogue inter-religieux au cours de la réunion sur [le projet de] l’Alliance des civilisations ? […]”
[1] Yeni Safak (Turquie), 27 novembre 2006.
[2] Ortadogu (Turquie), 27 novembre 2006.
[3] Milli Gazete (Turquie), 27 novembre 2006. Ce quotidien est l’embouchure officielle du mouvement islamiste Milli Gorus, fondé par l’ancien Premier ministre Necmettin Erbakan, dont la tendance est actuellement représentée par le parti Saadet.
[4] Hurriyet (Turquie), 22 novembre 2006.
[5] Hurriyet (Turquie), 22 novembre 2006.
[6] Hurriyet (Turquie), 22 novembre 2006.