Dr Amr Ismaïl, intellectuel progressiste égyptien dont les écrits paraissent régulièrement sur le site arabe laïque www.rezgar.com, publie un article où il reproche aux pays arabes leur absence d’esprit autocritique et dénonce l’abus de langage des islamistes qui parlent de « démocratie ». Voici quelques extraits de l’article, affiché sur www.elaph.com: [1]
« Pourquoi nous exprimons-nous au moyen de coups de feu et nous hâtons-nous d’accuser autrui d’impiété? »
« Pourquoi notre vision du monde est-elle différente de celle des autres ?Pourquoi avons-nous toujours le sentiment que quelqu’un complote contre nous, que cet être est la source de nos problèmes, de notre retard culturel et économique? (…) Pourquoi ne sommes-nous pas capables de nous autocritiquer et pourquoi considérons-nous tous ceux qui tentent de le faire comme les ennemis de la nation, de ses principes, ce qui éveille chez certains la peur de réfléchir?
Pourquoi communiquons-nous entre nous au moyen de coups de feu, de bombes, de voitures piégées ? Et quand nous ne sommes pas d’accord avec notre interlocuteur, pourquoi nous empressons-nous de l’accuser d’impiété, de suivre l’Occident et l’Orient? Pourquoi n’admettons-nous pas que nul parmi nous ne détient les réponses à toutes les questions et que celui qui prétend détenir la vérité absolue n’est qu’un menteur ? Avons-nous [déjà] entendu dire que dans tel pays respectable, les partis et les [différents] courants politiques communiquaient au moyen de coups de feu, comme c’est actuellement le cas à Gaza et en Irak ? (…) »
« Nous tuons, faisons exploser des voitures et tranchons les gorges en invoquant Allah, et nous protestons quand ont dépeint les musulmans comme des terroristes. »
« Pourquoi sommes-nous la seule nation au monde qui invoque encore la religion, l’islam, et Allah dans tous les domaines: en politique, en économie, en sciences, en art, en littérature ? Nous tuons en invoquant Allah, faisons exploser des voitures en invoquant Allah, tranchons des gorges en invoquant Allah et l’islam, et nous protestons quand les autres dépeignent les musulmans comme des terroristes. Nous tuons sans discernement des médecins venus apporter une aide médicale aux Afghans, et nous protestons quand le monde appelle cela du terrorisme. Nous faisons sauter des ambassades, des trains, causant [ainsi] la mort d’enfants, de femmes, de citoyens sans rapport avec notre cause, et nous protestons quand le monde qualifie ces extrémistes, qui se réclament de l’islam, de terroristes.
Nous ne nous demandons pas pourquoi nulle autre confession ne perpètre ces actes atroces ; quand un Etat terroriste comme Israël en commet, il n’invoque pas le Seigneur ou Allah, mais l’autodéfense. Pourquoi rendre Allah [responsable] de nos mauvaises actions et de notre désir de vengeance (…) ? Pourquoi ne faisons-nous pas comme Israël, qui prétend agir au nom de l’autodéfense et de la patrie, et ne cessons-nous pas de mêler Allah et l’islam à nos affaires ? Pourquoi ne nous interrogeons-nous jamais sur les racines de la pensée extrémiste et ne nous efforçons-nous pas d’y remédier? Quand les autres pays nous demandent de nous occuper de ces racines et d’y réfléchir, nous crions qu’ils s’ingèrent dans nos affaires intérieures et qu’ils sont les ennemis de l’islam. Pourquoi ne nous demandons-nous pas si quelqu’un nous a invité à revoir notre programme éducatif avant que nous ne fassions sauter les tours du World Trade Center et ne tuions des milliers de personnes, avant que nous ne fassions exploser les trains de Madrid en tuant des centaines de personnes, avant que nous ne ravissions des otages et ne les abattions devant les caméras, afin que le monde entier puisse contempler notre hideux visage? »
« La démocratie est le meilleur des régimes: elle a apporté progrès et prospérité aux pays qui l’ont adoptée. »
« Pourquoi notre cerveau ne se résout-il pas à comprendre que la démocratie ne se résume pas aux urnes, qu’elle est une structure complexe dont [l’aspect] essentiel est la liberté de choix, dans les domaines de la religion, de la foi, de l’habillement, la liberté d’exprimer des opinions politiques et culturelles, même si celles-ci divergent des opinions communément admises, à condition qu’elles n’incitent pas à la violence. Pourquoi ne comprenons-nous pas que la démocratie, c’est l’égalité absolue entre les personnes, sans considérations de sexe, de couleur et de religion (…) ?
Nous sommes arrivés à la croisée des chemins. Si nous voulons que l’islam soit une solution politique, plutôt qu’une religion (…), nous devons être forts et reconnaître en toute honnêteté que l’islam (des groupuscules politiques qui suivent Ben Laden et Al-Zawahiri) entre en totale contradiction avec la démocratie et sa véritable signification. Que tous les groupes politiques islamiques, à commencer par les Frères musulmans, en finissent avec leur politique de dissimulation et montrent leur vrai visage, [en avouant] qu’ils essaient d’instaurer un gouvernement islamique, qui sera au mieux de type iranien, au pire de type taliban ! (…)
Si nous aspirons toutefois à la démocratie, nous devons admettre que la religion ne doit pas [être mêlée] à la politique, qui est l’expression du peuple. Puisque nos populations sont majoritairement musulmanes, les lois promulguées n’entreront pas en contradiction avec les principes et l’esprit de l’islam, et le peuple n’aura pas besoin de partis qui prétendent parler au nom de la religion, [alors qu’en réalité] ils mettent la religion au service de leurs propres intérêts matériels et politiques.
La démocratie a une seule signification ; aucun parti ou mouvance politique n’a [le droit] de prétendre représenter la population de façon absolue et permanente. Gouverner, c’est s’envoyer la balle d’un groupe à l’autre (…) La citoyenneté, avec les droits et les devoirs qui en découlent, appartient à tous ceux qui vivent dans la patrie, sans distinction de race, de sexe ou de religion. Les droits fondamentaux du citoyen sont le droit de vote et le droit de poser sa candidature à n’importe quel poste de la fonction publique, y compris au poste de président, qu’on soit homme ou femme, musulman ou non musulman – tant que la constitution est respectée et que l’on prête serment de ne pas la modifier autrement que dans le cadre des lois de la constitution elle-même, avec l’accord du peuple.
C’est cela, la démocratie. Si nous voulons un autre régime, ne l’appelons pas ‘démocratie’. Car ce serait employer les outils de la démocratie pour la détruire, à l’instar de ceux qui masquent [leurs véritables opinions] chez nous – et ils sont, malheureusement, nombreux. »
[1] http://www.elaph.com/elaphweb/AsdaElaph/2004/10/19110.htm, le 30 octobre 2004.