En Arabie Saoudite, une voix critique se fait entendre contre la place prépondérante que prend la mort dans les écoles saoudiennes. Editorialistes, professeurs universitaires et parents évoquent les dommages émotionnels dont souffrent les enfants à cause de cette polarisation [sur la mort] et font appel au Ministère de l’éducation saoudien pour la faire cesser.
Deux articles de Hamza Qablan Al-Mozainy, professeur en langue et littérature arabe de l’Université du Roi Saoud en Arabie Saoudite, sont apparus à un an d’intervalle dans le quotidien saoudien Al-Watan et analysent «la culture de la mort» dans les écoles saoudiennes et le rôle des professeurs dans sa dissémination. [1] Voici quelques extraits des deux articles d’Al-Mozainy et de deux autres articles qui traitent de ce sujet:
‘La culture de la mort au sein de nos écoles’
Le 27 mars 2003, le quotidien saoudien Al-Watan publie le premier article d’Al-Mozainy à ce sujet, intitulé «la culture de la mort au sein de nos écoles»:
«La semaine dernière, le Lycée Roi Saud de Riyad a tenu une journée éducationnelle appelée ‘Le début et la fin’ […] L’un des événements contenait une tente divisée en deux: une [partie] présentait le chemin de la vertu, l’adhésion aux commandements de la religion, comment maintenir de bonnes fréquentations, et tout ce qui s’en suit; l’autre [partie] présentait le chemin du mal, celui du détournement de la religion, la drogue, et les mauvaises fréquentations. Jusque là, tout paraissait assez normal, peut-être dans le but de motiver les élèves à choisir le chemin de la vertu et renoncer au chemin du mal.
Mais étrangement, les deux chemins ne s’arrêtaient pas là. Au contraire, il semblerait qu’ils ne formaient pas le véritable but [de l’exposition]. Les deux [chemins] menaient à une autre tente, dans laquelle se trouvait le mannequin d’un homme mort enveloppé dans un linceul prés d’une fosse qui ressemblait à une tombe. Un film y était projeté en guise d’accompagnement sur la façon de laver les morts en plus d’un sermon de lamentations déplorant l’état [physique] du mort et les horreurs de la tombe.
(…) Certaines [des filles]m’ont avoué qu’elles étaient terrifiées et prises de panique, et qu’elles avaient évité de regarder ces présentations, [ajoutant] que certains des éducateurs en chargeont exigé qu’elles ne détournent pas leurs regards. Les mêmes élèves ont dit que cette nuit là, elles étaient prises d’horreur et n’osaient pas s’endormir par peur d’avoir des cauchemars.
Nous ne devons pas oublier que cette activité fut organisée dans un collège, et que des enfants de moins de quinze furent amenés à cette exposition. A cet âge, [les enfants] ont une grande capacité à se laisser gagner par la peur et l’effroi nourris par l’imagination. Il ne fait aucun doute que ce genre de sermon expose les jeunes élèves à des sujets effrayants face auxquels ils sont désarmés, [et que ces sujets] inspirent [déjà] l’horreur chez les adultes – sans parler des enfants.
Il y a eu plusieurs exposés au cours de l’événement, dont le contenu frôlait un appel ouvert à ces écoliers de rejoindre le courant appelé ‘Le [mouvement du] réveil islamique’ ou ‘Le Da’wa‘, ce qui se transforme souvent en ‘Djihad‘.
Ce n’est pas la première foi qu’une telle exposition a lieu. Plusieurs événements dumême style se répandent dans beaucoup d’écoles (…) Les enseignants prêchent souvent sur le même sujet pendant les cours. Une enseignante a apporté [en classe] un mannequin [d’un corps mort] et l’a lavé devant les filles. Elle les a fait participer à la préparation du corps et à son enveloppement dans un linceul. Certaines des filles déclarent qu’elles ont ressenti une grande anxiété [suite à cette manœuvre] (…)
Il me semble que les exhibitions de ce genre ne sont qu’un exemple de la culture de la mort qui sévit dans notre société récemment. Les prêcheurs semblent adopter une insistance bizarre et excessive dans leurs sermons sur des explications terrifiantes à propos des tourments et des horreurs de la mort. Et cela se développe jusqu’au point où les sermons sont maintenant truffés de descriptions de l’état corporel du mort, basés sur les histoires fantaisistes des croque-morts, qui habituellement racontent des histoires sur les signes du bien ou du mal qui apparaissent sur les corps des morts qu’ils préparent à l’enterrement, et ainsi de suite. Cette tendance s’immisce aussi dans l’enseignement à l’école (…)»
‘Un grand nombre de jeunes sont victimes de quelques extrémistes’
«Une des motivations possibles derrière cette méthode d’exhortation serait de commencer à recruter de potentiels partisans. Si un jeune absorbe bien l’idée de la mort, il s’abstiendra de [goûter aux plaisirs] de ce monde et s’appliquera plus aux activités religieuses – fait qui peut très bien être mis en œuvre par des personnes ayant des motifs cachés. Il n’y a qu’un pas entre l’acte d’abstenir de la vie [de ce monde] et de s’adapter à l’idée de la mort, pour le jeune qui devenu convaincu que, puisqu’il doitmourir, autant qu’il le fasse ‘pour Allah’.
Ainsi,beaucoup de jeunes sont victimes de quelques extrémistes qui les exploitent en les entraînant à conduire des opérations qu’ils font croire [des opérations] de Djihad.»
‘Le Ministère de l’éducation [saoudien] est directement responsable de la poursuite de ces activités’
«Les questions à poser maintenant sont: Est-ce que le Ministère de l’éducation est vraiment au courant de ces activités dans les écoles? Si oui, a-t-il donné son consentement? L’a-t-il accordé après avoir consulté des psychologues et des sociologues pour connaître les effets et les bénéfices de telles activités?
Le Ministère de l’éducation [saoudien] est directement responsable de la poursuite de ces activités. S’il les ignore, il doit agir immédiatement pour les faire cesser, car elles produiront sûrement des résultats non loin de ceux qui nous ont rendu suspect – l’Islam et les Musulmans – aux yeux du monde entier.» [2]
‘La culture de la mort vie toujours’
Un an plus tard, le 6 mai 2004, Al-Mozainy publie un autre article à propos du même sujet dans Al-Watan, intitulé «la culture de la mort vie toujours’:
«Il y a un an, le quotidien Al-Watan publiait mon article intitulé ‘La culture de la mort au sein de nos écoles’. Cet article critiquait la prolifération du sujet de la mort dans des activités extra scolaires au sein des écoles (…) Je souhaitais que le Ministère de l’éducation établisse un comité d’investigation pour étudier ce phénomène et publier leurs résultats pour que chaque citoyen puisse connaître leur position officielle [sur la question]. Mais cela n’a jamais eu lieu et le ministère reste muet à ce jour. Il est rapidement survenu que ces activités ne se limitaient pas à une école [particulière] et qu’elles n’étaient non plus l’affaire d’un événement extraordinaire tenu en dehors des heures de cours. De plus, ces activités sont devenues des faits journaliers, [ayant lieu] dans des écoles à travers le pays, en long et en large.»
«A l’époque, le quotidien Al-Watan publia plusieurs lettres de lecteurs de différentes régions attestant et dénonçant ces mêmes activités.Al-Watan rapporta un incident qui a eu lieu dans la région d’Al-Jazan où une élève a perdu connaissance et est resté deux semaines à l’hôpital après avoir participé à une des ces expositions (…)»
On enseigne aux filles à l’école à laver et préparer les corps morts
«Abd Al-Aziz Al-Athian de Al-Jawf a envoyé une lettre au magazine Al-Yamama, publiée dans le numéro 1789, page 16 et intitulé ‘Comment ils ont éduqué ma fille’. Dans cette lettre, [Al-Athian] raconte qu’un enseignant a montré un film aux filles ‘pour qu’elles voient comment laver et envelopper un corps mort dans un linceul par le billet d’images effrayantes avec une voix de fond encore plus effrayante.’ Il relate aussi les dires de sa fille:’La maîtresse nous a déjà passé ce film de nombreuses fois. Je voulais détourner mon regard pour ne pas voir ce qu’il contenait. [Mais] aujourd’hui, la maîtresse a choisi les filles qui avaient le plus peur [du film], y compris moi, et nous a fait asseoir tout devant et forcé à regarder l’écran par différents moyens en disant, ‘Regardez, oh ! (…) Regardez, voilà la fin qui t’attend,et celle qui attend tous tes amis.’»
M. Al-Athian explique que sa fille n’a pu s’endormir seulement que lorsqu’ils allumèrent toutes les lumières de la maison jusqu’au matin. Elle a dormi pendant de courts moments, remplis de cauchemars, dont certains la réveillaient terrifiée et horrifiée. Elle n’a aucune envie d’étudier et elle est tout le temps distraite’ (…)
La réalité prouve (…) que ‘la culture de la mort’ vie toujours (…) Ce n’est pas le cas isolé d’une enseignante trop zélé, mais d’une culture répandue parmi beaucoup d’enseignants dans beaucoup d’écoles dans toutes les régions (…)
Le film sur les ablutions du corps mort est accompagné de passages du Coran, de poèmes ‘islamiques’ et de passages audio extrêmement troublants et effrayants.» [3]
‘[Le Ministère de l’éducation] ne peut prétendre que le passage de ce film est un événement isolé’
«L’un des enseignants m’a confirmé que ce film et d’autres du même genre sont montrés aux élèves dans plusieurs écoles. Du moment que ce film est diffusé en publique lors d’événements officiels subventionnés par le Ministère [de l’éducation], et auxquels des élèves de tout âge participent, [leMinistère de l’éducation] ne peut prétendre que le passage de ce film est un incident isolé ou l’interprétation de [personnes trop] zélés, mais de bonne foi (…)
Ce phénomène et ces activités sont la preuve, encore une fois, que nos écoles sont entrain de faciliter la dissémination de l’extrémisme, que ce soit intentionnellement ou non. Tout cela peut concourir à créer des personnalités perturbées et passionnées, facilement recrutées dans les rangs des groupes extrémistes et violents, et qui pourront finalement se laisser entraîner à participer aux crimes, meurtres et attaques à la bombe dont souffrent notre pays actuellement.» [4]
Les étudiantes à l’université sont aussi formées dans la culture de la mort
Keinan Al-Ghamdi, ancien rédacteur en chef du quotidien Al-Watan, récemment licencié pour ses commentaires politiques, a aussi écrit sur ce sujet dans un article intitulé «disséminer la culture de la mort: Merci aux professeurs universitaires». [5] Il y écrit: «Ahmad bin Ali Al-Asmari, le père d’une étudiante, [m’a écrit]: le département des sciences de la Faculté d’Education à Al-Malz a inclut dans ses activités du semestre un cours sur comment envelopper [les morts] dans des linceuls. Vous pouvez imaginer l’intense hystérie des filles et leur peur face à cette culture inutile. Je vous demande, quel usage peut bien faire une fille étudiant au département des sciences, auquel l’état paye des millions pour l’éducation et l’apprentissage, de cette culture de la mort? Est-ce que la faculté la forme pour travailler dans les départements des morts et des tombes?
Puisque je n’ai pas de réponse à la question d’Al-Asmari, je la renvoie au Ministère de l’éducation, là où les responsables ont distribué des tractes déclarant qu’ils allaient bannir ces activités étranges. Mais ce fut un échec.» [6]
Dr Abd Al’Aziz Al-‘Omar, doyen de la Faculté de l’enseignement à Riyadh, a écrit dans un article pour le quotidien saoudien Al-Jazirah, intitulé «étudier la mort»: «Mon fils m’a téléphoné la semaine dernière du bureau du directeur de son lycée pour me dire que ce matin là, sa classe avait décidé d’aller visiter l’endroit où les morts sont lavés et que la semaine précédante, ils avaient visité une maison de convalescence (…)»
La question se pose: Pouvons-nous assurer l’équilibre émotionnel et mental des enfants si nous leur enseignons la mort? Est-ce que l’école est obligée d’enseigner la mort aux élèves? Est-ce nécessaire d’emmener nos enfants aux deuils et aux enterrements? Est-ce nécessaire de les emmener aux lieux de traitement médical pour qu’ils puissent voir les moments entre la vie et la mort? N’avons-nous pas peur que les écoles s’appliquent à enseigner le phénomène de la mort aux élèves, d’une façon telle que les enfants finissent par s’abstenir et fuir la vie [de ce monde], méprisant les innovations et les accomplissements de ce monde?» [7]
[1] Pour plus d’informations sur Al-Mozainy, voir: http://www.almozainy.jeeran.com/cv2.htm
[2] Al-Watan (Arabie Saoudite), le 27 mars 2004. Cet article a provoqué de vives réactions et le fils de l’auteur a été agressé par ses professeurs de religion, Yahyah Al-Ma’ajami et Abdallah Al-Qal’i, qui ont maudit son père en le traitant d’apostat.
[3] Al-Mozainy écrit qu’un pareil film a été visionné à la foire aux livres dans le Hall du Roi Abd Al’Aziz à Riyadh:«La première chose vue par les visiteurs de la foire est un film sur les ablutions des morts. Le film est terrifiant car il comprend de longues scènes d’un homme allongé sur un lit et des images de tombes, dont certaines sont ouvertes. L’objectif du film est peut être de faire croire aux spectateurs terrifiés que c’est la tombe qui les attend.» Al-Watan (Arabie Saoudite), le 6 mai 2004.
[4] Al-Watan (Arabie Saoudite), le 6 mai 2004
[5] Les autorités saoudiennes ont récemment demandé à Al-Ghamdi sa démission, après qu’Al-Watan ait publié un article dénonçant le déploiement de troupes américaines sur la péninsule arabe et la construction d’une base militaire au Qatar; et aussi suite à un article qu’il a écrit sur le besoin d’autocritique de la part des ministres saoudiens à propos d’erreurs commises.
[6] Al-Watan (Arabie Saoudite), le 17 mai 2004
[7] Al-Jazirah (Arabie Saoudite), le 2 mai 2004