Le numéro d’Al-Ahram Weekly de la semaine du 22 au 28 mai comporte un article de Lina Mahmoud traitant de la diffusion de scènes de violence contre les femmes sur la télévision égyptienne. L’article révèle les conclusions d’un rapport sur les programmes égyptiens conduit par le Centre de Recherche de la Femme Nouvelle (CRFN) et la Maison des Médias, société de production indépendante. Selon l’article, l’étude, qui porte sur 18 pièces de théâtre filmé[1] diffusées en 2002 pendant le Ramadan, est la première de cette importance à se pencher sur les manifestations de violence à l’encontre des femmes dans les médias égyptiens. Voici quelques extraits de l’article:
En raison du fort taux d’analphabétisme en Egypte, ce sont les médias qui dictent aux gens leur comportement et leurs idées.
«L’équipe a fait l’addition des cas de violence présents dans les programmes visionnés. L’étude a été conduite pendant le mois de Ramadan car le taux d’audimat y est le plus élevé. D’après [Nalwa] Darwish [du CRFL], ‘les médias audiovisuels jouent un rôle important dans la formation de la conscience collective des Egyptiens. Le très fort taux d’illettrisme en Egypte, parmi les femmes en particulier, procure aux médias un impact indéniable sur le comportement et les idées des spectateurs (…)’»
Ces programmes comportent des scènes de violence à l’encontre des femmes, violence dont les auteurs sont les héros.
«Le rapport révèle que tous les programmes suivis au cours du dernier Ramadan comprennent des scènes de violence contre les femmes. ‘Le problème est que les auteurs de cette violence sont les héros des épisodes, ceux pour qui le cœur des spectateurs bat, ceux qui bénéficient du plus grand pouvoir d’influence.’
Le rapport se penche aussi sur les réactions des spectateurs face à cette violence. Tout aussi dérangeant que les scènes de violence contre les femmes: le fait que les spectateurs n’en soient nullement offensés. Dans de nombreux cas, ils y ont réagi par de l’indifférence, voire par un sentiment d’approbation, ressentant ce type d’agression comme banal et justifiable.
Les personnages féminins sont essentiellement des femmes au foyer; viennent ensuite les étudiantes. Les chômeurs représentent 5.1% des personnages. Le rapport estime que ce taux n’est pas représentatif, le chômage étant beaucoup plus répandu, en particulier chez les femmes. Plusieurs de ces soap-opéras mettent en scène des personnages instruits, titulaires de diplômes universitaires, alors que la moitié de la population égyptienne est analphabète.»
Les coups sont la principale forme de violence physique contre les femmes
«Les coups sont la principale forme de violence physique contre les femmes dans les scènes visionnées, représentant 42% des agressions physiques. Les autres formes de violence incluent le meurtre (13.1%) et différentes formes d’abus sexuels. Le harcèlement verbal et sexuel est récurrent, tandis que le refus d’honorer le devoir conjugal est représenté comme une façon de punir les épouses.
Le rapport note que 41.9% des ‘héroïnes’ résistent activement tandis que 31.1% des femmes acceptent les mauvais traitements. La résistance féminine est en général verbale. Un personnage de femme a toutefois réagi en se tuant tandis qu’un autre s’est retrouvé atteint de paralysie physique. En outre, 67.3% des hommes ayant fait montre de violence à l’égard des femmes ne manifestent aucun sentiment de remord, tandis que 30% se sentent coupables et honteux.»
Les femmes ont pour la plupart des rôles négatifs
«La plupart des femmes dans ces programmes ont des rôles négatifs. Les quelques femmes montrées sous un jour favorable sont des femmes naïves et inoffensives, des amantes, des mères.
Darwish s’est dite gênée des résultats du rapport. ‘Sur 12 feuilletons, [nous avons trouvé] 500 épisodes violents. Ce qui signifie qu’il existe une ou deux scènes de violence dans chaque partie d’un feuilleton. C’est trop. Qui plus est, pas une seule série télévisée n’est épargnée des scènes de violence à l’encontre des femmes.»
Réaction: les femmes méritent d’être battues
«Une fois le rapport terminé, un documentaire a été tourné: des personnes y sont interrogées sur leurs réactions face à la violence des scènes télévisées. ‘Les femmes méritent d’être battues’, répond un spectateur. ‘Un mari doit battre sa femme si elle agit mal’, dit un autre. Une femme a regretté que ‘les hommes soient si cruels envers les femmes. Ils devraient se montrer cléments’. Un jeune homme remarque que battre sa femme la rend ‘plus entêtée’.
Le CRFN et la Maison des médias ont soulevé plusieurs questions importantes lors de la réunion [où les conclusions du rapport ont été énoncées]: A quelles exigences les médias doivent-ils se plier ? Les médias ont-ils le droit de diffuser des scènes de violence envers les femmes? Les programmes télévisés devraient-ils condamner la violence envers les femmes ou la diffuser telle quelle? Presque tous se sont entendus sur la nécessité de faire cesser la diffusion de stéréotypes féminins négatifs, estimant en outre que la violence subie par les personnages de femmes ne devrait plus être présentée sous un jour positif.» [2]
[1] Parmi les épisodes visionnés se trouvent: Assad Ragul fi Al-Alam (L’homme le plus heureux du monde), Al-Atar wa Al-Sabaa Banat (l’Herboriste et ses sept filles), Qassem Amin, Ayna Qalbi (Où est mon cœur?), Amira fi Abdine (Une princesse à Abdine), en plus de six films diffusés sur la première et la deuxième chaînes égyptiennes, dont Al Hafid (le petit-fils) et Al Zawga 13 (l’épouse numéro 13).
[2] Al-Ahram Weekly (Egypte), 22-28 mai 2003 http://weekly.ahram.org.eg/print/2003/639/fe3.htm