Suite aux attentats de Riyad du 12 mai 2003, le directeur adjoint de l’hebdomadaire égyptien Roz Al-Youssef, M. Wael Al-Abrashi , spécialiste des mouvements terroristes sunnites, a rédigé un certain nombre d’articles sur le wahhabisme saoudien et l’évolution du terrorisme islamiste. Voici quelques extraits des articles d’Al-Abrashi:
Une vision du monde wahhabite
Dans un article publié le 31 mai 2003, Al-Abrashi écrit: «Un cheikh wahhabite saoudien a exhorté les jeunes gens à ne pas parler ou apprendre l’anglais. Ravalant sa salive, mouillant ses lèvres, il s’est écrié: ‘C’est la langue des infidèles, à tel point qu’elle comprend le terme ‘blease’ [please], qui vient d’iblis [Satan]. C’est la langue du diable (…)’
N’importe qui peut venir nous dire que ce cheikh ne représente pas tous les wahhabites, mais je répondrai à cela que la plupart des cheikhs wahhabites ont par le passé interdit l’étude de la géographie, de l’anglais, de la philosophie et du dessin. En outre, quelle différence y a-t-il entre les propos tenus pas ce cheikh et la fatwa de [cheikh] Ben Baz – guide wahhabite [défunt], qui affirme que la planète terre n’est pas en rotation?»
Al-Qaïda, organisation wahhabite saoudienne
«Le wahhabisme interdit aux femmes de travailler, de conduire, et rejette la démocratie, qualifiée de religion venant s’ajouter à la religion d’Allah. Le wahhabisme accorde une grande importance aux manifestations [extérieures] de l’islam: la barbe, le port de vêtements jusqu’aux chevilles pour les hommes et l’obligation de se servir de cure-dents plutôt que de la satanique brosse à dents occidentale. Un guide wahhabite, le cheikh Ben Athimein, a interdit de fumer, de prier derrière un fumeur, de se raser la barbe, de prier derrière un homme rasé ou de porter des habits européens car ce sont là des habits de polythéistes (…)
J’affirme que ce wahhabisme est incapable d’établir un Etat moderne et de répandre les valeurs de tolérance établies par l’islam. Au contraire, ce wahhabisme mène, comme nous avons pu le voir, à l’extrémisme, à des courants fanatiques fermés qui accusent les autres d’hérésie, se chargeant de les exterminer. Ces groupes religieux extrémistes sont passés de l’étape de Takfir [1] à celle d’‘annihilation’ et de ‘destruction’, conformément à la stratégie d’Al-Qaïda – dont les autorités saoudiennes doivent bien admettre qu’il s’agit là d’une organisation saoudienne nationale qui a absorbé d’autres organisations, et non l’inverse. Toutes ces organisations sont nées au sein du wahhabisme.»
L’Arabie Saoudite a aidé à commettre des attentats meurtriers en Egypte, à commencer par l’assassinat de Sadate.
«Je puis affirmer avec certitude, après avoir parcouru avec beaucoup d’attention tous les documents et textes des enquêtes officielles portant sur toutes les actions terroristes intervenues en Egypte, de l’assassinat du président Anouar El-Sadate en octobre 1981 au massacre de Luxor en 1997, que l’Arabie Saoudite était la principale étape des extrémistes égyptiens, lesquels en ressortaient imprégnés d’une conception terroriste du Takfir – conception qui leur avait été transmise par des cheikhs wahhabites. Ils recevaient en outre des fonds d’institutions de bienfaisance saoudiennes.
Il a apparemment fallu attendre toutes ces années, les explosions du 11 septembre et beaucoup d’autres explosions encore, qui ont déstabilisé l’Arabie Saoudite, pour que les autorités saoudiennes s’aperçoivent de l’existence des deux dangers suivants: le danger des fatwas wahhabites de Takfir et celui des organisations de bienfaisance, dont l’argent finissait dans les caisses des extrémistes (…)
Sur la base des documents et des enquêtes portant sur tous les cas de terrorisme perpétré en Egypte [dans les années 1980-1990], j’ai pu établir qu’il n’existe aucun cas où l’Arabie Saoudite n’a pas représenté la principale étape des extrémistes (…)
Les idées des cheikhs wahhabites et les fonds des organisations de bienfaisance se sont transformés en balles de fusil tirées sur des innocents. Une note officielle du ministère égyptien de l’Intérieur, consécutif à l’assassinat du président Anouar El-Sadate, énumérait les raisons de la progression des actes d’extrémistes religieux en Egypte. On a écrit là-bas (et publié en premier ici) que les enquêtes sur les organisations terroristes ainsi que les confessions de certains de leurs membres ont révélé que le cheikh Omar Abd El-Rahman, mufti de l’organisation [Al-Gamah Al-Islamiyya], avait emporté un duplicateur de bandes d’Arabie Saoudite et que de chez lui, à Al-Fayoum, il enregistrait et distribuait de nombreuses cassettes de conférences et de sermons exprimant l’idéologie de l’organisation et servant ses stratégies et ses plans. Ces cassettes accusaient le souverain d’hérésie et prônaient un coup d’Etat contre lui (…)»
Tous les dirigeants arabes sont infidèles, sauf en Arabie Saoudite
«Les cheikhs wahhabites se sont servis des fatwas d’Ibn Taymiyyah sur les Mongols et les conquérants pour propager l’idéologie du Takfir et du djihad à l’encontre du souverain. Ce qui est étrange est que tout en accusant les dirigeants d’hérésie et en appelant au djihad contre des pays comme l’Egypte, l’Algérie, la Tunisie, le Maroc et la Jordanie, les wahhabites décrétaient que coopérer avec le gouvernement d’Arabie Saoudite représentait une obligation religieuse, que seul le dirigeant était habilité à déclarer le djihad, exécuter les châtiments, rassembler l’aumône et se charger de la propagation de la vertu et de la prévention du vice, que c’était un devoir de coopérer avec lui et de lui obéir tant qu’il appliquait la loi islamique.
Nous avions coutume de demander aux cheikhs wahhabites et aux membres des groupes religieux extrémistes égyptiens: ‘Vous exigez l’obéissance au souverain saoudien et de ne pas s’élever contre lui, alors que vous appelez au djihad contre le dirigeant et à renverser le régime en Egypte et dans d’autres pays arabes. Que signifient ces contradictions?’ Ils répondaient: ‘La différence est que la loi islamique est appliquée en Arabie Saoudite, mais pas dans les autres pays arabes.’ Mais le jour est venu où de jeunes Saoudiens ont aussi accusé les autorités saoudiennes d’hérésie, appelant [au djihad] contre elles, leur reprochant de souiller les lieux saints de l’islam via les forces américaines. Tous ceux qui adoptent l’idéologie du Takfir et l’utilisent à des fins personnelles seront brûlés par son feu, car nul ne peut la contrôler (…)»
L’Arabie Saoudite est devenue le lieu privilégié de l’idéologie extrémiste
« Aujourd’hui, l’Arabie Saoudite est devenue le lieu privilégié de l’idéologie extrémiste et [a fourni] le plus large éventail qui soit au développement de ses virus. Le résultat est que les autorités saoudiennes ont entrepris, pour la première fois, d’enfermer pour des raisons de sécurité les ‘incitateurs à la violence’ parmi les cheikhs wahhabites.»
Les passeports de ‘travailleurs égyptiens’ confisqués en Arabie Saoudite finissent entre les mains de terroristes
«J’appelle à protéger les Egyptiens contre l’ancien et le nouveau terrorisme en provenance d’Arabie Saoudite. L’Egypte doit se renforcer au plan idéologique, au moyen de sa Sécurité, contre les idées wahhabites. A ces fins, je demande une enquête sur ce que j’appelle ‘le phénomène de disparition et de vol de passeports égyptiens en Arabie Saoudite’, et j’emploie sciemment le terme ‘phénomène’. Selon des sources des ministères égyptiens de l’Intérieur et des Affaires étrangères, l’Arabie Saoudite [arrive en tête de liste des pays] où les passeports de travailleurs égyptiens sont volés et disparaissent. Ce phénomène est en hausse depuis le début des années 1990, époque des grandes opérations terroristes [en Egypte], et continue sur sa montée.
La méthode des garants – une méthode non moins rétrograde que le wahhabisme lui-même, et qui renferme tous les germes du racisme, de la haine et de la répression -, veut que le ‘garant’ saoudien ait la garde des passeports des travailleurs [étrangers], et si l’Egyptien ou tout autre travailleur [étranger] souhaite partir en voyage, le garant peut très bien ne pas lui remettre son passeport; il peut même jeter le travailleur en prison. Si l’Egyptien se plaint, le garant peut prétendre lui avoir déjà remis son passeport et que cet Egyptien l’a perdu. Les dossiers des ministères [égyptiens] des Affaires extérieures et de l’Intérieur renferment des dizaines de plaintes liées à la disparition ou au vol de passeports d’Egyptiens travaillant en Arabie Saoudite, [déposées] surtout ces 15 dernières années.
On soupçonne ces passeports perdus et volés d’atterrir dans des organisations d’extrémistes religieux. Il y a quelques années, neuf Egyptiens se sont plaints d’un garant saoudien appelé Mohammed Haroun, accusé d’avoir volé leurs passeports et d’être parti avec en Afghanistan (…)»
Terrorisme wahhabite et bases américaines en Arabie Saoudite
«En quête de protection religieuse, les dirigeants saoudiens se sont servis du wahhabisme comme bouclier; et pour obtenir la protection de l’armée, ils ont ouvert leur territoire aux forces américaines. Or l’Arabie Saoudite a été brûlée et par le feu du wahhabisme, et par celui des bases américaines. Ceux qui se battent, sabotent et détruisent, agissent conformément aux fatwas wahhabites, justifiant leurs actions par la présence des bases américaines. La seule solution à cette crise saoudienne est de couper les griffes du wahhabisme, de le purifier en le vidant de son contenu, pour en faire un islam modéré, majoritaire. En d’autres termes, il faudrait se débarrasser du wahhabisme, et ensuite des bases américaines qui représentent un prétexte à la violence armée.
Je vais être encore plus franc. Les wahhabites et les princes saoudiens haïssent Mohammed Ali et ont un complexe vis-à-vis de lui, parce que ce dernier a envoyé ses forces contre eux, les a éliminés, a envahi leur capitale, les expulsant de la Péninsule arabique. Certains historiens et commentateurs, ainsi même que certains résidents de la Péninsule arabique, considèrent l’attaque de Mohammed Ali contre les wahhabites comme une attaque contre la terreur et le terrorisme. M. Dixon, représentant de la Grande-Bretagne au Koweït, chargé des affaires saoudiennes, écrivit à l’époque: ‘Ibrahim Pasha, commandant de l’armée de Mohammed Ali, a gagné l’admiration et la confiance du public [de la région] de Najjd. Il a été reçu au Mont Shamar, à Al-Qassem et Al-Ahsaa comme celui qui venait les libérer du feu wahhabite, et non comme un conquérant étranger.»
Une attaque contre le wahhabisme est nécessaire
«Le wahhabisme doit maintenant subir une attaque d’un autre type, qui aura l’effet de celle de Mohammed Ali, mais qui sera d’ordre idéologique, culturel et religieux, une attaque politique menée par les autorités saoudiennes elles-mêmes, et non imposée de l’extérieur. Cette attaque-là doit être saoudienne, et non américaine; elle doit être d’ordre idéologique et politique plutôt que basée sur des considérations de sécurité. Cette attaque contre le wahhabisme aurait pour cible le terrorisme, le retard et le fanatisme. Le wahhabisme est passé du Takfir à la destruction, et nous ne voulons pas qu’elle finisse pas détruire l’Arabie Saoudite.» [2]
Les racines de la terreur se trouvent en Arabie Saoudite, pas en Egypte
Dans un autre article, Al-Abrashi écrit: « (…) Après les attentats du 11 septembre, tout le monde a été choqué du revirement de l’Arabie Saoudite vis-à-vis des Frères musulmans en Egypte, au mépris des liens stratégiques serrés qui les unissaient depuis l’époque d’Abd El-Nasser, durant laquelle des dizaines [de membres des Frères musulmans] se sont enfuis en Arabie Saoudite. Mais nous n’avons pas tardé à nous apercevoir, grâce à des sources spéciales, que les autorités saoudiennes aspiraient à sauver le wahhabisme et à la disculper des accusations de terreur. La seule façon d’y parvenir était, d’après eux, de rendre responsable l’une des branches [du wahhabisme]: les Frères musulmans en Egypte.
Mais cette astuce n’a pas fonctionné: les Américains ont soutenu que l’idéologie d’Al-Qaïda et de Ben Laden est née et a mûri dans l’ambiance saoudienne. Certains princes et hauts responsables saoudiens ont alors eu recours à une autre astuce, répandant le bruit que des extrémistes égyptiens avaient succédé à Ben Laden et modifié sa vision idéologique. Ils ont prétendu qu’‘Ayman Al-Zawahiri, chef de l’organisation extrémiste du Djihad égyptien, était le cerveau et l’idéologue de l’organisation Al-Qaïda et que c’est lui qui guidait Ben Laden. Ils ont ainsi voulu supprimer la couleur saoudienne de l’organisation Al-Qaïda, affirmant que cette dernière n’était rien de plus que la continuation de l’organisation égyptienne du Takfir (…)
L’Arabie Saoudite a soutenu la fermeture religieuse wahhabite, son extrémisme idéologique, et a créé l’organisation Al-Qaïda. Elle a persécuté la minorité chiite et a permis le déploiement de la présence américaine sur son territoire, en contradiction avec ses positions religieuses et sa souveraineté nationale. Et ce fut le début de la catastrophe dont nous ne savons quand elle se terminera.» [3]
Dans un autre article encore, Al-Abrashi explique: «(…) Bien que l’Arabie Saoudite ait choisi comme stratégie d’exporter le wahhabisme au reste du monde, elle continue de prétendre que l’idéologie du Takfir lui vient de l’étranger – d’Egypte en particulier – et qu’elle ne prend nullement racine dans la culture saoudienne. L’Arabie Saoudite a créé le monstre, l’a exporté à l’étranger, puis a perdu tout contrôle sur lui. Ensuite le monstre s’est retourné contre elle (…) L’Arabie Saoudite est en danger: elle ne peut ni abandonner le wahhabisme, ni le laisser faire; elle ne peut ni tolérer la présence américaine, ni s’en débarrasser. Je le redis: l’Arabie Saoudite est en danger, depuis que la famille Al-Saoud l’a placée entre le marteau du wahhabisme et l’enclume des bases américaines.» [4]