Dans un éditorial du quotidien égyptien officiel Al-Ahram, Ibrahim Nafie (directeur du journal) attaque le président irakien Saddam Hussein, qu’il considère comme responsable de la crise actuelle, lui reprochant son refus de coopérer avec les Etats-Unis. Ecrivains et politiciens arabes qui critiquent Saddam Hussein insistent généralement sur le fait que ce dernier ne devrait toutefois pas être remplacé. Nafie n’exprime pas une telle réserve. Voici quelques extraits de son article:[1]
Le régime irakien mène la région à une guerre destructrice
«… Vu l’ambiance qui règne dans la capitale américaine, on peut raisonnablement penser que l’Administration Bush a déjà pris la décision de la guerre… Alors que les principaux pays arabes, guidés par l’Egypte, l’Arabie Saoudite et la Syrie… déploient de loyaux efforts à résoudre [la crise] par des moyens pacifiques et à persuader l’Administration américaine de ne pas fermer la porte à la voie diplomatique, le régime irakien persiste dans sa politique d’arrogance et d’obstination injustifiée, faisant tout ce qu’il peut pour contrecarrer ces efforts. Le régime est pris dans sa course à l’anéantissement, guidé par on ne sait trop quoi, menant une fois de plus la région vers une guerre destructrice.
Alors que les forces régionales et internationales s’évertuent à donner sa chance à la voie diplomatique, le régime irakien manque occasion sur occasion, additionnant les déclarations pseudo héroïques démunies de tout fondement. Cela en est arrivé au point où le peuple irakien et son bien-être ne semblent plus intéresser la direction irakienne, laquelle se moque dédaigneusement des puissances qui se battent pour protéger l’Irak des mauvais traitements d’une direction incapable de regarder la réalité en face.
Tous les signes montrent que les deux côtés – le régime irakien comme l’Administration américaine – foncent vers la guerre. Alors que l’Establishment militaire américain – le plus puissant du monde – continue de mobiliser [ses forces] pour la guerre avec beaucoup de professionnalisme, le régime de Bagdad s’entête à faire la seule chose qu’il sache faire: des déclarations soi-disant héroïques remplies d’arrogance vis-à-vis de tous. Il menace d’imposer aux forces américaines une cuisante défaite aux portes de Bagdad, et attaque les pays arabes qui encouragent la voie diplomatique à Washington…
Le compte à rebours a commencé. L’arrêter n’est pas une petite affaire, mais ce n’est pas encore impossible.»
Le refus irakien de coopérer est la principale raison de l’enveniment de la crise
«Une tentative sérieuse d’épargner à l’Irak et à la région le feu d’une nouvelle guerre consisterait pour le régime irakien à lancer une grande initiative s’élevant au-dessus des dangers qui menacent le peuple irakien et ses ressources.
Cette initiative devrait être caractérisée par une [volonté de] transparence en matière de coopération internationale et l’acceptation de se plier à toutes les exigences des résolutions du Conseil de Sécurité et des inspecteurs internationaux. La direction irakienne doit fournir des réponses claires et précises aux questions sur les armes de destruction massive que l’Irak détenait et dont le sort est inconnu, le régime irakien n’ayant apporté aucune preuve de leur destruction aux inspecteurs. [Cette absence de preuves] a donné plus de poids aux déclarations du Secrétaire d’Etat Colin Powell dans son rapport au Conseil de Sécurité où il établit que ces armes ont été placées en lieu secret, quelque part dans l’immensité du territoire irakien.
Le refus irakien de coopérer en toute transparence a apporté à certains éléments, comme Israël, l’occasion de tisser diverses fables sur le transfert d'[une partie] des armes à d’autres pays arabes, comme la Syrie, dans un effort évident pour creuser un fossé entre Washington et Damas et concrétiser ses plans sur la région.
Il ne fait aucun doute que le refus de l’Irak de coopérer avec les Nations unies dans le domaine des armes de destruction massive est la principale raison de l’enveniment de la crise. Si l’Irak avait accepté une coopération transparente avec les équipes d’inspection internationale, les rapports de Blix et El-Baradei ne l’impliqueraient pas et n’affirmerait pas que l’Irak a présenté des réponses opaques aux questions des inspecteurs… Bien que l’on puisse s’interroger sur la validité d’une bonne partie des preuves de Colin Powell…, le refus de l’Irak de coopérer avec les Nations unies depuis le début a donné du poids à ses paroles. Ainsi, les Nations unies pensent, tout comme le Secrétaire d’Etat américain, que l’Irak détient des armes chimiques et biologiques, ce qui rend peut convaincants les démentis irakiens.»
Tant que l’Irak n’apportera pas de réponses claires aux questions sur les armes prohibées, il y aura casus belli.
Tant que l’Irak n’apportera pas de réponses claires aux questions sur les armes prohibées, il y aura casus belli. Les inquiétudes arabes et internationales concernant l’impuissance du peuple irakien à affronter une guerre où il serait la première victime d’opérations militaires – car Saddam s’enfuira avec ses partisans vers les abris construits pour eux, laissant son peuple se débrouiller tout seul avec l’anéantissement [du pays] – ont poussé les Etats-Unis à dresser des plans précis d’octroi d’une aide humanitaire aux Irakiens et à toutes les villes irakiennes pénétrées par les forces américaines.
Les chances de résoudre la crise par des moyens pacifiques ne sont toutefois pas nulles. Il est encore possible d’épargner au peuple irakien les horreurs d’une nouvelle guerre déclarée par la superpuissance mondiale avec la coopération de forces internationales. La solution prônée par l’Egypte consiste à prévenir la guerre en agissant de concert avec les principales forces arabes et internationales pour convaincre les Etats-Unis de donner sa chance à la voie diplomatique et trouver une solution pacifique à la crise…»
Le principal obstacle à une solution pacifique est la direction du pays
«Une solution pacifique à la crise est encore possible; le principal obstacle est la direction du pays, imposée au peuple irakien et à toute la région arabe.
La direction irakienne se définit par une grande fierté doublée d’une ignorance totale. Quand ces deux caractéristiques se recoupent, elles entraînent le genre de catastrophes et de crises que le régime de Saddam Hussein nous a déjà fait subir à maintes reprises.
A mon avis, nous devrions nous occuper de défendre l’Irak en tant que pays, ainsi que le peuple irakien et son avenir, lesquels sont en danger par la faute du jugement erroné d’une direction téméraire et ignorante. La position arabe doit faire preuve de clarté et de précision et se baser sur des principes ne pouvant faire l’objet de compromis.
Premièrement, [sur] l’unité des terres irakiennes et son intégrité territoriale: il ne peut y avoir de compromis là-dessus.
Deuxièmement, toute action militaire visant à désarmer l’Iraq doit être menée conformément à une nouvelle résolution du Conseil de sécurité qui établirait des délais permettant aux Etats arabes et aux grandes puissances internationales de déployer leurs efforts pour convaincre Saddam Hussein de coopérer complètement avec les Nations unies. Ces efforts doivent comprendre l’envoi d’une délégation arabe à Bagdad, une délégation de la dernière chance…
Troisièmement, nous devons protéger les ressources de l’Irak, et principalement son infrastructure, afin que la population soit épargnée et que la situation ne se détériore pas davantage… La protection des institutions d’Etat est primordiale. Nous devons réfléchir aux moyens d’exiger une nouvelle résolution des Nations unies pour le pardon des responsables irakiens, résolution qui leur éviterait d’être jugés par un tribunal international.
Si tous ces efforts échouent et qu’une nouvelle résolution est votée par le Conseil de sécurité pour désarmer l’Irak par la force, il doit être clairement établi que l’objectif est le désarmement de l’Irak, non sa conquête, que les Etats-Unis ne répéteront pas l’expérience afghane ni ne tenteront de régner [sur le pays] ; [seule] une force internationale pourra être chargée de diriger l’Irak pour une durée de six mois au plus, faisant ensuite passer cette responsabilité aux Irakiens.
Finalement, une initiative arabe doit parvenir à raviver le processus de résolution du conflit israélo-arabe et les Etats-Unis doivent tenir leur promesse concernant l’application de la feuille de route et la création d’un Etat palestinien en 2005. Parallèlement, le désarmement de la région [pour les armes de destruction massive] doit être entrepris – et je pense tout particulièrement aux armes de destruction massive d’Israël…»
Le seul qui puisse arrêter la locomotive de guerre est Saddam Hussein. La balle est dans son camp.
«La locomotive de guerre est en marche, mais il est encore possible [de l’arrêter] pour épargner le peuple irakien, ses ressources et son histoire, ainsi que la région.
C’est à Saddam Hussein qu’il revient de prendre la décision [appropriée]. Nous lui demandons de se placer au niveau des dangers qui menacent l’Irak et la région, de cesser ses manœuvres et son cinéma pour coopérer entièrement avec les Nations unies. Les Etats-Unis sont profondément convaincus que l’Irak détient des armes chimiques et biologiques, et le dossier américain ne se base pas sur des suppositions, mais sur des renseignements fournis par des sociétés américaines qui ont autrefois travaillé en collaboration avec l’Irak [dans le domaine des armes chimiques et biologiques]… et coopèrent aujourd’hui avec la Sécurité américaine…
Le seul qui puisse arrêter la locomotive de guerre est Saddam Hussein. Il doit cesser son petit jeu, coopérer avec les Nations unies et répondre à la question: ‘Où se trouvent les armes chimiques et biologiques de Bagdad dont Washington sait bien qu’elles existent?’ En l’absence d’une réponse claire et précise et de coopération avec les équipes d’inspection internationale, la guerre en Irak aura lieu. La balle est dans le camp de Saddam. Dans quoi va-t-il s’embarquer cette fois, entraînant avec lui son peuple et la région?»
[1]Al-Ahram (Egypte), le 14 février 2003