Ahmad Youssef, auteur du livre L’Orient de Jacques Chirac [1] discute, dans un article d’Al-Ahram hebdo [2] intitulé «Chirac, l’aimable têtu», des répercussions de l’opposition de ce dernier à la politique américaine en Irak. Manifestant une très vive sympathie à l’égard du président français, Ahmad Youssef évoque un «troisième mandat», l’«adhésion des peuples arabes», «une nouvelle ère en France» et s’inquiète des retombées négatives de «l’entêtement» de Jacques Chirac contre l’Administration américaine, qualifiant ceux qui ont demandé «des explications» sur sa politique au chef d’Etat français de «curieux mélange de pro-américains, pro-israéliens, pro-britanniques et bien évidemment des anti-germaniques et des anti-arabes». Voici l’article intégral:
«C’est Fontenelle (1657-1757) qui a dit que le bonheur a un obstacle, c’est de s’attendre à trop de bonheur. Jacques Chirac ne s’attendait, en ce moi de mai 2003, certes pas à ce trop de bonheur qui plane sur son château rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris. Depuis sa réélection, il y a tout juste un an, le président jouit d’une popularité sans précédent, d’une stature internationale indéniable et d’une optimiste perspective d’avenir. On évoque même un troisième mandat et on parle de plus en plus de l’énergie présidentielle inépuisable et inoxydable.
C’est la crise iraquienne qui a permis à Chirac d’entrer de plain-pied dans l’Histoire: Outre son «non» désormais légendaire à la guerre voulue par George W. Bush, il y avait l’adhésion des peuples arabes, de son propre peuple et la majorité des opposants de cette guerre dans le monde. Les premières lignes de sa légende dans cette première année du règne sont déjà tracées. Jacques Chirac réunit dans son personnage les points cardinaux du gaullisme et d’un vieil héritage oriental dans la politique extérieure de la France depuis François 1er.
Mais c’est la personnalité du président qui fascine plus que son personnage: son contact intime qui abolit les distances même si le tact les rétablit en silence, sa manière de personnaliser l’image de la France dans le monde de par sa propre figure.
Malheureusement, la médaille a son revers. Ce trop de bonheur a quelque chose de tragique et que le président semble essayer de repousser ses néfastes symptômes avec toutes ses forces: une partie non négligeable d’intellectuels, de gens des médias, d’industriels n’ont pas pardonné à leur président ce qu’ils considèrent comme une exagération dans son entêtement vis-à-vis de Bush. Ainsi, au lendemain de l’entrée des troupes américaines à Bagdad, certains n’ont pas hésité à demander des explications, voire des comptes à Chirac. Parmi eux se trouve un curieux mélange des pro-américains, des pro-israéliens, des pro-britanniques et bien évidemment des anti-germaniques, des anti-arabes, etc. Ces experts ont simplement oublié l’essentiel: le président français n’a pas menti à son peuple et n’a pas accepté cette histoire d’armes de destruction massive (que l’on n’a toujours pas trouvées).
Si le gouvernement de J-P. Raffarin échoue à convaincre les Français de certaines épineuses réformes, les couteaux de ces messieurs parisiens ne tarderont pas à sortir pour attaquer pas seulement le président mais revenir aussi sur une valse macabre de son passé à la mairie de Paris. Alors, le président devra prendre son bonheur en patience; il aura surtout à inventer s’il compte s’installer dans la durée, une nouvelle stratégie de communication politique. A l’extérieur de l’Hexagone, la voie de la France, ses intérêts, ses entreprises devront absolument être présents en dehors des canaux ambassadoriaux.Ni la culture, ni les entreprises françaises ne parviennent à traduire le capital de la sympathie pour la France dans le monde en chiffres et données économiques. Au Moyen-Orient et ailleurs dans le monde, l’avenir reste encore incertain et d’autres conflits suivront et il sera difficile pour la France de ne pas combler ce vide.
A l’intérieur, le président est incontestablement servi par un aréopage de conseillers, d’experts hautement compétents. C’est à eux de voir les moyens de faire de la deuxième présidence chiraquienne le début d’une nouvelle ère en France. Mais il leur faudra outre la compétence beaucoup d’imagination et de dextérité.
Quant à Chirac, il prendra au sérieux au début de cette deuxième année son image dans l’Histoire. Ses honnêtes prises de position dans la crise iraquienne en constituent déjà les premiers traits.»