L’économiste égyptien Khalil Al-Anani évoque les motivations sous-jacentes de la France, l’Allemagne et la Russie dans leur opposition à la guerre en Irak, analysant séparément la position de chacun de ces pays. Voici un résumé du Rapport d’Al-Anani, affiché sur le site Al-Jazeera[1]:
L’économie française
L’opposition de la France à la guerre en Irak est moins motivée par des considérations d’ordre politique, ses liens historiques avec le monde arabe ou une quelconque tentative de défier la superpuissance américaine que par des intérêts économiques. Malgré les efforts déployés par la France pour présenter sa position anti-guerre comme purement politique, il est difficile d’occulter les profits économiques dont elle aurait bénéficié si la guerre n’avait pas eu lieu. Les conséquences de cette dernière sur l’économie française affaiblie seront tangibles dans les secteurs pétrolier et commercial.
Pertes de brut
Il y a dix ans, la société pétrolière française Total/ Fina/Elf a signé un accord avec l’Irak, établissant le partage de la production des champs pétrolifères «Madjnoun» et «Ben Omar», effectif dès la fin des sanctions imposées à l’Irak. Le champ de pétrole de Madjnoun se trouve à proximité de la frontière iranienne et contient, estime-t-on, l’équivalent de 30 milliards de barils de pétrole. Ce champ à lui seul pourrait satisfaire les besoins de la France pendant trente ans.
Le champ de pétrole Ben Omar contiendrait l’équivalent de 6 milliards de barils et aurait une capacité de production de 440 000 barils par jour, susceptibles d’atteindre assez rapidement 500 000 de barils par jour. Les investissements dans ces ceux champs sont estimés à 3.4 milliards de dollars, tandis que le coût de la production s’élèverait à deux dollars par baril (l’un des meilleurs marchés au monde, peut-être en seconde position après celui d’Arabie Saoudite).
Pertes commerciales
Les exportations françaises vers l’Irak ont connu une forte augmentation ces dernières années. Elles ont été évaluées à 330 millions de dollars en 2000, ont doublé en 2001, dépassant le milliard de dollars en 2002. Au cours de la dernière foire internationale organisée à Bagdad, fin 2002, 150 sociétés françaises étaient présentes. La guerre en Irak pourrait générer:
- une percée du prix du pétrole à une époque de stagnation économique.
- la non-reconnaissance par le régime post-Saddam des accords conclus avec la France, et plus particulièrement ceux concernant le forage des puits et la production de pétrole.
La France s’inquiète également de ne pas obtenir, à l’issue d’une guerre en Irak, plus de contrats qu’elle n’en avait obtenus après la guerre du Golfe de 1991.
L’économie allemande
L’économie allemande traverse des difficultés, avec, en 2002, une croissance de 0.2% de son PIB et un taux de chômage de 11.3% se traduisant par 4.06 millions de travailleurs au chômage. La réduction des impôts, à laquelle s’ajoutent des allocations chômage en hausse, pourrait amener l’Allemagne à dépasser le plafond des 3% de déficit établi par l’Union européenne, dépassement qui pourrait à son tour entraîner des mesures punitives. La guerre en Irak risque d’avoir deux conséquences néfastes immédiates sur l’économie allemande: en premier lieu, le déclin des exportations allemandes, lesquelles représentent le moteur essentiel de la croissance économique allemande; en second lieu, la hausse du prix du pétrole, susceptible d’accentuer le ralentissement de l’économie allemande.
L’économie russe
Un peu comme pour la France, il est difficile d’ignorer la force et l’importance des relations économiques de la Russie et l’Irak, vielles de quarante ans. Ce sont, ici aussi, des considérations économiques qui dictent la position russe vis-à-vis de la guerre contre l’Irak.
Les pertes pétrolières
La Russie produit 7.3 millions de barils par jour, ce qui représente 9.7% de la production mondiale, mais elle n’exporte que la moitié de sa production. Ses réserves sont estimées à 48.6 milliards de barils par jour, soit 4.6% des réserves mondiales (les figures se rapportant aux réserves de pétrole sont considérées comme secret d’Etat en Russie et n’ont jamais pu être confirmées). Le coût de la production est de 12 dollars le baril, alors que celle du pétrole irakien est inférieure à 2 dollars le baril. Il n’est pas surprenant que la Russie convoite uniquement le pétrole irakien. En outre, 300 sociétés russes gèrent actuellement l’exportation de pétrole irakien dans le cadre du programme «pétrole contre denrées alimentaires». La Russie a signé pas moins de 900 contrats pétroliers avec l’Irak depuis 1996.
La société pétrolière russe Lukoil (dont 14% appartient au gouvernement russe) a signé avec l’Irak un accord d’exploitation du champ de pétrole Qurna, à l’Ouest, qui pourrait contenir jusqu’à 100 milliards de barils de pétrole et avoir une capacité de production de 450,000–500 000 barils par jour. L’Irak a également signé un accord de 3.4 milliards de dollars avec Stroitransgaz pour le développement des champs de gaz situés dans le désert de l’Ouest.
Contrairement à la France et l’Allemagne, la Russie craint une baisse du prix du pétrole sur le marché international, en raison de l’augmentation rapide de la production de pétrole irakien. Une telle baisse pourrait avoir un impact sérieux sur les revenus du gouvernement, lesquels reposent en grande partie sur le pétrole.
Pertes commerciales
La guerre en Irak pourrait avoir de graves conséquences sur les intérêts commerciaux russes:
- La perte de contrats d’affaires avec l’un des principaux partenaires de la Russie au Moyen-Orient, plus particulièrement dans les domaines du pétrole et des industries pétrochimiques.
- La non-reconnaissance par un nouveau régime de la dette irakienne de 8 millions de dollars, contractée avec l’ancienne Union soviétique.
- La perte de contrats d’une valeur de plusieurs milliards conclus avec des fournisseurs économiques et militaires russes.
[1]www.aljazeera.net, le 22 mars 2003.