Le 3 décembre 2003, MEMRI publiait la traduction d’un rapport [1] paru dans l’hebdomadaire égyptien Al-Usbu sur la présence du Protocole des Sages de Sion à une exposition de la bibliothèque d’Alexandrie; ce livre y était présenté comme un document authentique, et placé à côté de la Torah, dans une exposition consacrée aux ouvrages juifs; l’exposition était en outre agrémentée des commentaires antisémites d’un des responsables du musée. Après la publication du rapport deMEMRI, le musée a subi des pressions, dont de vives critiques du Département d’Etat américain, des Nations unies et de l’ambassade des Etats-Unis au Caire, laquelle a confirmé, à l’issue d’une visite à la bibliothèque, la présence du Protocole, ainsi que son retrait, consécutif aux pressions.
L’article suivant, tiré de l’hebdomadaire égyptien Al-Ahram , a été publié en prévision d’une conférence sur la réforme dans le monde arabe prévue pour les 12, 13 et 14 mars à la bibliothèque d’Alexandrie [2] :
Le retrait du Protocole des Sages de Sion
«Depuis son inauguration, le 16 octobre 2002, la bibliothèque d’Alexandrie est déjà devenue un facteur important de diffusion de la rationalité, d’une vision scientifique [du monde] et des valeurs éclairées de l’Egypte dans la région. Elle a accueilli plus de 750 000 visiteurs et organisé jusqu’à 250 événements au cours de sa première année. Le point commun de toutes les conférences, discours, expositions et événements qu’elle a abrités est la diffusion des valeurs de tolérance, d’ouverture et de compréhension.
Mais le plus intéressant dans cette histoire est qu’elle est devenue le point de ralliement des intellectuels égyptiens qui croient en ces valeurs. Dans un geste sans précédent, des centaines d’écrivains, d’intellectuels et d’universitaires ont signé une déclaration de défense de la bibliothèque contre les accusations d’un groupe d’extrémistes ayant entrepris d’attaquer la bibliothèque et ses valeurs. Cette offensive a été relayée par certains journaux, ainsi même que par le Parlement, où des représentants fondamentalistes ont critiqué ce qu’ils ont appelé ‘l’obséquiosité’ des responsables de la bibliothèque face aux pressions américaines et israéliennes.
L’incident à l’origine de tout [ce raffut] est l’exposition d’un exemplaire de la première édition de la traduction en arabe du Protocole des Sages de Sion, dans une vitrine spéciale destinée à différentes curiosités de la collection de la bibliothèque, exposées à tour de rôle.
Un journal local irresponsable, probablement dans le but de pimenter ses pages, a fait une malencontreuse description des faits, affirmant que l’ouvrage se trouvait en première place d’une exposition de la bibliothèque d’Alexandrie et qu’il était placé à côté de la Torah. Ce journal, qui n’est lu que par un petit nombre, a été largement ignoré, jusqu’à ce que l’article soit traduit en hébreu et publié en Israël, puis traduit en anglais pour être finalement récupéré par MEMRI à New York [sic] [3] . Les protestations ont inondé Internet tandis que des questionnements incrédules ou irrités nous sont parvenus de plusieurs endroits.
Cette situation a incité le Dr Ismaïl Serageldin, directeur de la bibliothèque d’Alexandrie, à publier une déclaration, le 6 décembre 2002 [sic]. [4] Celle-ci a été affichée sur le site en ligne de la bibliothèque le 6 décembre 2003. La voici :
‘Déclaration publique d’Ismaïl Serageldin: De récents rapports de presse portant sur la présence de la première traduction en arabe du Protocole des Sages de Sion dans une exposition de la bibliothèque d’Alexandrie nécessitent une réponse claire et rapide.
Des enquêtes préliminaires ont déterminé que cet ouvrage avait été exposé pendant une courte période dans une vitrine destinée à une rotation d’expositions de curiosités et d’objets inhabituels appartenant à nos collections. Cet ouvrage n’a jamais été exposé à côté de la Torah juive, et il n’a jamais été qualifié non plus de livre saint ou de fondement de la constitution juive. Ce livre est bien connu pour être un faux élaboré au 19ème siècle dans le but de promouvoir des sentiments anti-juifs.
L’ouvrage n’a pas tardé à être retiré de l’exposition, mais le fait qu’il y ait été intégré révèle mauvais goût et manque de sensibilité; parallèlement, un examen administratif intérieur doit éventuellement aboutir à la prise de mesures supplémentaires.
La bibliothèque d’Alexandrie est profondément engagée par son rôle phare dans l’enseignement de la tolérance, du dialogue et de la compréhension entre les peuples, les cultures et les civilisations. Nous avons l’honneur de travailler avec des partenaires internationaux de renom à la diffusion de ces idéaux universels.’»
Après le retrait du Protocole, on a reproché son manque de loyauté à la bibliothèque
«Suite à l’examen de l’administration, il a été suggéré que les expositions soient dorénavant visitées en priorité par un comité de membres du personnel, et que le bureau médiatique de la bibliothèque s’occupe des relations avec les médias; ce bureau sera chargé de réagir aux récits inexacts au moment de leur parution.
La déclaration du Dr Serageldin a engendré un flot de colère chez les extrémistes locaux, qui se sont manifestés au parlement, ont envoyé des lettres aux journaux et publié des articles affirmant que qualifier le livre de ‘faux ayant pour but de fomenter des sentiments anti-juifs’ était un acte déloyal, anti-patriotique, ajoutant que la bibliothèque faisait preuve d’obséquiosité face aux intérêts du lobby sioniste, de l’Etat d’Israël et des Etats-Unis. Ils ont en outre déclaré que la bibliothèque entravait la liberté d’expression en ôtant l’ouvrage de l’exposition.
Imperturbable, le Dr Serageldin est apparu sur la télévision égyptienne dans une interview d’une heure, dont une grande partie était consacrée au problème. Malgré les efforts de l’interviewer, il est non seulement resté sur ses positions, mais a en outre répondu aux extrémistes qui attaquaient la bibliothèque, clarifiant le rôle de cette dernière et présentant le contexte historique de la rédaction de l’ouvrage, qualifié de texte incitant à la haine. Il a traité de ‘stupides’ et d’esprits confus ceux qui défendent ou cherchent à diffuser ce livre. Il a ajouté que les offensives menées contre la bibliothèque étaient indéfendables et qu’elles portaient atteinte à la cause des droits des Arabes et des musulmans.
Il a repoussé les accusations extrémistes d’obséquiosité face aux intérêts étrangers, précisant que rien n’étayait les affirmations selon lesquelles la liberté d’expression était bafouée vu que cet ouvrage, de même que de nombreux autres livres considérés comme offensants par d’autres groupes (tels que les Versets sataniques de Salman Rushdie) se trouvaient dans la bibliothèque à la disposition des chercheurs. Il a précisé que les exposer était autre chose, a réaffirmé la vocation de la bibliothèque et sa volonté de ne pas se laisser intimider par les groupes extrémistes.»
Une pétition pour soutenir la bibliothèque.
«L’affaire a pris de l’ampleur. Certains intellectuels de renom ont saisi leurs plumes (…) et les vannes se sont ouvertes. Plus de 500 personnes ont signé la déclaration suivante:
‘Déclaration de soutien à la bibliothèque d’Alexandrie: Les intellectuels égyptiens signataires de cette déclaration annoncent qu’ils sont motivés par leur engagement envers la bibliothèque d’Alexandrie et leur profonde compréhension de sa vocation, consistant à promouvoir le dialogue interculturel, à devenir la fenêtre du monde sur l’Egypte et la fenêtre de l’Egypte sur le monde. Nous refusons de laisser rabaisser cette mission en devenant la cible de condamnations extérieures et intérieures, car il s’agit là d’une institution égyptienne bénéficiant d’un mandat international, qui se consacre au progrès de la connaissance et de la culture.’
L’accusation d’antisémitisme est dénuée de tout fondement, et ne peut être justifiée par l’exposition de courte durée d’un exemplaire du Protocole des Sages de Sion, malgré l’absence totale de vraisemblance de son contenu. De même, le retrait du livre de l’exposition, qui demeure toutefois consultable par les chercheurs, ne peut être interprété comme une offensive contre la liberté d’expression (car la philosophie de la bibliothèque se base sur la protection de la liberté d’expression); il ne peut être non plus considéré comme une prise de position opposée à l’islam ou à l’arabisme, ni correspondre aux autres fausses accusations.
Nous demandons aux façonneurs d’opinion et aux écrivains de cesser de pousser nos institutions qui ont su gagner le respect et le soutien du monde à entrer dans cette démagogie politique. Nous affirmons notre engagement à défendre les droits légitimes des Arabes, conformément aux conventions et accords internationaux, et nous poursuivons nos efforts pour gagner le respect des communautés culturelles et scientifiques du monde afin qu’elles comprennent et soutiennent notre cause; nous encourageons la bibliothèque d’Alexandrie à continuer de tendre vers l’excellence et à remplir sa mission.’
Cette déclaration a été signée par plus de 500 des plus éminents intellectuels égyptiens et un grand nombre de professeurs d’universités.
Le Dr Serageldin a dit qu’il était heureux que ces éminents intellectuels et professeurs d’universités considèrent la bibliothèque comme leur bien, car c’est ce qu’elle était. Il a en outre répété que ‘la bataille pour la tolérance et la compréhension n’est jamais gagnée, que les courants obscurantistes, extrémistes et xénophobes doivent être contrés par la rationalité, l’ouverture et une détermination sans faille à défendre la liberté d’expression et la recherche de la vérité.
La bibliothèque, a-t-il ajouté, était bien partie pour devenir ce que le monde entier attendait qu’elle soit, l’héritière phare de l’ancienne bibliothèque d’Alexandrie, qui pendant plus de six siècles a défendu les valeurs de l’œcuménisme, de la tolérance et de la compréhension, dont l’héritage inspire nos actions jusqu’à ce jour.»
[1] Voir la Dépêche Spéciale n° 619 de MEMRI , sur l’exposition du Protocole des Sages de Sion à la bibliothèque d’Alexandrie.
[2] Al-Ahram (Egypte), 19-24 février 2004.
[3] Le siège de MEMRI se trouve à Washington, DC. En outre, l’article a été traduit en anglais, par MEMRI.
[4] La déclaration a été publiée en 2003, non en 2002.