Le quotidien londonien Al-Quds Al-Arabi, considéré pro-Saddam,a conduit une interview avec Nasser Ahmad Al-Bahri, aussi connu sous le nom de Abu Jandal, un membre d’Al-Qaida qui était l’ancien garde du corps d’ Osama ben Laden. Al-Bahri, né à Jeddah en Arabie Saoudite, a été arrêté en 2001 au Yémen étant soupçonné d’avoir participé à l’attaque contre le destroyer USS Cole américain et a été libéré après que le président du Yémen, Ali Abdallah Saleh, lui ait accordé l’amnistie. Voici des extraits de l’interview: [1]
Les activités d’Al-Bahri au sein d’Al-Qaida
«J’ai intégré l’organisation Al-Qaida fin 1996 après mon retour d’un voyage au Tajikistan (…) Ma première visite en Afghanistan a eu lieu au cours de l’été 1996, et à partir de ce moment-la, j’ai été absent d’Afghanistan trois fois. Je l’ai quitté la première fois à l’occasion de mon mariage. La deuxième fois, je me suis rendu au Yémen pour arranger et finaliser les préparatifs du mariage du cheik Osama ben Laden [avec une femme yéménite]. Mon troisième et dernier voyage fut plus ou moins deux mois et demi avant la prise d’action contre le Cole. Ma responsabilité était de veiller à la sécurité du Cheik Osama ben Laden et j’ai rempli pendant un moment le rôle de garde du corps personnel.»
L’attaque contre le Cole et le grand pétrolier français Limburg
«Le Cole a été surveillé pendant un certain temps, pour rassembler des informations, par le Comité de centralisation des renseignements. Seulement deux personnes, ni plus ni moins, ont travaillé là-dessus. Les allégations, selon lesquelles le Mossad était responsable [de l’attaque du Cole], n’ont aucun sens et ne sont qu’un moyen de porter des doutes sur la capacité des musulmans à faire de telles choses. Les auteurs de l’opération sont des jeunes de renom faisant partie des rangs de nos frères les Mujahideen, puisse Allah les bénir ( …) Hassan Al-Khamri de la région de Shuba, originaire d’Al-Taif en Arabie Saoudite et Ibrahim Thur de San’aa, aussi originaire d’Al-Taif.»
A la question, pour quelles raisons le contre-torpilleur a-t-il été choisi comme cible, Al-Bahri a répondu: «Il y avait plusieurs raisons: [nous voulions] nuire à la réputation des Etats-Unis dans le milieu naval, hausser le moral des Musulmans et prouver à la nation islamique que ces fils sont capables de frapper les ennemis n’importe où, que ce soit en mer, dans les airs et sur terre. Près de 71 pays islamiques sont incapables de dire ‘non’ aux Etats-Unis, mais en tant qu’individus nous pouvons leur dire ‘non’ (…) Le choix du meilleur «destroyer» de la marine américaine et aussi le meilleur produit de l’armée américaine a été un coup dur pour les Etats-Unis, [ce qui prouve] que nous sommes capables de les toucher au moment et de la façon que nous jugeons le plus opportun.»
Au sujet de l’attaque contre le grand pétrolier français Limburg, sur les côtes d’Al-Mulkalla:«C’était la conséquence d’une erreur venant des deux côtés. C’était une revanche par rapport à la mort de Yahya Majly [2], qui a été tué dans la ville de San’aa par les forces du gouvernement [yéménite]. La réponse était précipitée et irrationnelle, suivie de conséquences lourdes pour le gouvernement et le peuple yéménites.»
Les activités d’Al-Qaida au Yémen
Aujourd’hui, on peut dire qu’Al-Qaida n’existe pas en tant qu’organisation au Yémen mais qu’il y a des individus qui croient aux idées d’Al-Qaida. [Les activités ] de l’organisation ont pris fin lorsque le Cheik Abu Ali Al-Harithi, chef de l’organisation au Yémen, est devenu un martyre (…) Il y en a beaucoup qui appartiennent à l’organisation dans le sens de leur sympathie mais pas au niveau idéologique, organisationnelle, administratif et ne sont pas enrôlés [dans l’organisation] (…) mais nous n’avons pas fait la paix avec le pays [Yémen].
Cette jeunesse n’a pas de guide (…) Les auteurs des opérations ne sont pas nécessairement des membres d’Al-Qaida. Des personnes, sans lien organisationnel à Al-Qaida, sont parfaitement capables d’exécuter des opérations telles que, par exemple, le meurtre des missionnaires américains à Jablah ou celui de Jar Allah Omar à la Convention des Réformes.»
Il a ajouté: «Je peux vous assurer que 95 pour cent des membres d’Al-Qaida sont yéménites (…) y compris le chef de l’organisation, dont les origines sont yéménites. Ses gardes du corps sont yéménites, les instructeurs dans les camps d’entraînement sont yéménites, les comandants de première ligne sont yéménites et toutes les opérations contre l’Amérique sont coordonnées avec les membres yéménites de l’organisation.»
Les activités d’Al-Qaida en Irak et Abu Musab Al-Zarkawi
Un grand nombre d’agents d’Al-Qaida est entré en Irak et est actuellement en train de se battre dans les rangs de la résistance irakienne (…) Le problème aujourd’hui est du au fait qu’Al-Qaida n’est pas une organisation dans le vrai sens du terme, mais seulement une idée qui est devenue une foi.
Nombreux sont les jeunes qui ont commencé à croire aux vues et aux convictions d’Al-Qaida concernant la lutte contre l’Amérique. Abu Musab Al-Zarkawi était en Afghanistan et à Kabul. Il a rencontré Osama ben Laden plusieurs fois, mais je ne pense pas qu’il soit le numéro un au sein de l’organisation, puisque Al-Qaida a des chefs irakiens sur place qui n’ont nul besoin d’Al-Zarkawi.»
Les attaques terroristes en Arabie Saoudite et Abd Al-Aziz Al-Muqrin: Le gouvernement saoudien soutenait le Djihad à l’origine
A la question si Al-Qaida était impliquée dans les attaques en Arabie Saoudite, Al-Bahri a expliqué: «En me basant sur mes relations personnelles avec certains chefs [d’Al-Qaida] et avec certains membres qui ont commis des opérations martyres en Arabie Saoudite, je peux affirmer que ces derniers étaient bien des agents d’Al-Qaida. Mais la question que l’on doit de poser est la suivante: quelle est la raison pour laquelle ces jeunes prennent les armes et commettent des attaques sur le sol saoudien?
Je pense que c’est à cause de la politique stupide du gouvernement par rapport à ces gens-ci. Ceux qui ont mis à feu l’enclos d’Al-Muhaya ont déclaré, dans leurs messages enregistrés sur les sites internet, qu’ils s’étaient engagés dans le Djihad avec le consentement de l’état et l’encouragement des Cheiks Sa’d Al-Bureik, Aidh Al-Qarni et Salman Al-Odeh, ainsi que beaucoup d’autres qui incitaient les jeunes. Cependant, lorsque la lutte contre le gouvernement a commencé, les jeunes ont été étonnés de constater que les mêmes cheiks qui dans le passé les avaient poussés, les reniaient à présent. Ce n’est pas tout, car des personnes comme Cheik Sa’d Al-Bureik et Cheik ‘Ai’dh Al-Qarni ont même commencé à les attaquer, en dépit du fait que leurs actions ne sont qu’une conséquence logique des discours, sermons et leçons (…).
Les opérations en Arabie Saoudite étaient une réaction [contre le gouvernement saoudien]. Le cas d’ Abd Allah Al-Ma’badi, que je connais personnellement, est un très bon exemple. Non seulement il était opposé à l’idée de [perpétrer] des opérations en Arabie Saoudite, il était même contre toute attaque qui porterait atteinte à ce pays. Comment donc a-t-il fini par commettre des [attaques en Arabie Saoudite]? Abd Al-Aziz Al-Muqrin était aussi totalement contre l’idée d’une telle stratégie. La raison pour laquelle il a exécuté l’attentat est l’irruption d’agents du Département d’investigations criminelles [Saoudiennes] dans la maison d’Abd Allah Al-Ma’badi [dans laquelle Al-Muqrin résidait à l’époque], qui frappèrent la mère d’Al-Muqrin, cassèrent la main de son frère et rentrèrent par force dans la chambre à coucher de sa sœur. Que pouvez-vous attendre d’une personne qui a été en isolement pendant une année et cinq mois pour aucune autre raison que celle d’aller [se battre] au Djihad?»
Selon Al-Bahri, les opérations armées contre l’Arabie Saoudite continueront «tant que ce pays poursuivra sa politique, conçue pour contenter les Etats-Unis».
Echec dans leur tâche d’arrêter Osama ben Laden
A la question, «Pourquoi l’Amérique est-elle incapable d’arrêter Osama bin Laden, alors qu’il a été possible d’appréhender Saddam Hussein peu après la fin de la guerre en Irak?», Al-Bahri a répondu, « Beaucoup de gens prétendent qu’Osama ben Laden n’a pas encore été arrêté car il est un agent [des Etats-Unis]. Mais nous pensons que la comparaison entre Osama ben Laden et Saddam Hussein n’est pas appropriée: il y a des chapitres obscurs dans la conduite passée de Saddam envers son peuple, regardez juste les massacres des Kurdes à Halabja, des Chiites dans le sud de l’Irak, l’abus des femmes irakiennes, l’anarchie, le despotisme et l’esclavage du peuple irakien; [tous ces facteurs] l’ont amené à être haï et a rendu son arrestation plus facile, mais Osama ben Laden, où que vous alliez, d’un bout du monde à l’autre (…) il reste populaire et bien accepté.»
L’objectif d’Al-Qaida
«L’objectif de l’organisation Al-Qaida depuis sa création est de fomenter un conflit entre les Etats-Unis et le monde islamique. Je me rappelle que le Cheik Osama ben Laden avait l’habitude de dire que nous ne pouvons, en tant qu’organisation, continuer dans des opérations de qualité, [3] mais que nous devrions plutôt aspirer à commettre des actions qui traîneraient les Etats-Unis dans une confrontation régionale avec le peuple islamique.»
[1] Al-Quds Al-Arabi (Londres), 3 août 2004
[2] Ce nom est une translittération, c’est peut-être censé être «Majally»
[3] Une «opération de qualité» est une expression commune parmi les Islamistes, qui signifie une attaque à grande échelle sur une cible d’importance stratégique causant un grand nombre de victimes»