Le quotidien londonien Al-Sharq Al-Awsat a publié dans ses colonnes, une tribune de son ancien rédacteur en chef Abd Al-Rahman Al-Rashed, intitulée «La mort de 300 000 personnes.» Dans cette tribune, Al-Rashed conspua l’indifférence des médias arabes à l’égard des violences au Soudan. Nous l’avons traduite: [1]
«Elles ne sont pas victimes d’une agression israélienne ou américaine; en conséquence, elles ne méritent pas notre intérêt»
«Elles ne sont pas les victimes d’une agression israélienne ou américaine; en conséquence, elles ne méritent pas notre intérêt. C’est une telle attitude d’indifférence envers ceux qui sont en dehors de notre sphère de conflit avec les étrangers, y compris en permettant leur massacre, qui domine ce que l’on peut lire ou écrire à propos de la crise du Darfour, considérée comme un sujet de seconde importance ou qui ne mérite pas de protestations internationales.
La vie de 1000 personnes dans l’Ouest du Soudan a-t-elle moins de valeur ou est-ce que la vie d’un seul irakien ou palestinien est plus importante, du simple fait que l’ennemi est Israélien ou américain? Selon les estimations des envoyés de l’ONU, venus établir les faits se déroulant dans la région, 300 000 Soudanais sont en danger de mort à cause de la guerre ayant cours là-bas.
Le département juridique de l’ONU affirme pour sa part, qu’il s’agit d’un massacre qui sera traité comme celui de Bosnie-Herzégovine et que les Hauts responsables Soudanais seront punis comme ont été poursuivis en justice les dirigeants serbes de Yougoslavie».
« Il est très grave que des forces ou des milices proches d’un gouvernement puissent être autorisées à procéder à l’élimination d’une population »
«Il est très grave que des forces ou des milices proches d’un gouvernement puissent être autorisées à procéder à l’élimination d’une population dans le but de remporter une victoire rapide ou décisive. C’est alors qu’intervient l’ONU, dont la législation prescrit l’intervention et abolit la souveraineté interne de l’Etat(…), et permet de traduire en justice les accusés, dont,en priorité, les maillons les plus élevés de la hiérarchie.
Est-ce ce que veulent les Soudanais? Je pense que le gouvernement soudanais, fort de son sens de la politique et de sa sécurité, ne pourra tolérer d’être impliqué dans l’accusation la plus dangereuse qu’on peut lui porter, à savoir le génocide. Tout ce qu’ils ont réussi à construire pour leur propre intérêt s’effondrera d’un seul coup s’ils laissent la situation aux mains d’escadrons de la mort ou de milices qui ne se soumettent plus à l’autorité de leurs chefs. Il n’y aura personne capable d’arrêter les procédures internationales, personne pour soutenir les dirigeants accusés et ils connaîtront le même sort que Milosevic, qui croyait que personne n’interviendrait jamais, que l’équilibre des forces maintiendrait son régime en place, que la Russie, son allié, ne l’abandonnerait jamais et que même dans l’éventualité d’un renversement de son régime, il était inconcevable qu’il puisse être traduit devant la justice internationale. Désormais il pourrit dans une cellule, comme n’importe quel autre prisonnier, souhaitant que l’histoire fasse marche arrière et lui permette de rectifier sa conduite».
«Il est important de comprendre le monde après la chute de Belgrade»
«C’est la raison pour laquelle il est important de comprendre le monde après la chute de Belgrade. Dans la mesure où cela a constitué un tournant dans la façon qu’ont les organisations internationales d’appréhender la portée des droits nationaux et de l’inviolabilité de la souveraineté des Etats.
Il n’est pas prématuré de sonner l’alarme afin de mettre en garde le gouvernement soudanais que ce qu’il est arrivé aux Fur du Soudan, et que ce qu’il pourrait encore leur arriver, est une question de la plus grande importance. Personne, ici, ne parle de l’aspect politique, qui ne fait pas débat, dans la mesure où nous sommes tous en faveur de l’unité du Soudan et en premier lieu du Darfour. Cependant, cela ne doit pas s’accompagner du massacre de milliers de personnes ou de l’expulsion de leurs villages ou encore de permettre à des milices paragouvernementales d’imposer des règles qu’elles jugent nécessaires. Non! Ces actions conduiront au bout du compte à rendre l’Etat responsable du résultat final.
Concernant les intellectuels Arabes qui n’ont d’yeux dans ce monde que pour les causes irakienne et palestiniennes et considèrent que le sang qui n’a pas été versé lors de conflits avec des étrangers est de moindre valeur ou que l’on peut le justifier, ils sont les complices intellectuels de ce crime. Avant eux, les Serbes ont eu recours à des justifications historiques, des analogies avec le présent légitimant le meurtre d’autres groupes ethniques pour encourager leur armée à tuer des Musulmans et convaincre leur peuple du bien-fondé de leur campagne».
[1] Al-Sharq Al-Awsat (Londres), 24 juin 2004.