Le discours prononcé le 5 mars 2005 par Bashar Al-Assad aux termes duquel la Syrie redéploiera ses troupes dans la région de la Bekaa «conformément aux accords de Taef, qui sont en accord avec la résolution 1559 du Conseil de Sécurité», 1 a reçu le soutien des médias gouvernementaux syriens. Des hauts responsables et des chroniqueurs ont soutenu que le discours d’Al-Assad constituait un prolongement des politiques syriennes passées, signalant qu’un retrait du Liban avait d’ores-et-déjà été entamé en 1999. A leur sens, le but de la résolution 1559 n’était pas de conduire au retrait syrien du Liban mais davantage de faciliter la mise en œuvre des projets occidentaux d’imposer un ordre nouveau dans la région.
Néanmoins, des figures de l’opposition et des militants des droits de l’homme syriens ont souligné que la question essentielle pour la Syrie est celle de la mise en œuvre de réformes intérieures et de la démocratisation et non le retrait du Liban qui aurait du avoir lieu il y a longtemps déjà.
Pour sa part, le mouvement des Frères Musulmans en Syrie a analysé les déclarations du président syrien comme une capitulation devant les pressions étrangères.
Des hauts responsables et la presse gouvernementale: L’exigence d’un retrait des troupes syriennes est seulement une apparence
Le ministre syrien des expatriés, Buthayna Sha’ban, a déclaré au quotidien émirati Al-Khaleej que la décision relative au retrait syrien du Liban et le discours de Bashar Al-Assad sont le début d’un assouplissement des relations dans la région… La Syrie, dans le passé, dans le présent et dans le futur a toujours été, est et sera toujours tournée vers l’apaisement des tensions dans la région et l’instauration de la paix et de la stabilité dans la région et la Syrie tente d’agir de concert avec les forces de paix et de stabilité dans la région afin de réduire les tensions, dans la mesure ou les tensions, la violence et les guerres affectent négativement la vie, le développement et l’avenir de nos enfants dans cette région.»
Répondant à la question si le but de la résolution 1559 du Conseil de Sécurité de L’ONU est le retrait syrien du Liban, Sha’ban répondit: «Un retrait syrien du Liban n’est évidemment pas l’objectif de la résolution 1559, étant donné que la Syrie avait commencé en 1999 à redéployer ses troupes et nous avons retiré plus que 25 000 soldats sans que le monde ne dise rien à propos de la question des forces syriennes. [Mais] à présent que nous avons annoncé un retrait complet, ils disent que ce n’est pas suffisant …
Quiconque a lu ce que les nouveaux Républicains [vraisemblablement une référence aux néoconservateurs] écrivent depuis le milieu des années 90, sait qu’il y a un plan pour remodeler la région, à savoir, de diviser les pays arabes en tribus, peuples, sectes et races. Ceci est le véritable danger représenté par les projets venant de l’étranger… en conséquence quoique fasse la Syrie ils diront que c’est insuffisant, vu qu’ils souhaitent inventer des raisons et des justifications pour agir en fonction de leur programme et détruire l’avenir de la région. [Pour ma part] je pense que la cible principale qu’ils veulent atteindre est l’Arabisme.» 2
Des sentiments similaires furent exprimés par Izz al-Din al-Darwish dans un éditorial publié dans le quotidien syrien officiel Teshrine: «Comme le Président Bashar al-Assad l’avait prédit samedi dernier dans son discours, l’assaut sur le retrait syrien du Liban se poursuit … le scepticisme et l’assaut ne laissent aucune place au doute: le Liban et la Syrie sont confrontés à une nouvelle phase du programme [dont le but est] d’imposer Israël comme la puissance hégémonique dans la région conformément au projet de grand Moyen-Orient…
Leur objectif n’est pas la liberté et la démocratie au Liban; les Libanais ne manquent de rien à ce niveau là. Leur objectif n’est pas non plus la présence militaire syrienne au Liban, puisque cette présence est dans les faits liée aux souhaits libanais et aux accords de Taef et ceci peut être abordé directement entre les deux pays, ce qui est le cas dans les faits. Leur objectif principal est de nuire aux relations syro-libanaises [et de satisfaire] les aspirations d’Israël et non les aspirations des Libanais et des Syriens. Israël souhaite un vrai désastre aujourd’hui et dans l’avenir…
La Syrie remplira ses obligations comprises dans les accords de Taef et dans la résolution 1559 … mais le problème cessera-t-il pour autant, et ces éléments étrangers prétendant appeler à la liberté du Liban cesseront-ils de formuler des demandes supplémentaires? Cette cacophonie stridente va-t-elle cesser? Naturellement non. La question va bien plus loin que cela et ce qui se passe aujourd’hui n’est que le commencement.» 3
Muhammad Kheir al-Jamali, chroniqueur pour le quotidien syrien Al-Thawra, a soutenu dans son article qu’Al-Assad avait agi avec sagesse en réagissant favorablement à la résolution 1559 et qu’en adoptant cette attitude il avait déjoué la tentative de provoquer une querelle entre la Syrie et l’ONU. Selon al-Jamali, le discours d’al-Assad a dévoilé«un assaut de falsifications et de pressions au moyen desquelles ils souhaitaient dépeindre la Syrie comme s’opposant à retirer ses forces du Liban et refusant de réagir positivement à la résolution 1559 …
Mais le Président al-Assad avec sa fameuse sagacité, sa sagesse bien fondée et sa capacité à voir en profondeur les problèmes cachés a pris par surprise les forces postées en embuscade contre la Syrie et Liban et ceux qui, de l’intérieur, se nourrissent de leur présence, en expliquant tout au long de ses entretiens avec Terje Roed-Larsen, l’envoyé de l’ONU, avec ses compatriotes arabes et des hauts responsables en visite en Syrie qu’il avait souligné que la Syrie avait réagi positivement à la résolution 1559en dépit de nos réserves à son égard. [De même, il a souligné] que le problème réside dans l’article [traitant] de la résistance [le désarmement du Hezbollah] et dans l’article secret [relatif à la] naturalisation [des réfugiés palestiniens au Liban] …
Cette vérité révèle sans doute plus que tout autre pourquoi des pressions croissantes sont exercées sur la Syrie et pourquoi le Liban a été choisi tardivement pour être l’épicentre d’une escalade de ces pressions au moyen de ce terrible crime que fut le meurtre d’Al-Hariri… [Etant donné] que la seule partie à tirer profit de ce crime et dont les objectifs font d’elle le seul suspect d’avoir perpétré ce crime est Israël.
Il eut été logique, au vu de l’intensification de l’assaut de falsification et de pressions porté contre la Syrie, que celle-ci adopte une position la mettant en conflit avec l’ONU et elle aurait été dès lors accusée de se rebeller contre la légitimité internationale, ceci leur permettant de tirer profit de ces accusations contre elle afin d’exercer davantage de pressions et d’enrôler le monde contre elle. Mais la décision du Président al-Assad de réagir positivement à la résolution 1559 et d’annoncer un programme pour la mise en œuvre complète du retrait des troupes syriennes du Liban a complètement modifié les estimations de ceux qui avaient parié sur la position [attendue de la Syrie] …» 4
Les Frères musulmans en Syrie: Le discours de Bashar est une capitulation devant les pressions étrangères
Akhbar Al-Sharq, un site Internet de l’opposition syrienne, a publié une déclaration du mouvement des Frères Musulmans en Syrie dans lequel il exprime sa déception causée par «la capitulation [de Bashar Al-Assad] devant les pressions et menaces étrangères, par son éloignement des revendications urgentes et légitimes du peuple et pour avoir ignoré le besoin de réformes intérieures, d’unité nationale et de renforcement du front intérieur.»
De même, le mouvement a appelé à réunir «une conférence nationale générale, dès que possible, à laquelle toutes les composantes du peuple syrien participeront … en vue de mettre sur pied un plan d’action sérieux et efficace destiné à sortir la patrie de la crise profonde dans laquelle elle se trouve du fait de la politique tyrannique du régime consistant à diviser pour mieux régner.» 5
Des militants de l’opposition et des droits de l’homme: Le discours d’al-Assad n’est pas suffisant; des réformes intérieures sont nécessaires.
Des militants de l’opposition et des droits de l’hommeont déclaré que le problème majeur n’est pas tant le retrait du Syrien du Liban, qui selon eux doit effectivement avoir lieu, mais davantage le besoin de reformes intérieures et le développement de la démocratie en Syrie.
Akram Al-Buni, un leader de l’opposition et signataire de la pétition des intellectuels exhortant al-Assad à retirer les troupes syriennes du Liban 6, remarquait que «la décision de retirer les troupes syriennes du Liban est une chose positive mais le problème majeur ne réside pas dans la procédure d’action suivie – à savoir le retrait – mais davantage dans l’amorce d’un changement de la mentalité dépassée qui guide la conduite de la politique syrienne au Liban. Cela signifie de se tourner vers [les affaires] intérieures et de construire une vie démocratique remplaçant cette mentalité dépassée…
Il n’y a aucun signe d’amélioration de la situation sur le plan intérieur; nous attendons toujours que les promesses soient remplies. Il existe parmi les intellectuels syriens [un sentiment] largement partagé de méfiance quant aux promesses du gouvernement relatives [aux affaires] domestiques. Ce gouvernement n’a pas été capable à ce jour d’établir un programme cohérent de transition vers des principes démocratiques qui fonctionnent. Nous entendons des promesses orales mais les actions sur le terrain vont dans une direction opposée.» 7
Haytham al-Malih, le Président de l’Association Syrienne des Droits de l’Homme, a déclaré: «Il n’y a rien de nouveau dans le discours du Président al-Assad. Le retrait du Liban aurait du avoir lieu il y a des années de cela. La Syrie est entrée au Liban pour faire cesser le bain de sang causé par la guerre civile. Cette guerre a pris fin depuis des années et la Syrie aurait du depuis en partir… Al-Assad ne s’est jamais préoccupé de la situation interne qui se détériore jour après jour jusqu’à atteindre un niveau de crise. En dépit des demandes internationales et arabes [d’emprunter] une voie démocratique et d’octroyer des libertés, la Syrie en est encore très éloignée. Hier, un tribunal de sécurité de l’Etat a condamné deux étudiants à de nombreuses années d’emprisonnement tout en refusant de leur accorder leurs droits civiques. Où sont la sécurité et la stabilité intérieures en Syrie?» 8
Des sentiments similaires ont été exprimés dans une tribune adressée au Président al-Assad par le chroniqueur As’ad ‘Abboud dans le quotidien gouvernemental syrien Al-Thawra: «En effet, monsieur, nous avions besoin de votre discours d’hier. En outre, nous l’avons reçu avec du retard, comme une pluie drue sur une terre assoiffée. Si ce qui a retardé votre discours est votre attention à lire les questions de la population et à prendre le pouls de la rue syrienne, alors sachez, monsieur, que vous avez répondu [à ces] questions et avez stabilisé le pouls. Néanmoins, je veux vous dire en toute honnêteté toute la vérité: nous avons besoin de plus…
Comme vous l’avez fait remarquer, monsieur, tous les évènements qui se sont déroulés – l’échec du processus de paix, la guerre contre l’Irak, les tensions au Liban et les pressions intenses et hostiles qui ont été imposées sur ce pays tolérant [la Syrie] qui reste ferme –, tous ces évènements ont affecté notre situation intérieure, notre développement et l’implémentation du processus de réforme et nous n’avons pas tout le temps devant nous. L’ordre du jour est à l’accélération des actions de réforme dans tous leurs différents aspects. Ceci requiert un progrès résolu dans ce que nous appelons «la réforme» sur le plan intérieur que vous, votre excellence, avez décrit comme étant en tête de vos priorités.
L’impression générale partagée par la rue syrienne est qu’il serait sage de retirer tous les obstacles empêchant de nous confronter pleinement à la situation intérieure. Vous l’avez abordée, fait des promesses la concernant et vous avez fixé une date pour cela lors de la conférence nationale du parti [Baas]. Cependant, il y a encore de nombreuses décisions à prendre et beaucoup de travail à faire et ce, rapidement…» 9
1 Le texte complet du discours de Bashar al-Assad devant le Parlement syrien a été publié le 6 mars 2005 par l’Agence d’informations syrienne – Syrian News Service, SANA.
2 Al-Khaleej (EAU), 7 mars 2005.
3 Teshrine (Syrie), 9 mars 2005.
4 Al-Thawra (Syrie), 7 mars 2005.
5 http://www.thisissyria.net, 9 mars 2005.
6 Pour lire la pétition adressée par des intellectuels syriens à Bashar al-Assad, voir MEMRI, dépêche spéciale No.871.
7 Sham Press (Syrie), 7 mars 2005. Pour lire la pétition adressée par des intellectuels syriens à Bashar al-Assad, voir MEMRI, dépêche spéciale No.871.
8 Sham Press (Syrie), 7 mars 2005.
9 Al-Thawra (Syrie), 7 mars 2005.