Dans deux entretiens parus dans la presse arabe et un article publié dans le quotidien londonien de langue arabe Al-Hayat, le Docteur Nawal al-Sadawi, militante féministe et écrivaine égyptienne de grande renommée, donne son opinion sur des questions relatives aux femmes. Elle défend la possibilité pour des femmes de commettre des attentats suicide et de devenir chef d’Etat. Elle manifeste également des positions anti-américaines et anti-israéliennes, allant jusqu’à appeler tous les Egyptiens à prendre part à la lutte politique et militaire contre les Etats-Unis et Israël.
Le Docteur Al-Sadawi dans Kol Al-Arab: «Devons-nous critiquer une femme qui se ceint d’explosifs et se fait sauter?»
Le docteur Nawal Al-Sadawi a accordé une interview à l’hebdomadaire israélien de langue arabe Kol Al Arab. En voici des extraits: [1]
Question: «Soutenez-vous les opérations suicides palestiniennes?»
Al-Sadawi: «Israël et l’Occident qualifient les opérations de la résistance de ‘terrorisme’. La résistance irakienne est à présent devenue du «terrorisme» et la résistance palestinienne également. Devons-nous jeter l’anathème sur ceux qui ont combattu à mains nues et [en] sont morts? Devons-nous critiquer une femme qui se ceint d’explosifs, se fait sauter et vient à mourir? Devons-nous la conspuer pour s’être fait exploser après avoir vu son père et ses frères assassinés? Si j’étais à sa place, je me chargerais de dynamite et je me ferais sauter… Comment pourrais-je blâmer la victime? Certains demandent pourquoi les martyrs ne se font pas exploser dans des bases militaires [plutôt que de prendre pour cibles des civils]. [Mais] nombre d’entre eux se sont fait sauter à des postes de contrôle et ont fait tout leur possible pour accomplir un acte louable. Je ne critique pas la victime, je critique le véritable criminel…»
«Nous devons changer la mentalité égyptienne et arabe»
Question: «Tout d’abord, Docteur Nawal, il n’y a aucun doute sur le fait que votre candidature est porteuse d’un message. Quel est le message que vous voulez faire passer?»
Al-Sadawi: «Ma candidatureà la fonction de Président égyptien a pour but de transmettre un message idéologique et politique: à savoir que nous devons commencer à changer les mentalités arabes et égyptiennes, à encourager l’esprit critique, à fonder nos valeurs éducatives sur le débat, le dialogue et l’esprit critique, et non sur l’obéissance et l’assujettissement… En outre, nous devons modifier le fondement philosophique du régime afin que celui-ci cesse d’être un régime centralisé autour d’une seule personne pour se baser sur un gouvernement composé de plusieurs personnes… Je veux abroger la loi relative à l’immunité et faire en sorte que plus une personne ait de pouvoir, plus elle ait de comptes à rendre, et non l’inverse. Je veux amender la loi afin de séparer l’Etat et la religion dans toutes les régulations, y compris celles relatives à l’état civil et accompagner ces mesures d’une économie de marché et d’une guerre contre l’impérialisme américano-israélo-européen…»
Question: «Quelqu’un désirant présenter sa candidature à la présidence de la République a besoin de la signature des deux tiers des députés, mais vous demandez que la constitution soit révisée pour permettre au président d’être élu directement par le peuple.»
Al-Sadawi: «La perpétuation de la situation actuelle garantit que n’importe quel candidat aux élections présidentielles est sûr de perdre. Tout le monde le sait. Le parti au pouvoir détient 90% des mandats au parlement et par conséquent aucun des candidats ne parviendra à l’emporter, à moins que la constitution ne soit révisée. Nous nous battons pour faire réviser la constitution et encourager les pressions populaires en ce sens,afin que le peuple puisse élire le président directement et non pas par l’intermédiaire du parlement.»
Question: «Prévoyez-vous une augmentation du nombre de manifestations populaires pour le changement avant les élections de septembre 2005?»
Al-Sadawi: «On peut s’attendre à des manifestations populaires pour le changement avant les élections de septembre 2005 et espérer un impact encore plus fort, souhaiter que le peuple fera entendre sa voix et que les différents partis, organisations et instituts exprimeront leur opinion.»
«Me tuer ne servirait à rien ; tout le monde sait que je ne gagnerai pas; je ne suis pas une candidate dangereuse»
Question: «Ne craignez-vous pas pour votre vie? En particulier en vous engageant dans une campagne qui s’annonce difficile? Après tout, vous avez reçu des menaces dans le passé.»
Al-Sadawi: «Non, j’ai dépassé le stade de la peur. Prendre ma vie n’apportera rien à personne. Tout le monde sait que je ne vais pas gagner; je ne suis pas une candidate dangereuse.»
Question: «Vous attendez-vous à ce que le régime égyptien exploite le mouvement religieux, qui est contre vous?
Al-Sadawi: «Cela serait pour le moins prévisible. Ils ont déjà utilisé ce mouvement contre moi; ils ont mené une campagne de calomnie contre moi et m’ont placée sur leur liste de gens à abattre. J’ai été forcée de vivre en exil pendant deux ans et je ne peux pas enseigner à l’Université du Caire. D’un autre côté, j’enseigne en Europe, en Amérique, en Afrique et en Asie, et en conséquence ma candidature se base sur une revendication de justice sociale, de culture progressiste et sur un encouragement de la pensée critique, de la créativité et de la réflexion. L’éducation doit se baser sur la liberté d’expression.»
Question: «Dans ce cas, essayez-vous de combattre la culture de la peur qui s’est emparée de l’esprit arabe?»
Al-Sadawi: «Oui. Nous voulons une véritable démocratie ; nous voulons que le pouvoir soit détenu par le peuple, qu’il lui soit possible de s’exprimer, de critiquer et de faire tomber le gouvernement, de dissoudre le parlement…»
Question: «Les médias égyptiens ne sont pas libres. Sont-ils au service des dirigeants?»
Al-Sadawi: «Oui. La télévision égyptienne reste silencieuse, à l’instar du journal Al-Ahram.Je ne peux plus écrire dans Al-Ahram depuis la publication de mon article critiquant Ibrahim Nafie, directeur et rédacteur en chef du journal: il a cessé de publier mes articles…»
«En tant que musulmans, nous devons croire au christianisme, au judaïsme et en un monde juste»
Question: «Il existe en Egypte des mouvements islamiques progressistes. Peuvent-ils s’accorder avec des mouvements séculaires progressistes et des mouvements libéraux?»
Al-Sadawi: «L’islam, le christianisme et le judaïsme prônent la justice, l’égalité et la dignité humaine. En tant que musulmans, nous devons croire au christianisme, au judaïsme et en un monde juste…»
Le voile trouve son origine dans le judaïsme et les nonnes en ont hérité
Question: «Vous avez critiqué le [port du] voile et les grands principes de l’Islam. Comment allez-vous gagner le soutien du peuple – qui dans sa majorité est musulman et conservateur?»
Al-Sadawi: «Ce n’est pas là ce qui importe. L’Egypte est le pays le plus tolérant sur le plan religieux. J’ai étudié à l’école primaire aux côtés de Coptes, de Juifs et de musulmans. Nous sommes une société tolérante, et si l’Islam nous encourage à croire dans le judaïsme et le christianisme, pourquoi devrions-nous opérer une discrimination religieuse?
En outre, le voile n’a rien à voir avec l’Islam. Historiquement, le voile trouve son origine dans le judaïsme et les religieuses chrétiennes en ont hérité. Pourquoi les gens disent-ils que le voile est un habit islamique quand dans la réalité ce n’est pas le cas…?»
Le Dr Al-Sadawi dans Al-Arabi: Je crois au combat politique et militaire [contre les Etats-Unis et Israël]
Dans une interview de l’hebdomadaire égyptien Al-Arabi, affilié à l’opposition, le Dr Nawal Al-Sadawi manifeste son soutien au combat contre les Etats-Unis, précisant en outre qu’elle ne s’oppose pas à la création de partis religieux. Extraits: [2]
Question: “Comment vous est venue l’idée d’être candidate à la présidence de l’Egypte?”
Al-Sadawi: “((…)) Nous avons actuellement besoin d’intellectuels pour proposer des remèdes à nos souffrances et pour soulever les 70 millions d’Egyptiens. A partir de [ce constat], je me suis dit que l’élite instruite devait voir d’un oeil positif la lutte contre le désespoir et encourager le peuple à combattre les Etats-Unis et Israël. En l’absence de combat militaire, il doit au moins y avoir combat politique. Je crois au combat politique et militaire.”
Question: “Comment s’est déroulée votre rencontre avec [deux des autres candidats à la présidence], le Dr Saad Al-Din Ibrahim et Mohammed Farid Hassanein?
Al-Sadawi: “Nous nous sommes rencontrés dans le bureau de Mohammed Farid Hassanein. Nous étions d’accord sur la nécessité d’une révision de la constitution, mais nos opinions divergeaient quant aux thèmes de ma campagne politique, qui porte sur les Etats-Unis et l’Europe. Ils estimaient qu’il valait mieux rester neutre par rapport aux Etats-Unis, ce que j’ai refusé de faire, leur demandant comment [il serait possible de rester neutre] face à un pays qui nous tue et nous pille quotidiennement. Quelle serait la différence entre nous et les dirigeants [actuels]? Les dirigeants craignent les Etats-Unis car ils veulent conserver leurs sièges. Pourquoi les nations ont-elles peur? Il est essentiel d’affronter les Etats-Unis et Israël par des moyens politiques, et si nécessaire militaires. L’occupation ne cèdera que sous le coup de la bataille. Il est essentiel de mobiliser les 70 millions d’Egyptiens et de [pouvoir] compter sur eux.”
Question: “Etes-vous pour la libre constitution de partis, y compris de partis religieux?”
Al-Sadawi: “Mon programme établit clairement l’annulation de toutes les restrictions et conditions relatives à la constitution des partis, des syndicats et des associations. Je ne m’oppose pas à la formation de partis religieux. Que le peuple choisisse!”
Le Dr Sadawi dans Al-Hayat: Les femmes devraient avoir le droit d’accéder au pouvoir
Dans un article paru dans le quotidien londonien Al-Hayat, le Dr Al-Sadawi explique pourquoi les femmes sont faites pour le pouvoir. Voici quelques extraits de l’article: [3]
“La nouvelle de ma candidature à la présidence de l’Egypte ((…)) a suscité un grand débat au sein du peuple, de l’élite politique et du milieu religieux – à tel point que le cheikh d’Al-Azhar, le Dr Mohammed Sayyed Tantawi, a émis un décret autorisant les femmes à devenir président de la république égyptienne. Les dignitaires religieux d’Al-Azhar ont adopté différentes positions, tantôt contre, tantôt pour le cheikh Tantawi. Le cheikh Ibrahim Al-Fayyoumi, secrétaire général de l’Académie de la recherche islamique, a notamment dit: ‘L’islam n’opère pas de distinction entre les activités des hommes et celles des femmes, permettant à chacun d’opter pour les activités qui siéent à son tempérament’
((…)) Y a-t-il une différence entre le caractère des hommes et des femmes? Une différence d’ordre intellectuel, musculaire, biologique, une différence d’âme ou un autre type de différence? Y a-t-il une différence de caractère entre les Américaines et les Européennes d’un côté, les Egyptiennes et les Arabes de l’autre? Comment se fait-il que Margaret Thatcher ait gouverné la Grande-Bretagne pendant plusieurs années d’une main de fer? Je la voyais aller la tête haute, en compagnie des dirigeants arabes, des chefs d’Etat, des rois et des sultans du Tiers-monde qui la suivaient, les bras ballants, acceptant docilement les dictats impérialistes de la Grande-Bretagne.
[Mais] pourquoi regarder aussi loin en arrière? Condoleezza Rice agit comme Thatcher, en faisant encore plus. Exactement comme Madeleine Albright et Golda Meir, ou comme Hillary Clinton, qui n’était que femme de président et non elle-même chef d’Etat. Les femmes ont détenu le pouvoir dans des pays musulmans voisins et dans d’autres pays tels que l’Indonésie, le Pakistan, les Philippines, le Bengladesh, le Sri Lanka, et j’en passe. Dans les pays arabes, les femmes de dirigeants ont de nombreux pouvoirs qui égalent parfois ceux du président, du roi ou de l’émir.
Et à présent, certaines figures religieuses – dont le Mufti d’Egypte, le Docteur Ali Jum’ah et le Docteur Youssef Al-Qaradhawi – mènent l’opposition à la décision du cheikh d’Al-Azhar, refusant totalement l’idée qu’une femme puisse prendre la direction de l’Etat. Pourquoi donc, nobles messieurs? Voici leur réponse: du fait de la nature psychologique des femmes et de leurs souffrances pendant la menstruation. Bonté divine, la menstruation a-t-elle empêché Margaret Thatcher de diriger un Etat? Empêche-t-elle les paysannes égyptiennes de travailler dans les champs, comme les hommes, depuis l’aube jusqu’au coucher du soleil? Empêche-t-elle les jeunes femmes athlètes de participer aux Jeux olympiques et à la compétition, comme les hommes? Qui a dit que la menstruation était une maladie perturbant le travail des femmes? De plus, la grossesse et l’enfantement n’empêchent pas les femmes de travailler dans les champs, dans les usines, les bureaux et les ambassades… Le mot ‘menstruation’ est ridicule dans la bouche des hommes, d’autant plus que la plupart des femmes engagées dans les affaires politique, les élections présidentielles ou autres, ont plus de cinquante ans, ce qui rend la question de la menstruation hors de propos…
Le cheikh Abdallah Mujawwir, secrétaire du Conseil des décrets religieux d’Al-Azhar, a tenu des propos encore plus absurdes en se déclarant favorable à ce que les femmes occupent la fonction de chef d’Etat tant que la loi islamique ne s’y opposait pas et qu’elles ne se retrouvaient pas isolées avec un homme. Mon Dieu! Comment une femme peut-elle être chef d’Etat et ne [jamais] se retrouver seule avec un homme? Doit-elle travailler uniquement avec des femmes? Va-t-il lui être interdit de s’asseoir avec le Premier ministre ou avec un autre haut responsable politique pour discuter d’un problème donné? De tels propos venant de la bouche de personnalités religieuses occupant des postes importants au sein d’institutions religieuses sont ridicules, et il serait bon qu’ils s’adressent à l’opinion publique dans notre pays et à l’étranger, et pas seulement par le biais des chaînes de télévision.
Même les femmes bien établies au sein l’Establishment religieux égyptien ont recouvert d’un voile leur esprit – ce qui est pire que de se couvrir les cheveux, et emboîtent le pas à ces dignitaires religieux opposés au cheikh d’Al-Azhar. Les attaques personnelles de ces femmes à mon encontre sont bien plus dures que les attaques portées contre moi par les hommes. L’une d’elles, le Docteur Amna Nusseir, a déclaré qu’elle était opposée à la candidature de Nawal Al-Sadawi au poste de Président de la république égyptienne car [Al-Sadawi] enfreint de nombreux principes de la loi islamique ; elle n’a pas les qualités nécessaires à cette fonction et ignore les principes de la loi islamique [sharia].»